« Alerte, alerte, alerte. Je crois qu’on tiens une des séries de l’année… et j’emploie le pluriel surtout par question de principe… »
C’est à peu près ce que j’avais envie de venir poster ici après avoir vu les trois ou quatre premiers épisodes. J’ai tout de même décidé d’attendre un peu avant de venir donner mon avis. J’ai ainsi poursuivi… jusqu’à l’épisode 5, et sa révélation finale tétanisante… jusqu’à l’épisode 6, tourneboulant sommet formel de la série et un de ces « moments de télévision » exceptionnels comme on en touche du doigt que de loin en loin, une fois toutes les quelques années… et finalement, aujourd’hui, jusqu’à la conclusion des dix épisodes, qui m’a laissé (et tant pis si je passe pour une midinette) littéralement en larmes pour plusieurs minutes — ça ne m’arrive pas souvent… mais je sais que ça m’arrivera probablement encore quand je regarderai à nouveau la série… et je sais, surtout, que je la regarderai à nouveau.
- Au début des années 90, Hugh et Liv Crain, un couple d’entrepreneurs, accompagnés de leurs cinq enfants, emménagent dans une vieille bâtisse abandonnée, qu’ils ont acquis dans l’idée de la réhabiliter pendant l’été pour la revendre ensuite à un bon prix. Mais rien ne va se passer comme prévu. Un quart de siècle plus tard, les enfants Crain et leur père forment une famille éclatée et dysfonctionnelle, chacun gérant à sa manière le traumatisme et les souvenirs incertains de cet été qui s’est conclu par la mort de la mère.
Commençons par le commencement, même si ce n’est sans doute pas le point qui passionnera le plus les foules : en tant qu’adaptation, déjà, The Haunting of Hill House est une expérience fascinante. Il se trouve que, de façon générale, je suis très fan de Shirley Jackson (qui reste très méconnue et quasiment pas traduite par chez nous, mieux vaut lire l’anglais…). Je garde également un souvenir, certes un peu lointain maintenant, mais tout à fait positif de l’adaptation cinéma signée Robert Wise.
De ce point de vue, le travail de Mike Flanagan (dont je ne connais absolument rien d’autre à ce jour) est désarçonnant car on peut, de prime abord, se demander ce que la série a en commun avec sa source en dehors du titre et du trope de la maison hantée… mais en fait, plus l’on avance et plus l’on peut se rendre compte de la façon dont il s’est emparé de ce matériau original, avec respect et intelligence mais aussi inventivité. Flanagan emprunte ainsi assez massivement au roman d’origine — noms, traits de personnalité (parfois en explicitant ce qui était implicitement suggéré dans le roman, comme l’homosexualité de Theo, parfois en présentant ces traits sous un jour différent, comme la présentation initiale de Luke en tant que « menteur », « voleur » et entretenant de « mauvaises fréquentations », qui dans la série s’explique par son statut de junkie), évènements, voire citations directes de dialogues ou de blocs de texte —, mais en les reconfigurant librement. Il en résulte un récit dont le pitch, le propos, et la conclusion sont originaux mais pourtant adossés, voire inextricablement liés, à la « tradition » de la source d’inspiration d’origine auquel il rend hommage.
C’est bien beau tout ça, me direz-vous, mais si on n’a pas lu le roman, voire pas vu le film, est-ce que la série a aussi un intérêt ? Heureusement la réponse est : mille fois oui.
En tant que série d’épouvante / horreur, The Haunting of Hill House s’avère d’autant plus redoutablement efficace qu’elle fait appel à toute la gamme du genre, de l’ « inquiétante étrangeté » au gore frontal. Là encore, ceci dit, la série se démarque par une recomposition de ces éléments d’une manière que l’on attendrait pas forcément. Par exemple, un jump scare n’est pas forcément la culmination d’une atmosphère oppressante qu’il vient rompre, mais peut s’intégrer au contraire dans la continuation de celle-ci. Par ailleurs, Flanagan prend à revers la « méthode Val Lewton » qu’utilisait Wise (on ne voit rien, on imagine tout) en emplissant les arrière-plans d’éléments potentiellement angoissants — reflets ou fragments d’apparition spectrale, statue dont la tête tourne d’un plan à un autre —, mais pas immédiatement perceptibles pendant que l’attention est focalisée ailleurs (pour certains, même en sachant ce qu’on cherche sur un arrêt sur image donné, ce n’est même pas franchement évident !), ce qui participe au sentiment d’étrangeté et d’oppression sans qu’on puisse directement « mettre le doigt dessus ».
Mais si la série prend aux tripes, elle sait aussi électriser l’intelligence et toucher au cœur. C’est que Hill House ne cultive pas la frousse pour la frousse mais s’en sert comme d’un élément parmi d’autres pour brosser le portrait d’individus ravagés (et tous complexes), qui vont devoir mettre à nu leurs cicatrices et affronter leurs démons, métaphoriques ou pas. Si l’horreur fonctionne, c’est aussi — et c’est en cela que la série se rattache à Jackson et Wise — qu’elle ne fait vraiment irruption que là où le coup portera aussi émotionnellement, lié intimement à ces personnages auxquels on s’attache malgré leurs multiples failles.
La plupart des épisodes sont fortement centrés sur un personnage particulier de l’histore. De l’un à l’autre, les scènes parfois se recoupent, dévoilant un autre point de vue ou des éléments supplémentaires (pour ça et pour les jeux d’échos qui forment, de façon générale, l’armature de la série, la consommation en mode binge watching est fortement recommandée). Scènes dans le temps présent et flashbacks sont liés de façon quasi systématique par des raccords-mouvements, un procédé qui peut vite devenir gonflant quand il est utilisé à tort et à travers (fuck you Luc Besson), mais qui ici fonctionne parfaitement, donnant l’impression de nous traduire la psyché des personnages en une sorte de « mind palace », venant redoubler l’espace — voire l’espace-temps — à géométrie variable de Hill House. La maestria formelle (mais là encore, au service du récit et non pas gratuite) monte encore d’un cran avec l’épisode 6, composé de longs plans-séquences — le principal dépassant les dix-sept minutes —, l’absence de coupes abolissant toute frontière entre le « normal » et le « surnaturel », le « réel » et l’ « hallucination », voire même entre le présent et le passé.
Une série flippante, émouvante, intelligente, éblouissante, qui vaut beaucoup mieux que ce que peut laisser suggérer sa bande-annonce (mal foutue, à mon avis). À rattraper d’urgence, il n’y a aucune raison que je sois tout seul sur ce topic !!