J’ai lu hier soir le TPB reprenant la récente mini-série de Man Thing, par Steve Gerber et Kevin Nowlan. Déjà annoncée dans les années 1990, soit du vivant de Gerber, elle avait été remise en chantier ces dernières années, mais je ne sais pas si Gerber a vécu assez longtemps pour la voir…
Bref.
C’est assez savoureux. Gerber revient sur le thème de l’inconscient créateur (à tous les sens du terme), de la puissance de l’imagination, et du mystère de la création (littéraire mais pas seulement).
Il reprend un personnage qu’il avait animé le temps d’un épisode de la séries des années 1970, un écrivain frustré qui n’arrive pas à contrôler ce que son esprit génère, ce qui pose problème à une certaine créature des marais empathique.
Le dessin de Nowlan et ses couleurs donnent à ce récit une allure de cauchemar sirupeux qui contraste vivement avec ce qui est véhiculé, à savoir le mal-être des créateurs, la difficulté de vivre, de s’insérer, de créer, la douleur de l’accouchement littéraire. On reprochera au TPB d’avoir un format comics pas homothétique aux planches de Nowlan (le projet devait être publié en « graphic novel », soit dans un format album), ce qui génère deux marges en haut et en bas, et pousse le dessin vers la reliure. Détail que tout cela, ceci dit.
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Le sommaire du recueil a l’intelligence d’offrir le vieil épisode où l’écrivain fait son apparition, ce qui permet de comparer l’écriture et les thématiques à quelques trente ou quarante ans d’écart. Le vieil épisode (dessiné par John Buscema et encré par Klaus Janson) est plus bavard, et se concentre sur la création littéraire et la manipulation des mots, offrant même un passage en prose où Gerber joue des allitérations et des rythmes. En comparaison, la mini-série de Nowlan est nettement moins bavarde, plus elliptique, et, le personnage ayant évolué, le récit s’éloigne de la création littéraire pure : on y évoque d’autres formes de créations, notamment télévisuelle (jeux et dessins animés), ce qui permet à Gerber de parler des figures de l’imaginaire actuelles, en passant par des modèles Star Trek ou Rambo. Cela permet à l’auteur d’établir un commentaire à plusieurs niveaux, que ce soit au niveau des formes elles-mêmes (personnages, thématiques) ou au niveau du public visé (l’écrivain écrit pour les enfants, et pourtant, les figures proposées sont des divertissements pour adultes). Tout cela sert à mettre en lumière toutes les tensions et les contradictions des métiers des divertissements. On sent d’ailleurs un transfert autobiographique de Gerber sur son personnage d’écrivain, et il est d’autant plus intéressant, alors, de comparer la manière dont il se projette sur son personnage à plusieurs décennies d’écart. Et si le ton de l’épisode de Buscema est plus angoissant mais se termine sur une note d’espoir, la mini-série de Nowlan est nettement plus mélancolique voire désespérée, la fin tragique contrastant avec la palette sucrée des planches.
Pour compléter le sommaire, le recueil accueille aussi un récit en noir & blanc de Gerry Conway et Gray Morrow, qui permet de se plonger à nouveau dans l’imaginaire débridé de la série.
Recommandé.
Jim