REALISATEUR
Tim Burton
SCENARISTES
Scott Alexander et Larry Karaszewski
DISTRIBUTION
Johnny Depp, Martin Landau, Sarah Jessica Parker, Patricia Arquette, Bill Murray, Jeffrey Jones, Juliet Landau, Vincent d’Onofrio…
INFOS
Long métrage américain
Genre : comédie dramatique/biographie
Année de production : 1994
En 1980, le livre The Golden Turkey Awards (par le critique Michael Medved et son frère Harry), célébration des ratages cinématographiques, a « consacré » Edward Wood Jr en tant que « plus mauvais réalisateur de tous les temps », le prix du plus « mauvais film de tous les temps » revenant à ce qui est devenu son long métrage le plus connu, Plan 9 from Outer Space. C’est à partir de ce moment que le public a commencé à redécouvrir le cinéma de Ed Wood, qui était tombé complètement dans l’oubli. Le « multitâches » du cinéma d’exploitation est mort juste deux ans avant la sortie du livre, dans l’anonymat le plus complet, après une décennie marquée par les excès. Dépressif et alcoolique, il survivait en écrivant des romans et des nouvelles à la chaîne, le plus souvent des histoires de crimes et de sexe, et en tournant des courts métrages pornographiques (dont certains avec John Holmes, l’une des stars du genre).
Est-ce que Ed Wood était vraiment « le plus mauvais réalisateur de tous les temps » ? Ca se discute, car on peut toujours trouver plus mauvais. Mais ce qui est certain, c’est que le bonhomme était incompétent, et ce à tous les niveaux de la production d’un long métrage. Je n’ai vu que trois de ses films, les plus connus (Glen or Glenda, La fiancée du monstre et Plan 9 from outer space), trois nanars incohérents, mal écrits, mal interprétés, montés n’importe comment en intercalant des images d’archives en dépit du bon sens. Mais d’après les témoignages de ceux qui l’ont côtoyé, il y a une chose qu’on ne pouvait retirer à Ed Wood : son indéniable passion pour le cinéma.
À l’origine, Tim Burton ne devait pas réaliser Ed Wood, juste le produire. Après Batman, le défi et L’Etrange Noël de Monsieur Jack, Burton s’était engagé sur le Mary Reilly de la Columbia (une réinterprétation de L’Etrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde par le point de vue d’un nouveau personnage, la domestique du docteur) avant de claquer la porte suite à des désaccords avec ses producteurs. La Columbia était également réticente face à la décision de Tim Burton de tourner le film en noir et blanc. C’est donc finalement Disney qui a hérité du projet, et qui l’a distribué sous sa bannière Touchstone. Tim Burton a eu carte blanche pour rendre un hommage vibrant à un cinéma qu’il adore et à ces artisans du bis qui travaillaient avec des bouts de ficelles…et pour des cacahuètes.
Ed Wood se concentre sur la première partie de la carrière du réalisateur/scénariste/producteur/acteur, qui va de Glen ou Glenda (Louis ou Louise en V.F.) en 1953 à Plan 9 from outer space en 1959. C’est en quelque sorte une « période bénie » pour les fans du cinéma de genre U.S., avec une véritable explosion de séries B horrifiques et de science-fiction. Ed Wood est tellement ancré dans ces années 50 que la décision de Tim Burton de tourner en N&B s’imposait d’elle-même. La photographie est superbe et Burton reproduit certains effets d’époque de manière fluide et savoureuse. Le générique début, avec son atmosphère et l’excellent thème musical de Howard Shore (Burton s’était brouillé avec Danny Elfman), est un régal.
Si de nombreuses anecdotes relatées sont véridiques, Tim Burton ne voulait pas ridiculiser un peu plus des personnes qui l’ont été toute leur vie. Son Ed Wood a un côté optimiste, une volonté de toujours voir le bon côté et d’aller de l’avant malgré l’adversité. En un sens, l’histoire est racontée à travers les yeux de Ed Wood (c’est ce que Tim Burton a toujours souligné en interview), qui était lui-même un incurable optimiste à ses débuts, malgré les épreuves (c’était avant que les échecs successifs le plongent dans la dépression). Le jeu de Johnny Depp, avec ces yeux de grand gamin tellement heureux de faire un film, ce perpétuel sourire, cet enthousiasme qui contraste souvent avec le comportement de ses équipes, fait bien passer cet état d’esprit.
Au coeur du récit, il y a la relation entre Ed Wood et Bela Lugosi, grande star de l’horreur des années 30/40 alors tombée dans l’oubli (magnifique interprétation de Martin Landau). C’est quelque chose qui a beaucoup touché Tim Burton, lui qui est devenu ami avec une de ses idoles, le grand Vincent Price. Des libertés ont été prises avec la réalité, mais même si certains témoignages sont contradictoires, il semble que Ed Wood a vraiment pris soin de Bela Lugosi, drogué et sans un sou, pendant les années où ils se sont connus. Pour ma part, je tique tout de même toujours sur l’utilisation des dernières images de l’acteur hongrois dans Plan 9 from outer space.
Echec à sa sortie, Ed Wood fait toujours partie pour moi des plus beaux films de Tim Burton, une biographie fantasmée qui mêle la réalité à l’imaginaire (et quelle belle rencontre imaginaire que celle de Ed Wood avec un Orson Welles campé par Vincent d’Onofrio) et qui fait défiler une galerie de marginaux attachants (de Sarah Jessica Parker à Bill Murray, en passant par Jeffrey Jones, la distribution est géniale). Une véritable déclaration d’amour au cinéma, à tous les cinémas, même celui du « plus mauvais réalisateur de tous les temps » !