Vu aussi et beaucoup aimé la proposition d’Alvarez, qui a l’intelligence d’opter pour un récit simple et sans fioritures philosophico-pouêt pouêt (suivez mon regard), mis en scène (et surtout éclairé) avec une maestria qui force le respect, tout en rendant hommage à l’ensemble de la saga. Coup de force !
Le gros problème des propositions de Ridley Scott (en l’occurrence « Prometheus » et « Covenant »), outre leurs défauts d’écriture patents, et nonobstant leur sublime patine visuelle (le production design et la photo, mon dieu), c’est qu’elles donnaient la nette impression que le vieux réal’ anglais n’avait rien compris à son propre travail sur le premier opus de la saga ; un comble, quand même.
Alvarez, avec une application peut-être un chouïa scolaire, veut donner l’impression rigoureusement inverse, et laisser entendre qu’il a bien compris ce qui fait le sel de la saga. Retour donc à ces ambiances poisseuses de cargos de nuit de l’espace, de lumpenprolétariat du futur… et de sous-texte sexuel épicé. En la matière, peut-être qu’Alvarez en fait précisément trop et n’y va pas avec le dos de le cuillère au niveau symbolique, mais on retrouve ce climat de menace moite, presque l’expression d’un dégoût de la corporalité au sens large, qui faisait le sel du premier « cycle » de la saga (avec des variantes d’un cinéaste à l’autre).
Pour le coup, peu importe que le récit soit assez balisé et donne une impression de manque d’originalité ; le script qui le charpente est très solide, avec un système de plant/pay off évoqué par Jim plus haut savamment usiné, sans qu’on ait l’impression qu’Alvarez nous sorte un bazooka de Tchekhov à chaque dénouement d’un enjeu intermédiaire.
Et thématiquement, si on peut se demander ce que la mention de la figure de Romulus vient foutre dans le titre, on se rend compte qu’elle vient habilement souligner la thématique de la fratrie, mine de rien bien représentée dans les rapports entre persos principaux. Et la fratrie « principale », symbolique et non biologique, vient recouper l’idée de rejet de la biologie qui imprègne le film et un peu toute la saga. A ce titre, la gestion de l’inévitable « androïde » du récit est remarquable d’intelligence. Ridley Scott qui ne semble plus intéressé que par eux dans le cadre de la saga peut manger son chapeau, et sa morgue par la même occasion.
Des défauts ? Bah oui, quand même, au premier rang desquels peut-être cette musique pas toujours inspirée voire hors-sujet en certaines occasions ; les dissonances à la Ligeti qu’on entend par moments sont nettement plus subtiles et efficaces dans ce contexte que ces gros synthés patauds et ce beat/battement cardiaque un peu essoré dans ce type de contexte…
Et évidemment, à vouloir embrasser l’ensemble de la saga dans le système référentiel du film, on se retrouve à « rendre hommage » à des trucs un peu pourraves. Je ne tiens pas « Alien Résurrection » pour un navet intégral, mais je ne suis pas loin de le mettre au niveau des derniers méfaits de Scott en termes d’incompréhension de ce qui fait le sel de la saga… Alors voir l’une de ses « trouvailles » les plus marquantes revenir ainsi, ça fait bizarre, ainsi que les quelques mentions au « lore » mis en place par « Prometheus » dont on se fout un peu (on pourra dire qu’Alvarez assume tout dans la saga, et c’est tout à fait respectable dans l’absolu).
Mais tout de même, une fois qu’on a dit ça : quel pied. Visuellement le film envoie du bois sur tous les plans : photo incroyable (quelle gestion de la lumière, merde), production design qui sent bon la suie et le cambouis, mouvements d’appareil parfois souples parfois nerveux mais toujours bien sentis, découpage parfois hallucinant de brutalité virtuose (sur le duel final, c’est ouf et ça rattrape les problèmes de « look » de l’adversaire mis en jeu)… De manière générale, « Alien Romulus » échappe à ce défaut gigantesque dont est frappée la grosse majorité de la production hollywoodienne actuelle : cette impression d’immatérialité, d’absence de poids concret des choses posées devant la caméra, toutes éthérées et « virtuelles ». Et ça n’a évidemment pas qu’à voir avec l’utilisation ou non des SFX pratiques ou virtuels, même si ça joue. Le regard de cinéaste d’Alvarez est in fine ce qui vient donner le plus de poids et de matérialité aux visions surgies du récit, et c’est bien le moins pour un « Alien », tout pétri de considérations sur l’incarnation et la corporalité. Fût-ce leur versant cauchemardesque.