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Avengers 267 à 269 : « Time…and Time Again ! »/« The Kang dynasty ! »/"The Once and Future Kang !"

Je viens de me farcir ces trois épisodes issus d’une ère classique de chez classique du titre (Stern/Buscema/Palmer aux manettes), et je me suis régalé.

Pour une raison totalement inconnue (de moi, en tout cas), ces trois épisodes n’ont pas été publiés à l’époque par Lug, alors que les Vengeurs figuraient au sommaire du vaisseau amiral Strange. Quelques numéros antérieurs signés par la même équipe (numéros 244 et 245) n’avaient pas été publiés non plus, mais ces derniers étaient liés à la guerre contre les Dire Wraiths/Spectres Noirs, les adversaires de Rom. Le titre consacré à Rom avait été supprimé des pages de Strange pour avoir mis les pieds trop franchement dans l’horreur, on peut donc comprendre cette impasse. Pour la triplette qui nous occupe, c’est plus mystérieux, sans compter que rétrospectivement, ces épisodes me semblent un des sommets du run de Roger Stern, révéré à juste titre.

Roger Stern fait partie de cette « troisième vague » d’auteurs Marvel, comme Frank Miller, Bob Layton ou John Byrne (Stern sera très lié à ces deux derniers, au tout début de sa carrière). Aussi bien « editor » que scénariste, Stern se fait la main sur les Gardiens de la Galaxie, avant de livrer une courte mais mémorable prestation sur « Captain America », avec John Byrne. Il prend une envergure considérable en prenant en mains les destinées du Doc Strange (avec notamment Paul Smith), et surtout de Spidey, d’abord sur « Spectacular… », puis sur la série-mère « Amazing… ».
Auréolé de cette réussite, son arrivée sur « Avengers » au numéro 227 (où il introduit sa création Captain Marvel (Monica Rambeau) dans l’équipe) est mine de rien un petit événement. Y compris en France : Lug, qui a mystérieusement fait l’impasse sur la publication du titre jusqu’à lors, se décide à raccrocher les wagons au moment de l’arrivée de Stern. Un signe. Cette reprise en main de la franchise se fait d’abord, bizarrement, dans cette drôle de revue qu’était Ombrax-Saga, qui publiait auparavant des fumetti (comme « Ombrax » justement) mais accueillera jusqu’à sa disparition les Vengeurs et Thor dans ses pages. Strange prend le relais…

Ce bougre de Roger Stern va rester une bonne soixantaine d’épisodes sur le titre (avec peu de fill-ins, en plus), et encore, il serait bien resté plus longtemps mais se brouille avec l’éditeur-en-chef Mark Gruenwald (excellent auteur par ailleurs lui-même) au sujet de la direction à suivre, et part chez DC.
Son run est surtout associé, pour sa part graphique, à l’excellent tandem John Buscema (pour un de ses derniers travaux « d’importance ») et Tom Palmer (à l’encrage reconnaissable entre mille ; il restera d’ailleurs remarquablement longtemps sur le titre, bien au-delà du run de Stern). La fin du run de Stern est marquée par une succession de « gros » arcs, avec l’enchaînement de « Under Siege » (fameuse saga rééditée il y a peu), des tribulations des Vengeurs au mont Olympe face au panthéon grec, et la saga « Heavy Metal » qui voit les Vengeurs affronter un gang de robots (ce run sera achevé par Ralph Macchio, consécutivement au départ de Stern…).

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L’escamotage en VF des trois épisodes, au-delà de la question de leur qualité, est d’autant moins compréhensible qu’ils sont très « self content ». Ce qui n’exclue pas une certaine sophistication, dont un savant jeu d’équilibriste avec la continuité : la saga met quand même en scène Kang. Un des plus grands adversaires des Vengeurs, mais aussi un personnage à l’ascendance particulièrement complexe, et très jouissive pour le lecteur (notamment celui qui connaît bien les premiers temps du Marvel Universe).

Sorte de personnage composite, « prismatique », le vilain est bien plus que cette espèce d’archétype de « conquérant du futur » (un archétype qu’il incarne parfaitement ceci dit) qu’il semble être au premier abord. Dès sa première apparition, on apprend que Kang fut auparavant un autre personnage Marvel, Rama-Tut, un Pharaon vaincu par les FF dans le passé et qui était en fait…un conquérant du futur. Lee et Kirby ont la bonne idée de « fondre » les deux personnages. Les auteurs suivants leur emboîteront le pas : Kang fut Rama-Tut, mais il sera aussi Immortus (un autre adversaire des Vengeurs) et aussi peut-être le Centurion Ecarlate (qui vient d’une autre réalité), et peut-être même sera-t-il (ou a-t-il été) le Docteur Fatalis en personne !! Cette piste passionnante est livrée par Lee et Kirby dans un annual fameux des FF.
Personnage complexe par nature, immortalisé par quelques sagas mémorables sous la plume de Roy Thomas ou Steve Englehart (la fameuse « Madonne Céleste »), Kang a en plus pour lui une certaine « coolitude » : il a certes un costume un peu étrange mais dégage quand même un certain charisme ; il est impitoyable mais respecte un certain code d’honneur, il a le goût du challenge et du « sport ». Il a même une love-story tragique, avec la princesse Ravonna, issue du rang de ses ennemis dans son futur d’origine (c’est pas Roméo et Juliette quand même, mais on est pas loin…).
Bref, un très chouette perso. Une sorte de Fatalis bis mais avec une personnalité forte et un modus operandi propre (le déplacement temporel).

C’est presque un passage obligé pour chaque scénariste un peu installé dans la durée dans le fauteuil de scénariste des Vengeurs que de pondre « sa » saga avec Kang, et ce sont souvent des gros morceaux bien épiques. Même Brian Michael Bendis, dont on peut juger la prestation sur le titre comme calamiteuse avec quelques motifs valables, fera mouche avec le perso (cette saga qui met en scène une guerre Kang/Ultron n’est pas exceptionnelle, mais se détache du run de Bendis à mon sens).
Roger Stern ne rate pas son coup lui non plus quand il s’attaque au personnage : il signe même une saga fondamentale dans sa biographie fictive.

L’idée de Stern, qui fait ici beaucoup de place au vilain (les Vengeurs à l’exclusion des scènes d’action sont assez discrets tout du long), c’est de jouer sur la biographie très compliquée du perso (tout en étant très limpide, c’est ça qu’est fort) et quelques spécificités propre à l’univers Marvel, concernant les voyages dans le temps.
Dans l’univers Marvel, un déplacement temporel donne lieu à une divergence, à la création d’une autre ligne temporelle ou réalité alternative (c’est le cas dans « Days of Future Past » chez les X-Men par exemple). Stern se dit donc qu’un voyageur temporel comme Kang a dû générer un paquet de versions alternatives de lui-même (sans même compter les « grosses » divergences comme le Centurion Ecarlate…bizarrement absent ici d’ailleurs ; c’est peut-être la seule faille du récit de Stern). Cette idée donne naissance au Conseil des Kang, qu’un scénariste comme Gruenwald (ironie du sort) poussera dans ses derniers retranchements. Mais quand Stern forge le concept, c’est dans son esprit un « one-shot ». Sympa avec ses successeurs, il referme direct à la fin du triptyque la boîte à jouets, et se débarrasse du Conseil. Mais les bonnes idées refont vite surface…

A la base, le conseil est simplement un trio de Kang qui « jugent » et éliminent leurs doubles alternatifs, considérés comme « dégénérés » ou « inférieurs ». Le chef du trio, sorte de Super-Kang reconnaissable à sa cape, veut doubler ses deux redoutables alter-égos et devenir le « once and future Kang ».
Une super idée pour une saga bien classique dans le côté tarabiscoté des péripéties SF, pleine comme un oeuf, et fondamentale pour la compréhension du « héros » : le numéro 269 se charge en effet de retracer l’intégralité de la bio du personnage (j’adore ces récapitulatifs, qui ont quasiment disparu dans les scripts actuels…), et fait l’état des lieux à l’issue de la saga. Eh oui : Kang ignorait une info cruciale connue des Vengeurs (et des vieux lecteurs) ; il y a une autre version alternative de Kang « vieux » : c’est Immortus, le roi des Limbes. La saga s’achève sur la défaite de Kang, investi de la mémoire de tous les autres Kang assassinés ; Stern redonne donc in fine tout son lustre au personnage, qu’on imagine déjà de retour en pleine forme.

Parmi les grandes qualités de cet arc, il y a cette intro très en avance sur son temps (me semble-t-il) et qu’on verrait plutôt chez Remender ou Hickman ces temps-ci. Première surprise : Tornade et Colossus des X-Men ont intégré l’équipe (où ? quand ? même trente ans à la bourre, mes vieux sens de fanboy ont réagi en un réflexe pavlovien). Deuxième surprise : Kang atomise Manhattan et tue tous les Vengeurs ; ah oui quand même !! Une réalité alternative bien évidemment (et le Kang triomphant de celle-ci est vite éliminé par le Super-Kang), mais à l’époque où le procédé n’était pas usé jusqu’à la corde, ça devait faire son petit effet…
Il y a aussi dans l’écriture de Stern une sorte de finesse, qui peut aussi bien l’aider à caractériser dans l’action les personnages (comme ce passage où Hercule, très bourrin chez Stern, peste sur la Guêpe lui donnant des ordres…ce qui anticipe les sombres événements de « Under Siege »), ou lui permettre de faire planer une sorte d’ambiguité fondamentale sur le perso de Kang : est-ce le même que les Vengeurs ont toujours croisé ? le Kang d’origine de « Avengers 8 » est-il le Super-Kang ou a-t-il été éliminé comme un vulgaire pantin ? Combien y a-t-il de Kang ? Quel est le véritable statut du personnage (allié, ennemi) ? Beaucoup de questions se posent à partir de là, et le personnage y gagnera beaucoup…à condition de ne pas le noyer sous une pluie de Kang (Gruenwald encore).
Un élément savoureux et habituel chez Stern (et certains de ses contemporains comme Byrne), c’est le jeu sur des éléments de continuité (Kang s’y prête évidemment à la perfection). Stern revisite les recoins obscurs de certains sommets de l’ère Lee/Kirby (on revisite « Avengers 2 » ou « Fantastic Four Annual 2 » ici ; Stern explique même la disparition de la barbichette de Rama-Tut entre deux épisodes !!!), écartant des pistes (la connexion Rama-Tut/Fatalis, finalement invalidée), en amenant d’autres par contre : c’est dans cette saga que Stern établit par exemple que les Limbes aperçues dans les pages de « Avengers » et celles où Rom exilait les Spectres Noirs, c’est la même chose (c’est simple mais fallait y penser). J’avoue être très friand de ce type d’exercice d’archiviste, pourrait-on dire, sans compter que Stern livre malgré tout un récit « clefs en main » pour le lecteur de passage (un art qui tend à se perdre…).

Kang reviendra un peu plus tard sous un nouvel avatar, Nebula-Kang, dans une saga postérieure signée Walt Simonson…et elle aussi mystérieusement inédite en VF !!! Je n’ai pas lu ces épisodes, mais c’est une saga qui a son importance dans la trajectoire des Vengeurs…

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