1941-2021 : BON ANNIVERSAIRE WONDER WOMAN !

Dans Wonder Woman #188, Mike Sekowsky ajoute à son chapitre consacré à la trilogie de Cyber (où I Ching retrouve sa maléfique fille Lu Shan) une petite histoire de deux pages intitulée « Crime Does Not Pay! » qui, sous ses allures de petit récit anecdotique, confine au règlement de comptes.

Tout commence alors que Diana Prince fait des courses dans un grand magasin, au rayon parfums pour hommes. Mais un pickpocket sévit et subtilise son sac… avant d’être prestement rattrapé par l’héroïne, qui arrête le voleur devant tous les clients. Elle passe pour une courageuse visiteuse…

… jusqu’à ce qu’une autre cliente s’en prenne à elle. On comprend qu’il s’agit d’une complice du premier détrousseur, puis on découvre qu’il s’agit en fait d’un travesti, recourant à ce subterfuge afin d’approcher plus facilement des victimes qu’il déleste. La police arrive et s’empresse de passer les menottes au redoutable « Creepy Caniguh », un voleur à la tire bien connu de leurs services. Et quand on y regarde de plus près, on voit bien que Sekowsky a donné au voleur les traits de Robert Kanigher.

La volonté de Mike Sekowsky de s’émanciper du modèle Kanigher en donnant à l’héroïne une plus grande profondeur, des aventures modernes loin de la mièvrerie fadasse des années précédentes, et en l’imposant comme une figure féminine émancipée digne d’être un modèle (bref, en revenant aux sources moultoniennes), se teinte ici d’une volonté évidente de prendre position contre Kanigher lui-même. La série devient ici, clairement, le terrain d’opération d’une guerre éditoriale qui n’a pas fini de faire des vagues.

L’affaire est évoquée ici.

Jim

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Ça y est, on a dépassé les cent mises à jour de l’index (premier post).

Jim

Tiens, ils ne font pas partie du titre spécial Asie de DC, tous les deux ?

Tori.

Mike Sekowsky dessine d’après modèle pour la série Wonder Woman. La mannequin s’appelle Joyce Miller.

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D’après Scott Shaw!, il s’agit d’une mise en scène organisée par DC, dans le cadre d’une campagne publicitaire.

C’est la même, qui chante ça ?

Tori.

Je ne sais pas.
Je n’ai pas l’impression, mais je n’ai pas encore trouvé d’information claire.

Jim

Le visage ressemble, et c’est la même époque… Le doute est permis.

Tori.

Va falloir creuser, un jour.

Jim

Pendant qu’il s’occupe de Wonder Woman, titre à l’époque bimestrielle, Mike Sekowsky reprend également les rênes de la série Adventure Comics abritant les aventures de Supergirl. Celle-ci est considérée comme « semi-monthly », si l’on en croit l’ours, mais paraît, peu ou prou, tous les mois.

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Dans un premier temps, Sekowsky ne se charge pas toujours de l’ensemble. Le sommaire étant fréquemment distribué en deux récits, il lui arrive de n’en dessiner qu’un (et c’est, comble de l’ironie, Robert Kanigher qui s’occupe de l’autre). Sekowsky sera présent au générique, hors réédition (le #403, par exemple), du numéro 397 au 409, laissant des aventures rythmées et diverses, dans lesquelles il explore plusieurs genres, un peu à l’image de ce qu’il a entrepris sur Wonder Woman.

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Donc, ses deux premières histoires paraissent dans Adventure Comics #397, orné d’une couverture de Carmine Infantino (où ce dernier s’encre lui-même, et c’est toujours une réussite). Celle qui ouvre le sommaire s’intitule « Now… Comes Zond! » et débute avec une pleine page évocatrice. Ici aussi, on sent la volonté de rompre avec ce qui a été fait précédemment (par Kanigher ou Bates) et de marquer le coup.

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L’histoire commence alors que, pour se changer les idées, Linda Lee Danvers file dépenser ses sous dans une boutique de fringues dont l’héroïne et les lecteurs reconnaissent la propriétaire, Diana Prince. De retour l’université de Stanhope, elle apprend qu’une jeune sourde-muette a été retrouvée dans le coma. Utilisant des pouvoirs mentaux (dont j’ignorais qu’elle en possédait), elle apprend l’existence d’une secte qui sévit sur le campus. Supergirl tente d’infiltrer le groupe religieux, mais elle est démasquée et passée à tabac. Prenant conscience que Zond, le gourou, dispose de pouvoirs qui la dépassent (et se retrouvant avec un costume en lambeaux), elle se tourne vers la voisine, Diana Prince.

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Contre toute attente, celle-ci se tourne alors vers une alliée inattendue, Morgana, qu’elle a affrontée dans un épisode de sa propre série. La fille de Morgane la Fée n’est pas très heureuse d’être à nouveau invoquée sur Terre, mais quand elle apprend que Zond est de la partie, elle entre dans une vive colère.

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Les trois femmes décident de retrouver les fanatiques. Mais avant cela, Diana, estimant que d’autres atours leurs sont nécessaires, décide de relooker Supergirl (ce qui nous vaudra un nouveau costume le temps de la période Sekowsky) et de donner à Morgana une allure plus passe-partout.

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Le trio intervient, permettant à Morgana de reprendre le grimoire que Zond a dérobé à sa mère et de le ramener en son royaume afin qu’il soit jugé. En échange, et sur demande de Supergirl, elle utilise sa magie afin de sortir la jeune étudiante de son coma.

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Sekowsky signe pour l’occasion une autre histoire, « Supergirl Meets Nasty », où la blonde héroïne est confrontée à une nièce de Lex Luthor. Comme pour le premier récit, le dessinateur s’encre lui-même : le style est moins enlevé (effet renforcé par le fait qu’il recourt à plus de cases que pour Wonder Woman), mais le trait plus épais n’est pas sans évoquer le style d’Alex Toth.

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Jim

Planche originale pour une publicité par Mike Sekowsky et Dick Giordano :

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Jim

Dessins de Dick Giordano destinés au packaging de jouets :

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Jim

Wonder Woman vue par Kurt Schaffenberger :

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Jim

Réification.

La différence entre un costume qu’on veut t’imposer et un que tu choisis.

Et parfois pour que le lecteur s’identifie… Quand ce lecteur est masculin, c’est plus facile de rendre ce personnage masculin aussi.

J’aime bien parce que les Américains utilisent aussi « Orient », alors que pour eux, ce serait plutôt l’Occident (et l’Extrême-Orient serait le Proche-Occident, même).

Et tu m’as donné envie de me procurer ces quatre bouquins, c’est malin !

Tori.

Je revendique mon droit au néologisme.

Jim

Je découvre qu’en 2018, DC a publié un omnibus reprenant toute cette période, sous une nouvelle couverture de Garcia-Lopez (et rien que pour elle, c’est tentant), où Diana est représentée, me semble-t-il, davantage en émule de Beatrix Kiddo que d’Emma Peel :

Wonder Woman: Diana Prince: Celebrating the '60s Omnibus

Now collected in its entirety for the first time ever: Wonder Woman–a super-hero no more! As secret agent Diana Prince, she takes on international crime with the help of her new mentor, the mysterious I-Ching.

In these stories from the late 1960s, Wonder Woman leaves her super-powers behind to become an ultra-mod, globetrotting secret agent. With a new costume and a new attitude, Diana Prince fights crime like never before! These adventures, from such comics luminaries as Dennis O’Neil, Robert Kanigher, Mike Sekowsky and more, have remained uncollected for years until this oversize omnibus edition!

No Wonder Woman collection is complete without this legendary part of her deep history, Wonder Woman, Diana Prince Omnibus (50th Anniversary Edition) !Collects Wonder Woman #178-204 , Superman’s Girl Friend Lois Lane #93 , The Brave and the Bold # 87 and # 105 and World’s Finest Comics #204 .

  • Éditeur : DC Comics; 1er édition (25 décembre 2018)
  • Langue : Anglais
  • Relié : 736 pages
  • ISBN-10 : 1401285295
  • ISBN-13 : 978-1401285296
  • Poids de l’article : 2.09 kg
  • Dimensions : 18.69 x 4.17 x 28.27 cm

Visiblement, il n’y a rien de plus que ce qu’on peut trouver dans les quatre volumes que j’ai évoqués. Peut-être quelques illustrations, va savoir. Je trouve dommage que le récit que Sekowsky a consacré à Supergirl ne soit pas compilé avec : Diana Prince y tient clairement un rôle secondaire, mais entre sa présence, l’évocation de son magasin de fringues et la présence de Morgana, je trouve que ce chapitre méconnu s’intégrerait très bien dans la saga.

Jim

La reprise de la gestion éditoriale de Wonder Woman ne s’est pas faite dans le calme et la bienveillance. On a vu que le titre était le théâtre de règlements de comptes entre auteurs. On a vu aussi que Kanigher, dès qu’il a pu, a bien fait comprendre que Diana Prince n’était pas la « vraie » Wonder Woman, donnant pour preuve le fait qu’elle puisse se retrouver prisonnière d’une usurpatrice kryptonienne.
La lecture du livre de Jill Lepore, et surtout de sa conclusion, apporte quelques éléments complémentaires qui viennent éclairer mes commentaires des quatre TPB de la période Diana Prince Wonder Woman.

À la lecture de ces éléments, il n’est pas impossible que la série soit prise dans une sorte de cercle vicieux : l’atmosphère chez DC n’est pas au beau fixe, cela se ressent dans les scripts et les clins d’œil cruels (Kanigher en pickpocket travesti, Infantino en patron exploiteur), qui à leur tour pourrissent l’ambiance…
On notera aussi qu’au moment où Kanigher revient, le titre est toujours bimestriel. Si la revue n’est pas redevenue mensuelle, c’est sans doute que les ventes, faibles au moment de la transformation par O’Neil, n’ont guère remonté. On peut imaginer, sans trop se tromper je pense, que la direction a estimé que l’expérience n’avait pas porté ses fruits.
On regrettera (et moi le premier) que la dernière tentative orchestrée par O’Neil n’ait pas abouti, cependant…

Jim

Merci pour tous ces beaux résumés ! Ils témoignent que cette version « powerless » de Wonder Woman n’est absolument pas aussi infâme que ce que la légende laisse croire.

Rien que de faire quelque chose sur l’avortement, ça aurait eu l’effet d’une bombe au moins (si ce n’est plus) importante que l’épisode sur l’addiction de Roy Harper !

J’en avais un bon souvenir (j’ai lu les épisodes en 2008, quand j’ai acheté les tomes à leur sortie), mais assez flou (les différents passages fantasy orchestrés par Sekowsky, je les mélangeais, par exemple, et j’avais l’impression que Denny O’Neil avait tout écrit…). Replonger le nez dedans, d’une manière un peu plus inventive, a été un vrai plaisir.
Déjà, c’est très joli. Sekowsky se révèle, je trouve, par rapport à ce qu’il faisait sur Justice League of America par exemple. Dick Giordano, c’est super chouette, et les quelques passages de Don Heck sont vraiment de premier ordre.
Mais la modernité ne se contente pas de se trouver au niveau visuel. Le personnage est redéfini mais sans contradiction avec ce qui avait été fait avant. Les auteurs parviennent à lui conserver des sentiments et des désirs, elle regarde les autres hommes, elle n’est pas insensible au charme d’untel ou d’untel. Mais elle maîtrise tout ça, elle fait des choix, elle va au bout de ses idées.
Et puis, il y a cette représentation de la guerrière, capable de prendre l’épée si besoin, de conseiller les troupes, d’organiser les attaques. Et ça, c’est une sacrée rupture. Ça dépasse et de loin la pâle copie de Modesty Blaise à laquelle on résume bien souvent cette période.

Oui, ça, ça aurait cogné. Bon, je pense que même si les autres récits (le proviseur, par exemple), auraient pu trouver leur chemin jusqu’aux lecteurs, mais celui sur la clinique, à mon avis, il était condamné d’avance.

Jim

Jim