J’ai longtemps pensé que Steve Englehart avait entamé son parcours sur le titre Justice League of America dans le numéro 140, avec le diptyque consacré aux Manhunters. Mais en fait, ce n’est pas tout à fait vrai.
Car en fait, il signe une première aventure en deuxième partie de sommaire dans l’épisode 139. Ce dernier s’ouvre sur une histoire dans laquelle Cary Bates et Dick Dillin racontent comment les Justiciers, un temps prisonniers de la technologie Zeta permettant à Adam Strange de se téléporter sur Rann, s’allient à ce dernier afin de repousser les assauts de Kanjar Ro. Il s’agit en l’occurrence de la conclusion d’une histoire débutée dans l’épisode précédent (deux numéros arborant des épatantes couvertures de Neal Adams).
Et donc, Englehart signe un premier récit de son cru en seconde partie de sommaire, le fameux « The Ice Age Cometh! », auquel il est fait référence plusieurs fois dans ses épisodes suivants. Je pensais qu’il s’appuyait sur la continuité et les aventures écrites par ses confrères, mais en fait non : il s’appuie sur ses propres apports !
Profitons donc de ce détour dans la relecture des épisodes d’Englehart pour savourer l’original de la planche d’ouverture, signée Dick Dillin et Frank McLaughlin.
Comme le dit le texte d’ouverture, pendant onze mille ans, l’homme a connu des températures clémentes, mais c’est sur le point de changer. C’est du moins ce que les membres de la Ligue découvrent en arrivant à Quito, en Équateur, un pays qui, visiblement, connaît un nouvel âge de glace.
Ils rencontrent Esteban Corazon, président du pays, dont les propos constituent une sorte de déclaration, voire de note d’intention du scénariste : à l’image de l’homme politique, les lecteurs sont-ils donc promis à une rencontre avec des « super-héros réels », qui ne soient ni burlesques ni inaccessibles ?
En tout cas, ils ont des réactions bien humaines. Et tout commence quand ils décident d’organiser les secours. Green Arrow (qu’on a connu plus subtil) propose que Wonder Woman et Black Canary s’occupent des blessés, ce qui n’est pas du goût des deux héroïnes féministes.
Bien vite, l’équipe découvre la vérité derrière l’âge de glace qui se profile sur l’Équateur. Il s’agit d’une intervention de Captain Cold, Icicle et Minister Blizzard. Englehart a bien choisi ses vilains : le premier est une valeur sûre de l’univers de Flash, le second, venu de Terre-2, permet de mettre en valeur Black Canary (cette version de l’héroïne vient aussi de ce monde parallèle), quant au Minister Blizzard, il s’agit d’un vieil ennemi de Wonder Woman, que cette dernière a affronté… en 1966 ! On reconnaît le fan archiviste dans ce choix, qui lui permet aussi de donner une logique à un groupe d’adversaires.
Le Minister Blizzard, on en a parlé récemment :
On notera que Steve Englehart traite ses criminels comme il traite ses héros : l’alliance entre les trois glaciaux bandits est aussi fragile et tendue que l’union des Justiciers. En gros, dans cet épisode, qui tranche avec la bonne ambiance des récits de Cary Bates, la mésentente règne.
Quand les héros repoussent les bandits, qui fomentent un braquage spectaculaire, le scénariste s’arrange pour mettre en valeur Black Canary et Wonder Woman. Les deux femmes font, en gros, tout le boulot, tandis que Green Arrow et Flash, fidèles à la tradition de la cavalerie, arrivent quand tout est fini.
Ces tensions ne manquent pas de se faire sentir chez tous les membres. Ce n’est qu’au moment de la confrontation finale, quand Hawkman découvre que les trois glaçons se sont alliés au Shadow Thief, que les choses se calment. Une case en particulier montre une certaine complicité entre Wonder Woman et Atom, deux héros qui se sentent un peu mal à l’aise dans le groupe, et qui seront, chacun à sa manière, la clé d’entrée du scénariste dans la série.
Les préoccupations féministes du scénariste, discrètes mais présentes, trouvent un écho étonnant dans le courrier des lecteurs, où il est vivement suggéré, dessin à l’appui, de recruter des héroïnes plus nombreuses.
Ce petit récit, qui m’avait échappé jusque-là, pose les bases de la prestation d’Englehart. Il s’agit également d’un récit très dense qui propose beaucoup d’action, et quelques séquences bien bavardes et presque étouffantes. Le fait d’avoir plus de place lui permettra d’établir des récits plus amples, mais également plus fluides.
Jim