RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

Tout à mes relectures, pris dans l’élan, j’ai ressorti récemment le recueil Invaders: Eve of Destruction. Présentant les héros de la Seconde Guerre mondiale si chers à Roy Thomas, ce volume compile en réalité les sept épisodes de la série Marvel Universe, une éphémère série de la fin des années 1990, qui connaîtra quelques déclinaisons cachées sur lesquelles on reviendra.

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Mais allons-y morceau par morceau.
Eve of Destruction arbore une couverture reprenant celle que Carlos Pacheco a dessinée pour le premier numéro, et dans laquelle s’agite Sub-Mariner, Captain America et Human Torch. Ces trois héros sont au centre d’une histoire en trois épisodes, première livraison de la série anthologique Marvel Universe. L’action se passe à la hauteur de la fin de la série Invaders de Roy Thomas, puisqu’il est admis que Union Jack et Spitfire sont des membres réguliers, que Whizzer est un allié proche, que Bucky n’est pas toujours avec Captain America, et que de toute façon ça se passe après la rencontre avec Thor.

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Revenons un instant sur le postulat ayant prévalu à la naissance de Marvel Universe. La série voit le jour à l’instigation du responsable éditorial Tom Brevoort et du scénariste Roger Stern. Le projet vise à proposer des histoires situées dans des périodes lointaines ou des recoins du fameux univers Marvel, et d’éclairer quelques zones d’ombres (on y reviendra, dans ce post ou dans d’autres). Stern est un fin connaisseur de la continuité Marvel et il est nanti d’un solide bon sens qui lui permet d’expliquer les contradictions et incohérences qui finissent par s’accumuler sur les récits à l’image d’une poussière grisâtre ternissant le verni des ans. C’est l’homme de la situation, capable d’évoquer de nombreux personnages et de donner de la crédibilité à plein de choses. Allons droit au but, la série, publiée en 1998, dans une période troublée de l’histoire de l’éditeur, n’a pas trouvé son public, ne laissant que deux histoires, aussi agréables l’une que l’autre.

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Dans le premier volet de la série, les Envahisseurs sont confrontés à une enquête fédérale, astuce assez bienvenue qui permet au scénariste d’expliquer qui sont les protagonistes, de revenir sur les origines des trois héros, de replacer plusieurs personnages secondaires dans un contexte dépoussiéré, le tout avec sa fluidité proverbiale. En parallèle à ces portraits, Stern met en scène le Baron Strucker, qui avance ses pions (sous le regard mi-amusé mi-méfiant du Crâne Rouge) et prépare l’émergence de son organisation Hydra. Stern convoque de nombreuses images remontant parfois aux Captain America Comics de Simon et Kirby (je fais le malin, mais je dois bien avouer que les notes qu’il a lui-même rédigées, et qui sont reproduites en fin de TPB, sont d’une grande aide). Il donne de la cohérence à un univers de fiction qui a été forgé sur plusieurs décennies (l’apparition de Captain Savage en est un signe).

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Si le reste de l’intrigue est assez simple (les Envahisseurs repèrent la base flottante des méchants grâce à l’infiltration de Whizzer, ça se bastonne, ladite base, sorte d’équivalent sous-marin de l’héliporteur du SHIELD, explose, Strucker s’échappe, les héros sont soulagés d’avoir empêché le camp adverse de s’emparer de ce qui va devenir l’arme atomique), l’astuce de Stern est mémorable. Il déploie des trésors de finesse afin de rendre acceptables des idées qui ont vieilli, et de donner à l’ensemble cohérence et accessibilité.

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Car tout repose sur une idée forte : Strucker a voyagé dans le futur où il a découvert l’Amérique de l’après-guerre. S’emparant de livres d’histoire, il est revenu dans le passé (enfin, son époque à lui, quoi…), misant sur le fait que cette connaissance nouvelle lui permettra de s’émanciper de l’influence de Hitler et de s’emparer du pouvoir. Et comment il a pu accéder à une machine temporelle ? En suivant de près l’assistant du Professeur Olsen, ce savant qui est parvenu à matérialiser Thor dans le quartier général de Hitler, tel que nous l’a raconté Roy Thomas. Ce dernier nous avait laissé entendre que l’assistant en question était Victor Von Doom. À la toute fin des années 1970, il était encore admissible que le dictateur de Latvérie pouvait avoir connu la Seconde Guerre mondiale, à une époque où il était encore admis que Richards et Grimm avaient servi sur le front (même si les glissements de temps situaient plutôt l’action en Corée, quelques années plus tard). Quoi qu’il en soit, en capillotractant, il était possible d’imaginer que ce bon Victor ait vu le régime nazi envers lequel il ait pu nourrir une rancœur évidente.

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Mais en 1998, toujours pour les mêmes raisons de glissement dans le temps de l’espace narratif dans lequel évoluent les super-héros, ça devient de plus en plus dur à croire. Stern a donc l’idée de préciser la chose suivante : Doom, maîtrisant déjà la technologie temporelle, s’est rendu dans le passé avec à l’esprit l’idée d’abattre Hitler qui a fait subir au peuple gitan, dont il est issu, les pires tourments. Si le dictateur a changé d’idée en cours de route, c’est en parti dû à son ego surdimensionné. Mais le changement par rapport à l’épisode de Thomas, transformer le jeune savant défiguré et simple observateur en voyageur du temps, et donc déplacer le personnage dans les époques, s’avère fructueux. Cela permet d’expliquer pourquoi un Victor couvert de bandages se trouve en Allemagne en plein conflit mondial (sans avoir besoin de le vieillir), information que Thomas, à l’époque, n’avait pas jugé bon de détailler. Roger Stern parvient donc à renforcer la logique des épisodes de son prédécesseur tout en huilant les mécanismes de son propre récit.

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Tel est l’enjeu caché de la série Marvel Universe, qui offre la possibilité au fan de voyager dans la continuité et d’en découvrir certains secrets, mais qui propose par la même occasion de donner une explication annexe ou de projeter un éclairage sur un élément imprévu, qui se rajoute au programme. Le caractère anthologique du sommaire et la volonté éditoriale de s’éloigner des grandes vedettes du moment (les mutants en premier lieu) ont joué en défaveur du projet, ce qui est fort dommage.

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Ces trois épisodes, qui ont droit à des couvertures de première bourre, sont illustrés par Steve Epting. À l’époque, il dessine encore avec une énergie folle, il n’est pas encore passé par la case CrossGen, et son style ne s’est pas encore nappé d’une obsession réaliste et photographique qui a figé son trait. Il tire les meilleures leçons possibles de l’approche « à la Jim Lee », sans tomber dans ses travers pleins de hachures. L’ensemble a une vigueur qui fait plaisir à voir. L’encrage d’Al Williamson, qui renforce les ombres et les contrastes, ainsi qu’un découpage classique mais pertinent, donne parfois l’impression qu’on a affaire à un Lee Weeks en bonne forme.

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Une bonne aventure des Invaders, une idée astucieuse, un vilain impressionnant, une vision limpide de la continuité et une réécriture qui améliore et éclaircit ce qu’on sait déjà : carton plein pour cette première partie de la série.
Rendez-vous demain pour la deuxième partie.

Jim