THE MICHAEL MOORCOCK LIBRARY (Collectif)

Même par beau temps ?

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Récemment (bon, c’est dans le cadre de la traduction d’épisodes de Tom Strong, mais chut, je vous ai rien dit), je resongeais à la discussion qu’on a eue au sujet de l’influence de Moorcock sur les comics. Et je me disais que, au final, c’est peut-être au niveau des univers parallèles et des versions alternatives que c’est le plus sensible.

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Bon, les versions alternatives de personnages, c’est pas une idée nouvelle dans le monde des super-héros. Umberto Eco en parlait quand il évoquait les « untold tales » et les « imaginary stories » (visant essentiellement Superman, mais on peut élargir), et ce grand esprit se référait assurément à une période que Moorcock (et d’autres, je pense à Zelazny) ont dû lire dans leur jeunesse. Donc les versions parallèles des héros, ça ne date pas de ces deux écrivains (et quelques autres). Mais Moorcock, avec son « Multivers », a imposé l’idée qu’on pouvait trouver des versions à géométrie variable du même personnage.

Et là, avec les mondes parallèles (appréciés par Roy Thomas, lui-même inspiré du système Terre-1 / Terre-2 instauré dès 1961 dans Flash #123), on a un équivalent. Des concepts comme le « what if » chez Marvel ou le « Elseworld » chez DC viennent directement de là, ce dernier raffinant la sauce un peu plus.

Au-delà des épées enchantées, des objets maudits, des artefacts parasites d’un côté, et des mondes alternatifs de l’autre, je crois que l’expression la plus moorcockienne du super-héros, on la doit à Alan Moore, qui décidément aura marqué son époque à plein de niveaux. Je n’ai pas en tête l’ensemble des aventures du Captain Britain, ni l’ordre d’icelles, mais durant la période Moore, on a droit à une déclinaison intéressante du corps d’élite, et à l’apparition (suggérée ou non) de versions alternatives de mondes et de personnages (le motif du phare reprend celui de la tour qu’on trouve dans Une chaleur venue d’ailleurs, ce qui me semble éloquent).

Et je crois qu’on ne dira jamais assez l’impact qu’a eu ce concept sur l’ensemble de la production, qu’il s’agisse bien entendu des X-Men de Claremont (qui adore montrer des versions alternatives de ses personnages), mais aussi d’épisodes de séries telles que Authority, par exemple.
Et à bien y réfléchir, je crois qu’il est là, l’apport le plus moorcockien aux comics.

Jim

Complètement : ton propos illustre clairement ce qui saute aux yeux, au regard de l’influence de Moorcock. Plus j’y pense, plus Alan Moore apparaît comme l’un des héritiers, plutôt l’un des passeurs d’idées de Moorcock dans les comics les plus évidents, et efficaces.
Captain Britain et son Corps sont, évidemment, pleinement intégrés dans les thématiques de Moorcock… et, finalement, aussi proche du Champion Eternel, dont nous parlions ailleurs !

Très intéressant, tout ça. Vous me donnez envie de me replonger dans mes Moorcock (ma dernière lecture d’un de ses romans doit bien remonter à une bonne dizaine d’années)…

Il y a une édition anglaise d’Elric qui affiche sur sa couverture une citation de Gaiman, disant en substance que la dette qu’il a envers Moorcock est impossible à rembourser. Je pense que Moore est dans le même cas.

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Ce qui est intéressant, dans la série Tom Strong, c’est que Moore montre des univers parallèles dans lesquels s’agitent des versions alternatives de son héros (un épisode fameux voit Tom et Tesla rencontrer leurs doubles, et ils me semblent tous être des références à des univers existants - Tarzan, Judge Dredd, sans doute aussi le Hawksmoor d’Authority - tout en commentant les caractéristiques de Tom lui-même). Et ça, c’est éminemment moorcockien (la référence à Tarzan renvoyant à Burroughs, grosse influence sur Moorcock, ça devient vertigineux).

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Et du coup, Tom Strong, avec des doubles dimensionnels mais aussi ses « frères » que sont Tom Strange ou Tom Stone, est une sorte de « champion éternel » lui aussi. Du coup, l’hommage que Moorcock lui rend dans deux épisodes de la série de Moore arrive avec un naturel désarmant.

Jim

Oui.
Après, j’aime énormément Alan Moore, je l’estime grandement, et j’ai conscience qu’il est, réellement, le meilleur scénariste de comics de tous les temps. Mais, parfois, j’ai l’impression qu’il n’assume pas forcément ses influences - ou, plutôt, qu’il ne les annonce pas. Ce qui fait que ceux qui ne savent pas passent à côté, et qu’il y a parfois des imbroglios, où des idées sont mises au profit de Moore, alors que ce n’est pas forcément le cas.

Rhôô, on te voit venir avec tes sous-entendus, espèce de suppôt de Grant Morrison ! :stuck_out_tongue:

Roooooh. :wink:

C’est clair que l’ermite barbu est assez avare de confidences sur son parcours de lecteur, là où Morrison s’est davantage épanché à mille occasions.
Mais c’est aussi l’un des charmes de la pop culture : croiser des références, même parfois sans les connaître, et les redécouvrir, même tardivement.

Jim

En effet.
Même si Moore m’a perdu sur sa Ligue depuis Century : j’aimais sa Ligue quand il racontait une histoire avec, en secondaire, des références ; depuis Century, il entend parsemer ce qu’il y écrit de références, avec en secondaire une histoire. Et ça ne me correspond pas.

C’est marrant, parce que je n’ai absolument pas ce ressenti. Même avec Century, c’est l’histoire en premier lieu. Il n’y a rien de bien difficile à comprendre d’ailleurs. Que les références soient plus nébuleuses pour les lecteurs que Hyde et l’homme invisible, je comprends. Mais il n’y a pas de changement de braquet sur la manière de mettre en œuvre.

Je pense que c’est davantage le lecteur qui se met en retrait parce que les références lui paraissent moins folles à mon sens.

Et c’est Moore qui a développé le même concept dans Suprême ?

Peut-être, en effet, que les références étant moins accessibles, et les personnages moins connus ou charismatiques, ça a moins pris sur moi.

En cherchant un peu, j’ai l’impression que les racines plongent dans le travail de Dave Thorpe, qui est le scénariste que remplace Moore sur Captain Britain. Je n’ai jamais lu ses épisodes, mais quand Moore arrive, on est déjà dans un univers parallèle, identique à celui dont provient Captain Britain, mais où les héros ont été exterminés, et ce sont ceux qu’on connaît (Miracleman, etc…). Donc déjà, l’idée des versions alternatives, il ne fait que la reprendre, si je comprends bien.
Après, le monde où se réunissent tous les Captain Britain, Otherworld (Avalon), est une création de Moore, justement en extrapolant le concept de Thorpe. Et ça annonce un peu la « Supremacy » de Supreme (création de Moore), et si on continue, également l’Immateria de Promethea (création de Moore).

Et là, comme ce sont des endroits qui sont, d’une manière ou d’une, au centre des « multivers » respectifs (le Multivers Marvel, le Multivers de l’archétype du surhomme et le Multivers de l’imagination), on peut éventuellement y voir aussi un écho d’Ambre (chez Zelazny). Et là, on se rend compte que Roger Zelazny (auteur publié par Moorcock dans New Worlds) a aussi sa propre influence sur les comics. Rien que la Cynosure, ville pandimensionnelle au cœur du Grimjack de John Ostrander, lui-même grand fan de Zelazny).
La construction en cercles concentriques de l’univers mis en scène dans la saga des Neuf Princes d’Ambre, avec les « ombres », ces univers de plus en plus différents à mesure qu’on s’éloigne d’Ambre, au centre de la création, a quelque chose de purement comics, il faut bien le dire.

Jim

Avec vos conneries, j’ai envie de replonger dans Moorcock, mais j’ai pas le temps.

Je serais assez d’accord avec Ben à une nuance près : pour moi la bascule ne se fait pas tant sur Century que sur Nemo. Je suis plutôt d’accord avec Jack concernant Century, même si dans le premier tiers, la façon très lourde dont est gérée la référence à L’Opéra de Quat’ Sous pose déjà problème à mon sens. Mais dans Nemo — et ce n’est pas un problème d’obscurité des références : sans vouloir me vanter, je maîtrise à peu près cet aspect —, vraiment, ce n’est plus que de l’accumulation de références, avec à chaque fois une course-poursuite prétexte pour les aligner mais les enjeux dramatiques sont étiques et le développement de la psychologie des personnages quasi-inexistant. Bon, je n’ai pas encore essayé The Tempest, la dernière déclinaison en cours du concept, mais j’ai un peu peur.

On a toujours du temps pour Moorcock.

Une influence que l’on retrouve aussi si je ne m’abuse chez les FF de Simonson (la spécificité de l’affrontement dans le #352).

Il y a une version "Judge Dredd"de Tom Strong?

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Dans la petite histoire « Too Many Tesla ? » déjà citée plus haut, on voit quelques variantes de Tom Strong, donc un gars chauve en armure. À première vue, il pourrait ressembler à une version lexluthorisée, mais en fait, il utilise des jurons décalés (« freckin’ » en VO, « proutain » en VF), il évolue dans un monde irradié et il dit clairement qu’il vit en l’an 2000 (en « 2000 A.D. »), donc ouais, c’est de toute évidence la version Judge Dredd de Tom Strong. De même qu’on a une version Archie dans la même image…

Jim