Ce week-end a été l’occasion d’obtenir une réponse à une interrogation qui date de près de 25 ans.
Resituons : j’ai découvert Watchmen dans la VF de Zenda, soit dans la traduction de Manchette. Je n’ai relu la série en VO que des années plus tard. Ce qui fait que pendant longtemps, à force de lire et relire l’édition française, certains dialogues et certaines bulles sont restées dans ma mémoire.
Vendredi dernier, au SOB (à la journée pro, plus précisément), je trouve le CinémAction Hors série : cinéma et bande dessinée de 1990, que je cherche depuis très longtemps. J’y déniche entre autres un entretien avec Alain Resnais, qui cause de Stan Lee, et comme mon bouquin est déjà maquetté, je n’ai que le temps de changer une note afin d’évoquer la référence.

Et en parcourant la revue, je tombe sur un article de Frédéric Pomier, « la question du point de vue », qui reproduit, parmi d’autres, une case des Bijoux de la Castafiore, moment où les personnages, dessinés avec un trait zébré et tremblant, voient flou. Et Haddock insiste et précise : « J’ai du shimmy dans la vision ».
Là, je reste interdit.
En effet, « J’ai du shimmy dans la vision », je l’ai déjà lu. Précisément dans le deuxième épisode de Watchmen, dans la scène de flashback où les Minutemen sont pris en photo. C’est la première Silk Spectre qui dit ça.
La grande question remonte à la surface, alors : c’est quoi, du shimmy ? On voit bien l’idée, mais à part ça ? Je google fissa, pour apprendre que le shimmy est une danse jazzy et frénétique des années 1920. L’image commence à s’éclaircir, si j’ose dire : les yeux font la danse de saint-gui, en d’autres termes. OK, je comprends. Étant logé par un ami qui a la VO, je m’empresse de vérifier ce dont il me semblait me souvenir, à savoir que le Silk Spectre dit, en anglais, « I’ve got spots in my eyes ». Fort bien, tout concorde.
Le lendemain, je passe chez Pulps, et je vérifie dans la version d’Urban Comics qu’ils ont en rayon, dont je me souvenais que la rédaction avait repris la traduction de Manchette utilisée par Zenda puis Delcourt. Là, je trouve « J’ai des étoiles dans les yeux ». Je suis amplement perplexifié : aurais-je rêvé ?
J’oublie quelques temps, dans le tourbillon d’événements du SOB, l’affaire qui m’occupe, mais lundi, je passe chez Delcourt. Comme je suis un peu en avance, je m’abîme dans la contemplation de leurs archives comics, et je tombe sur le coffret Watchmen / V pour Vendetta. Je me précipite sur l’objet, je retrouve la page, et j’ai confirmation : la Silk Spectre dit bien « J’ai du shimmy dans la vision ».
Hergé télescopant Moore ! Formidable !
Ce matin, pris de quelque scrupule méthodologique, je fouine un peu sur la toile pour m’assurer que « I’ve got spots in my eyes » n’est pas une référence quelconque, songeant aux paroles d’une chanson jazzy, par exemple. Ne trouvant rien de probant, et admettant que Manchette n’a pas remplacé une référence par une autre référence, j’en déduis que le romancier traducteur a saisi l’occasion pour un peu faire le pitre et placer une référence à Tintin. N’étant guère tintinophile moi-même, même si j’ai toute la série (que je n’ouvre quasiment jamais, mal m’en prend apparemment), je n’aurais jamais compris la référence si le hasard ne m’avait conduit sur les traces de l’article de Pomier.
De mes recherches, j’ai conclu que Zenda et Delcourt ont respecté à la lettre les directions données par Manchette, mais que la rédaction d’Urban a préféré changer la bulle, peut-être parce que la référence s’était perdue et qu’il n’y avait plus personne pour l’expliquer.
Jim