RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

Le quatrième et dernier recueil de l’édition 2008 de Diana Prince Wonder Woman couvre les derniers mois de cette période légendaire, portée par sa réputation, mais finalement assez méconnue. Et qui mérite la redécouverte, cette nouvelle relecture ayant ravivé les bons souvenirs (mais flous) que j’en gardais.

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Donc, le sommaire reprend après les deux épisodes supervisés par Dorothy Woolfolk. Cette fois-ci, Denny O’Neil reprend la direction éditoriale du titre ainsi que le scénario, avec la complicité du dessinateur Don Heck et de l’encreur Dick Giordano, pour l’épisode 199. Je suis particulièrement client des planches de Don Heck, un dessinateur académique au style nerveux, dont le rendu final dépend beaucoup du travail de l’encreur. En l’occurrence, l’association des deux illustrateurs nous vaut un très bel épisode, où le maniérisme du premier et le réalisme crispé du second font merveille.

L’histoire commence alors que Diana Prince fait la rencontre, musclée, avec Johnny Double, un personnage de détective privé créé par Marv Wolfman et Len Wein dans Showcase #78, en 1968. Ce dernier entraîne son équipière improvisée dans une mission de protection auprès de Fellows Dill, un magnat de la presse ayant fait fortune sur la plastique de jolies femmes, et dans lequel on pourrait reconnaître la figure de Hugh Hefner ou de Larry Flynt.

Avec sa légèreté habituelle (on ne peut pas reprocher à O’Neil sa volonté d’aller grattouiller là où ça démange et de s’intéresser à la société qui l’entoure, mais ses scripts résonnent souvent du bruit que font ses gros sabots, surtout quand ça touche au féminisme), le scénariste pointe du doigt les petites tenues de playmates et des serveuses et la chosification de la femme, mais il enrobe tout ceci avec de l’humour : quand Diana refuse d’enfiler une de ces tenues, le lecteur ne peut que penser, avec un sourire au visage, aux maillots à étoiles qu’elle a pourtant portés pendant des années.

Autre chose de remarquable dans le script d’O’Neil, sa volonté de faire revenir l’expression « Wonder Woman » à la moindre occasion. Si Diana est l’héroïne toute de blanc vêtue, le scénariste cherche à rappeler qu’elle est une super-héroïne, qu’elle mérite de porter le titre de la revue. Est-ce aussi un moyen de préparer son lecteur à un éventuel retour à l’ancienne formule, l’auteur sentant le vent tourner ? C’est discutable, d’autant que nous sommes à dix mois de la transition violente, et qu’il est un peu tôt pour pressentir quoi que ce soit. Cela dit, comme on l’a vu précédemment (et comme ça sera évoqué un peu plus loin dans ces lignes), Wonder Woman est le théâtre d’opération d’une véritable guerre de tranchées éditoriale opposant de fortes personnalités de la rédaction, parmi lesquelles des vétérans du métier. Et ça, O’Neil devait le sentir, d’autant qu’il a la charge du titre et qu’en toute logique il doit fréquenter les locaux bien souvent et en prendre régulièrement la température.

L’intrigue d’O’Neil entraîne Diana Prince et Johnny Double dans une lutte contre une secte mâtinée d’organisation secrète, avec ses faux airs de Ku-Klux-Klan, partie en croisade contre le mauvais goût qu’incarne Fellows Dill et sa dégradation de l’image de la femme. Le scénariste ponctue son récit de séquences qu’il affectionne, notamment les scènes d’entraînement de la belle aventurière. Il revient à la structure qu’il avait exploitée dans les tout premiers récits de cette formule, et on pourra lui reprocher, une fois de plus, d’avoir associé Diana à un personnage masculin. Certes, ce dernier est un faire-valoir, et on sait que les faire-valoir sont là afin de fournir au personnage central un contrepoint, un interlocuteur. Mais tout de même, pour une série censée mettre en scène une héroïne indépendante, le passage de Sekowsky à O’Neil se fait sentir.

L’épisode se conclut quand Double est victime d’un tir… et c’est Dill qui a appuyé sur la détente ! Le chapitre suivant est dessiné par Dick Giordano, qui n’a rien à prouver sur sa manière de dessiner de sportives héroïnes (en 1975, il dessinera Stephanie Starr dans Star*Reach, et ça sera aussi beau).

L’intrigue évolue : on découvre que Fellows Dill a subi un lavage de cerveau, ses pensées étant contrôlées par quelqu’un d’autre. Cette personne, qui « déteste la beauté », s’avère être le Docteur Cyber, à nouveau de retour, portant un masque de fer dissimulant les horribles cicatrices héritées de sa dernière apparition. Ainsi, Denny O’Neil intègre les idées et les avancées de Sekowsky (dans l’épisode précédent, avec Heck, il avait déjà mis en scène Diana brandissant une hache : la guerrière est bien là !) et solidifie le modèle Modesty Blaise qu’il a imposé deux ans auparavant.

Une partie de l’entreprise d’O’Neil consiste à replacer Diana Prince dans l’univers DC. Certes, ce n’est pas le pan le plus spectaculaire et le plus coloré de ce monde de fiction, mais la série n’évolue plus en vase clos. Outre la continuité renforcée et la présence de Johnny Double, on note la présence du Doctor Moon, qu’il vient de faire apparaître dans Batman au mois de mars de la même année.

Le phénomène s’accélère avec le diptyque suivant (toujours illustré par Giordano), où Diana Prince et I Ching affrontent une secte asiatique que ce dernier reconnaît, et embarquent pour un périple en Orient où ils sont suivis par une mystérieuse blonde. Il s’avère que celle-ci n’est autre que Catwoman perruquée. Leur périple les conduit à s’emparer d’une pierre mystique dont les pouvoirs insoupçonnés les transporte dans un autre monde, Newhon, où ils font la rencontre… de Fafhrd et du Grey Mouser.

Ces deux personnages sont les héros d’un ensemble de textes signés Fritz Leiber et connus sous le nom du « Cycle des Épées ». Il se trouve qu’à la même période, Denny O’Neil supervise et écrit une série d’adaptations dans le titre Sword of Sorcery, où les épisodes seront illustrés par les futures vedettes que sont Howard Chaykin, Walt Simonson ou encore Jim Starlin.

L’apparition des deux brigands dans la série Wonder Woman est une sorte de vitrine destinée à attirer l’attention sur la nouvelle production d’O’Neil. Pour les plus curieux, opérons un petit détour rapide :

Pour l’occasion, Denny O’Neil cède l’écriture à Samuel R. Delany qui, à l’époque, est déjà un auteur de science-fiction renommé et récompensé. L’épisode que ce dernier écrit démontre une aisance toute particulière à faire vivre l’ensemble des personnages sans qu’aucun ne l’emporte sur les autres. O’Neil semble avoir trouvé le nouveau scénariste de la série. L’intrigue met également en scène le retour de Lu Shan, la fille maléfique de I Ching, et on ne peut s’empêcher de songer que, tout en réintégrant Diana dans l’univers DC, O’Neil cherche aussi à ranger les jouets, à préparer la sortie. Même si ce sentiment est sans doute injustifié pour les raisons évoquées plus haut, il demeure présent.

Le sommaire de ce quatrième tome fait un petit détour par les pages de The Brave and the Bold #105, écrit par Bob Haney et illustré (magnifiquement) par Jim Aparo. Bruce Wayne et Diana Prince se retrouve mêlés à une guerre de rues opposant les révolutionnaires exilés de la petite république de San Sebastian et leurs opposants politiques. Comme souvent avec Bob Haney, qui semblait avoir plus d’idées qu’il n’était capable d’en canaliser, la caractérisation des personnages est un peu à l’emporte-pièce, le scénariste rajoutant des éléments étranges et saugrenus à son récit, comme cette Amazone « ange gardienne » qui vient sauver Diana au dernier moment, ce qui ne fait que diminuer l’héroïne dans le récit.

Le sommaire reprend avec un récit écrit par Delany, illustré par Giordano et supervisé par O’Neil. Cette fois-ci, Diana vient en aide à son amie Cathy, dans une vague affaire de lutte salariale qui tourne au braquage dans un grand magasin dont le patron arbore les traits de Carmine Infantino.

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Le ton est plus sérieux et d’une certaine manière comparable à ce que Denny O’Neil a déjà fait dans Green Lantern / Green Arrow. Delany témoigne de la volonté de se frotter aux problèmes de son époque et à ce que l’on appellerait aujourd’hui un patriarcat toxique. La légende veut que le scénariste et le responsable éditorial aient prévu six histoires en tout couvrant la thématique du patriarcat, et l’on est en droit de se demander, à la lecture de ce premier volet (qui a ses maladresses et ses lenteurs, mais qui ne manque pas de qualités) si on n’aurait pas eu, pour l’Amazone, l’équivalent des légendaires épisodes de deux guerriers émeraude.

Hélas, le projet est tué dans l’œuf. Le mois suivant, Denny O’Neil est remplacé, en tant que scénariste et responsable éditorial, par Robert Kanigher. Ce dernier, en vingt-trois pages, orchestre une attaque concertée contre Diana, la mort de I Ching, l’arrestation musclée du sniper, le retour comme en transe de l’héroïne sur son île (les Amazones sont rentrées de villégiature), les retrouvailles avec la Reine, un nouveau tournoi, la rencontre avec Nubia et le retour dans le « Monde des Hommes » où Diana Prince obtient un poste à l’ONU.

Kanigher n’y va pas de main morte. Il fait table rase des apports d’O’Neil et Sekowsky, intitule le récit « The Second Life of the Original Wonder Woman », place l’héroïne en position de faiblesse sur la couverture… Il signe cependant un texte dans lequel il salue son prédécesseur, la moindre des choses envers quelqu’un dont il piétine le travail avec autant d’acharnement.

C’est ainsi que Kanigher, dans une vaste entreprise de revanche, revient à ce qui semble pour lui « les sources », à savoir une héroïne effacée, cachée derrière ses lunettes (fort seyantes, certes), loin de l’aventurière indépendante qu’elle a été pendant de courtes années. Il reste de cette période une exploration assez passionnante avec le recul des possibilités de l’héroïne, et de nombreuses idées en germe qui mettront des années à donner des fruits.

Jim

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