RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

Nous l’avons vu en évoquant Invasion, l’année 1988 a été riche en événements éditoriaux. Et l’un d’eux, qui débute dès le début d’année (selon les dates de couverture : à la toute fin 1987 dans les kiosques), est Millennium, une nouvelle « crise » qui va secouer l’univers DC dans son ensemble. Aux commandes, Steve Englehart, alors scénariste de Green Lantern Corps, et Joe Staton, son vieux complice, associé ici au britannique Ian Gibson, qui assure l’encrage d’après des crayonnés succincts. Mais c’est Bruce Patterson qui encre les couvertures, pour un résultat texturé des plus agréables.

En 2008, DC réimprime la mini-série dans un recueil souple qui propose en sous-titre l’accroche suivante : « Trust No One ». Comme pour Invasion, il s’agit d’un clin d’œil à un gros événement éditorial chez la concurrence, Secret Invasion, dont l’une des expressions récurrentes est « Who Do You Trust? »

Le principe est simple : la Terre est infiltrée par des envahisseurs, dont les émissaires ont pris forme humaine et remplacé certains Terriens. Le jeu, à l’échelle du catalogue de l’éditeur, consiste à identifier quel personnage, dans la série, a été remplacé par l’un de ces espions afin de recueillir des informations sur les héros. Ces envahisseurs, on les connaît depuis une dizaine d’années, ce sont les Manhunters.
Petit retour rapide sur Justice League of America #140-141, par Steve Englehart et Dick Dillin, dans lesquels les bases du cross-over sont déjà posées :

À l’occasion de ces deux épisodes, Steve Englehart élargit le mythe des Green Lantern et pose les bases d’une menace flottant sur l’ensemble du cosmos. Fin 1987, cela fait plus de dix ans qu’il a dévoilé ce secret et plus de deux ans et demi qu’il rédige les aventures de Hal Jordan et de ses équipiers. Son travail s’est d’abord concentré sur la résolution du mystère du Predator et sur la mise en avant de Guy Gardner, vieux personnage à l’époque oublié. Avec l’affaire du Predator, il déjoue, peut-être sans le vouloir, l’un des plans de son prédécesseur, Len Wein, qui avait fait venir dans la série à la fois ce nouveau super-vilain et le mystérieux Mister Smith. En dévoilant la nature du Predator, Englehart libère l’étrange personnage à lunettes noires, qui doit dès lors tenir un autre rôle dans la série que celui que Wein avait (peut-être) prévu. Au sein de la série, Englehart fait de Mister Smith un espion infiltré défendant la cause des Manhunters, ce qui lui permet de remettre sur le devant de la scène cette étonnante secte cosmique d’androïdes. Mais bien sûr, la série est prise dans les filets de différents cross-overs, dont Crisis on Multiple Earths et Legends, et il faudra du temps au scénariste avant de pouvoir avancer ses pions. C’est chose faite en 1987, où l’intrigue est suffisamment développée pour servir de tremplin à une saga d’envergure.

Quand Millennium #1 débute, le lecteur peut assister à une réunion des espions androïdes. La voix off en appelle à leur complicité, montrant des personnages que les plus fidèles peuvent reconnaître dont le fameux Mister Smith associé à Ferris Aircraft.

Ces personnages s’assemblent afin d’écouter les ordres donnés par le Grandmaster, que nous connaissons depuis le diptyque de Justice League of America. Les Manhunters s’apprêtent à frapper des hommes et des femmes qui s’avèrent dangereux pour leur cause. Tom Kalmaku, associé de longue date de Hal Jordan, surprend cette réunion, ce qui ne lui attire que des ennuis.

De leur côté, les Green Lantern (car à l’époque Jordan dirige une équipe qui s’est réfugiée sur Terre) assistent à l’arrivée d’un Gardien de l’Univers et d’une Zamarone qui entretiennent un grand projet pour la planète : sélectionner dix personnes au sein de l’humanité afin qu’elles guident celle-ci dans un nouvel âge de l’évolution. Les Manhunters vont donc s’opposer aux plans de leurs ennemis ancestraux, et la Terre va devenir le champ de bataille d’une guerre entre races extraterrestres.

Pour compliquer le tout, Englehart réintègre Harbinger, qui en tant qu’assistante du Monitor a tenu un rôle clé dans Crisis on Infinite Earths. Elle cherche un sens à sa vie et se porte volontaire pour assister le Gardien et la Zamarone dans leur projet.

Voilà donc une image qui devrait plaire à notre ami n.n.nemo :

Si le premier épisode est consacré à la mise en place des différentes intrigues, ainsi qu’au ralliement des super-héros à la cause du Gardien et de la Zamarone, le deuxième couvre l’identification et le recrutement des humains élus pour devenir l’avant-garde de l’évolution.

Englehart déjoue les attentes des lecteurs. Certes, il sélectionne des gens normaux venus de plusieurs pays, et il tente de varier l’échantillonnage en mettant en scène des niveaux sociaux différents, des accents variés et des sexualités diverses, mais il s’ingénie aussi à glisser un « méchant » dans le lot, en la personne de Janwillem Kroef, responsable politique d’Afrique du Sud, fervent défenseur de la ségrégation raciale et suprémaciste blanc invétéré. Manière pour le scénariste de détourner les clichés liés aux récits d’élus, c’est également un moyen de créer des tensions parmi les personnages et d’évoquer des problèmes politiques d’actualité (en 1988).

L’un des derniers élus de la planète est Jason Woodrue, alias le Floronic Man, bien connu des lecteurs de Swamp Thing période Alan Moore. Un autre est également Tom Kalmaku, qui est en quelque sorte le candide du groupe et la clé d’entrée pour le lecteur.

La lecture du troisième épisode, dans cette édition de 2008, montre un peu les limites des choix éditoriaux. En effet, on commence à sentir qu’il s’agit là d’un cross-over et que certains éléments sont racontés ailleurs. Les allusions aux différents tie-ins sont assez claires et on repère facilement les séquences renvoyant à Superman, à Flash ou à Blue Beetle. Mais Englehart écrit sa saga en répartissant les événements importants entre Millennium et Green Lantern Corps. Et ça commence à se sentir un peu, d’autant que les héros s’assemblent afin d’organiser la riposte face aux Manhunters, à la fois dans l’espace et sur Terre.

Le récit reste lisible néanmoins, et permet de suivre plusieurs enquêteurs, dont Batman et Jason Blood, qui partagent des informations concernant les envahisseurs infiltrés. De leur côté, les élus reçoivent une formation sur la nature de l’univers de la part du Gardien et de la Zamarone, destinée à les préparer à leur rôle de mentors de l’humanité.

Capturée par les Manhunters, Harbinger est retenue prisonnière sur la fameuse planète Orinda, croisée dans Justice League of America #140-141. Ce qui ne manquera pas de conduire une partie des héros au plus profond de l’espace.

L’épisode 5, quant à lui, marque l’initiation des impétrants aux mystères du cosmos. Si le déroulement du chapitre vaut par son côté « new age » et constitue un des sommets ésotériques du corpus d’Englehart, la narration est intéressante également par le fait que les élus sont observés par leurs deux professeurs, qui pressentent déjà quelle tournure cela peut prendre (même si le scénariste saura déjouer les attentes que lui-même suscite).

La mini-série, publiée sur un rythme hebdomadaire, montre les héros affronter le Highmaster (la version surdimensionnée des Manhunters) dans l’épisode 6 puis envahir le repère des envahisseurs dans l’épisode 7, à l’occasion d’une dernière baston d’ampleur dont l’enjeu n’est rien moins que la destruction, ou pas, de la planète Terre.

Comptant huit chapitres, Millennium laisse donc à Englehart une dernière livraison dans laquelle les élus qui restent (deux sont morts au début du processus, Tom Kalmaku refusera l’honneur…) accéder à un niveau supérieur d’évolution et accepter leur rôle de guides et de gardiens de l’humanité. Millennium sert donc de tremplin à une nouvelle série, celle des New Guardians, dont Englehart est bien entendu le scénariste.

Récit épique dans la lignée des cross-overs qui viennent de secouer l’univers DC, et aventure mystique proche des idées développées autour du personnage de Mantis (au point que l’on s’étonne qu’Englehart n’ait pas ressorti Willow pour l’occasion : les responsables éditoriaux se seraient-ils rendu compte de l’astuce ?), Millennium est un chouette récit optimiste mais dont le propos, on s’en doute, n’aurait jamais eu de grandes conséquences sur l’univers DC à long terme.

Quant au recueil, il est très agréable, mais il aurait été peut-être plus avisé de la part de DC d’y adjoindre les épisodes de Green Lantern #220 et 221, afin de compléter un peu le récit. On comprend néanmoins tout avec les épisodes de la série centrale, mais la sensation d’avoir raté des scènes importantes demeure. Je ne sais pas s’il existe une édition type « omnibus », mais ce serait une bonne idée.

Jim

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