DERNIÈRES LECTURES COMICS

En 1976, Jenette Kahn, récemment promue directrice de publication chez DC, met sur pied plusieurs innovation, réfléchissant à un format plus épais ou à un élargissement du catalogue. L’une de ses idées consistent à recruter les meilleurs auteurs de la concurrence (à savoir Marvel). Elle identifie entre autres John Buscema et Steve Englehart. Le premier refusera poliment, préférant rester chez Marvel. En revanche, elle parviendra à convaincre le scénariste de rejoindre son écurie.

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Il faut dire que, la même année, Gerry Conway, qui dirige brièvement la rédaction de Marvel, trouve le moyen de se fâcher avec le scénariste de Captain America, Doctor Strange et Avengers. Ce dernier saisit l’occasion, accepte l’offre et commence à plancher sur de nouvelles histoires pour Batman dans Detective Comics et pour la Ligue dans Justice League of America, deux titres supervisés par Julius Schwartz.

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Et Englehart frappe, dans Justice League of America #140, première moitié d’un diptyque qui laisse encore des traces dans l’univers DC d’aujourd’hui. Ce numéro, daté de mars 1977, voit l’arrivée fracassante d’un être à l’armure brillante, le Manhunter. Ce dernier se défait rapidement de Green Arrow, Black Canary et Green Lantern, et mène la vie dure à Batman avant l’arrivée de Superman et Wonder Woman.

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L’intrus se téléporte, et c’est Flash qui identifie sa destination : l’Himalaya. Et tandis que les héros se mettent en route, une séquence nous permet de faire la rencontre du Grandmaster, le chef du fameux Manhunter qui vient de mettre la Ligue en déroute. On apprend qu’il s’agit de Mark Shaw, un nom familier aux vieux lecteurs, et les notes de bas de case laissent deviner l’entreprise d’Englehart : ranger un peu le bazar qui règne au sein des Manhunter divers qui sillonnent l’univers DC.

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Quand les héros rejoignent leurs équipiers prisonniers, les lecteurs ont entre-temps appris que la bague de Green Lantern ne fonctionne plus (ce qui explique sa surprenante reddition au tout début de l’épisode). Superman, Batman, Flash et Wonder Woman se retrouvent à leur tour prisonnier de la technologie avancée des Manhunters.

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La confrontation amène la discussion, et Green Lantern avoue avoir contribué à la destruction d’une planète. Ses équipiers sont surpris, mais le Grandmaster confirme que cela justifie l’intervention du Manhunter Prime (alias Mark Shaw) et l’arrestation de Hal Jordan en vue de son exécution. Mais Superman ne l’entend pas de cette oreille et envisage d’intervenir.

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Tandis que les Manhunters gardent une partie du groupe en otage, Superman conduit l’autre équipe dans le système de Procyon, près du lieu de destruction de la planète Orinda. Là, les héros découvrent un Gardien de l’Univers visiblement harcelé par les témoins du drame. Autre surprise, ils croisent le chemin du Gouverneur Tozad, qui connaît l’existence de la secte des Manhunters (dont les Justiciers viennent pourtant de découvrir l’existence).

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Tandis qu’un autre Gardien libère les héros sur Terre, les émissaires envoyés dans l’espace découvrent que la planète Orinda n’a pas été détruite, comme le craignait Jordan, mais simplement escamotée à la vue des observateurs. Et le Gouverneur Tozad, quant à lui, s’avère également un membre de la secte des Manhunters.

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C’est sur cette avalanche de mystère qu’Englehart abandonne son lecteur. Si le récit paraît dense, c’est que les épisodes font une trentaine de pages, répondant ainsi à la volonté de DC d’offrir une bonne quantité de lecture aux fans. Et c’est le souhait d’Englehart d’avoir des histoires occupant l’ensemble de la pagination même si, à mon goût, cela fait des épisodes un peu long, parfois un brin emberlificotés, là où des diptyques auraient peut-être mieux fonctionné.

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Toujours est-il que la suite arrive dans le numéro suivant, daté d’avril, ce qui donne une idée de l’abattage de Dick Dillin. Illustrateur de formation classique, comprendre académique, Dillin est le dessinateur régulier de la série depuis le départ de Mike Sekowsky, et il ne l’abandonnera qu’à l’arrivée de George Pérez, livrant une longue prestation. Son dessin sans faille manque peut-être un peu d’énergie, il est parfois un peu trop sage, mais il s’avère d’une grande lisibilité. Et il tient le rythme !

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Tandis que leurs équipiers dans l’espace viennent de découvrir qu’Orinda est toujours en place et que la secte des Manhunters a des ramifications dans l’espace, Green Lantern, Green Arrow et Black Canary affrontent à nouveau le Manhunter qui les a arrêtés.

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Restés sur le satellite, Flash et Wonder Woman sont attaqués par le Grandmaster, qui dresse une barrière autour de leur base. Dans le secteur de Procyon, les Justiciers apprennent du Gardien de l’Univers qu’ils ont sauvé la vérité sur les Manhunters : il s’agit d’être artificiels créés afin de faire régner la justice. Mais ces machines s’avérant incontrôlables, elles ont été bannies et remplacées par des êtres nantis d’anneaux, qui donneront naissance au Corps des Green Lantern.

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Le Gardien raconte comment l’armée est devenue une secte de fanatiques, se fondant dans les diverses civilisations et ralliant des êtres à leur cause dévoyée. Sur le satellite, Wonder Woman utilise une créature croisée dans Justice League of America #130 afin de se libérer du piège tendu par le Grandmaster. Ce faisant, Englehart utilise ici la continuité, comme il le faisait chez Marvel, trouvant des ressources dans les histoires précédentes.

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Sa caractérisation de Wonder Woman procède de la même logique : l’Amazone se montre fière, indépendante, féministe et revendicatrice, de manière peut-être un peu brutale voire caricaturale, mais c’est en lien avec la saga des « Douze Travaux », durant lesquelles elle s’est sentie obligée de faire à nouveau ses preuves auprès de ses équipiers. Englehart fait dire à l’héroïne que les héros n’ont pas compris qu’elle a recouvré toute sa confiance, et qu’ils ont continué à veiller sur elle, ce qu’elle vit assez mal. Pour le scénariste, c’est peut-être une manière de critiquer l’écriture du personnage, et de revendiquer une certaine modernité dans la présentation de l’Amazone. En tout cas, cela renvoie à des épisodes qui sont encore récents dans l’esprit des lecteurs, et tisse des liens entre Justice League of America et le reste du catalogue.

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Dans l’espace, Superman est confronté à un « Supermanhunter », dont l’armure est composée de Kryptonite, tandis que sur Terre, Wonder Woman et Flash, qui ont réussi à fuir leur satellite, rejoignent leurs équipiers face à Shaw. Les péripéties nous amènent à découvrir que le Grandmaster sur Terre a lui-même un patron, le Highmaster, qu’il y a des Grandmasters sur tous les mondes et que l’invasion a déjà commencé !

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Mais les héros comptent cependant un nouvel allié, puisque Mark Shaw vient de comprendre que sa soif de justice a été manipulée. Il se retourne contre le Grandmaster et découvre ce que d’autres Justiciers (et les lecteurs) savaient déjà, à savoir qu’il ne s’agit, en définitive, que d’un robot.

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Il décide alors de mettre son pouvoir au service de la justice, à la grande satisfaction des héros. Dans la dernière case, Englehart, par le biais de Green Lantern, laisse entendre qu’Aquaman, Elongated Man et Atom sont en danger : en route pour une nouvelle aventure.

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Avec ce diptyque, le scénariste fait ses premiers pas dans le vaste univers DC, et il ne manque pas de lui apporter des éléments très riches, tout en jouant sur la continuité et en rangeant les jouets (procédé comparable à ce qu’il a fait autour de Kang, Immortus et les autres voyageurs temporels chez Marvel). Ses Manhunters continueront de hanter l’univers DC, revenant à de nombreuses occasions marquantes, par exemple le cross-over Millennium de 1988 ou la série Green Lantern de Geoff Johns dans les années 2000. La contribution d’Englehart est ici considérable.

Jim

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