REALISATEUR
Clive Barker
SCENARISTE
Clive Barker, d’après sa nouvelle « The Hellbound Heart »
DISTRIBUTION
Doug Bradley, Andrew Robinson, Clare Higgins, Ashley Laurence…
INFOS
Long métrage britannique
Genre : horreur
Titre original : Hellraiser
Année de production : 1986
L’irruption de Clive Barker sur la scène littéraire horrifique, au mitan des années 80, est une véritable déflagration : avec ses Livres de Sang (deux fournées de trois volumes chacune parues en 1984 et 1985), recueils de nouvelles extrêmement riches, et son premier roman Le Jeu de la Damnation, le jeune auteur britannique (il est né en 1952 à Liverpool) est d’emblée adoubé par Stephen King en personne, le maître incontesté du genre, entre autres. Il invente pratiquement à lui tout seul une branche nouvelle du genre, le « splatterpunk » : ses écrits se caractérisent par une débauche de descriptions horrifiques extrêmement graphiques, faisant la part belle aux « déviances » sexuelles les plus gratinées. Sorte d’anti-Lovecraft (il confesse d’ailleurs ne pas beaucoup aimer les écrits du reclus de Providence), Barker, par son jusqu’au-boutisme et l’aspect novateur de ses thèmes, adossés à une solide connaissance du genre et de ses figures, injecte incontestablement du sang neuf au genre, sans mauvais jeux de mots…
Il n’est pas du tout illogique qu’un auteur aussi porté sur l’aspect graphique du récit horrifique se soit très tôt intéressé au médium cinématographique ; en fait, c’est une vieille marotte de Barker, qui au milieu des années 70, à la fac de Liverpool, tournait des courts-métrages expérimentaux avec quelques potes, dont un certain Doug Bradley.
Une fois devenu célèbre, l’auteur fait connaître son intérêt pour le cinéma et ne tarde pas à y goûter ; il co-écrit Underworld/Transmutations (les deux titres existent) et adapte sa nouvelle Rawhead Rex pour le compte du cinéaste George Pavlou, qui signe les deux films. Barker est déçu, et il y a franchement de quoi : votre serviteur se souvient avec émotion d’un visionnage, hilare, du Rawhead Rex susnommé, un impayable navet, aux alentours de dix ou onze ans.
Malgré son inexpérience totale sur le plan purement technique, Clive Barker se dit qu’on est jamais aussi bien servi que par soi-même. Il se chargera lui-même de mettre en boîte son prochain projet, une adaptation à petit budget de sa propre nouvelle The Hellbound Heart, publiée dans le troisième volume de l’anthologie horrifique Night Visions. Thématiquement, c’est du Barker pur jus, puisque le récit met en scène des créatures extra-dimensionnelles adeptes d’un sadomasochisme extrême, meurtrier. Quel dommage que Barker n’ait pas tenu bon quant à sa première idée de titre, « Sadomasochists From Beyond The Grave »… Plus bis, tu meurs.
Le tournage est difficile, du fait de l’inexpérience d’un Barker qui confesse ne pas être fichu à l’époque de distinguer deux types de focales entre elles, et s’étale sur dix semaines en lieu et place des sept initialement prévues. Les effets spéciaux, compliqués (et très aboutis malgré quelques ratés, et un côté clairement daté pour le spectateur contemporain), entraînent également des problèmes sur le plateau. Mais Barker admet avoir été bien épaulé par une équipe bienveillante, et bénéficiera de plus d’un coup de main financier en cours de route, quand des capitaux américains sont injectés dans le projet. Cette contribution entraînera d’ailleurs une étrange indécision quant au cadre de l’action : le film est censé se dérouler en Grande-Bretagne, mais on dirait que les caractéristiques locales ont été gommées pour donner un côté plus « américain » au film…
Frank Cotton est une sorte de « bad boy » dépravé aux moeurs dissolues, dont l’attention se porte sur une sorte de casse-tête chinois, la Boîte de Lemarchand, censée lui ouvrir les portes d’une jouissance indescriptible. Il convoque en fait en manipulant l’objet des créatures extra-dimensionnelles, les Cénobites, dont l’existence semble voué à l’exploration des sévices les plus extrêmes, source de plaisir pour eux.
Horriblement mis à mort, Frank disparaît dans leur dimension, mais il semble ressusciter dans la maison de son propre frère. La femme de celui-ci, en fait amoureuse de Frank, le fournit en cadavres frais afin de lui permettre de se ré-incarner pour de bon. Mais Kirsty, sa nièce, décide de le châtier en proposant un pacte aux Cénobites, emmené par Pinhead…
La structure du film est très intéressante : passé un prologue qui installe très efficacement et rapidement les bases de la mythologie de la franchise, c’est presque un autre film qui commence, avec les tribulations de la famille Cotton (dont le lien avec le prologue apparaît bien vite). Barker a décidé de délayer un maximum, et c’est judicieux, la véritable entrée en scène de ses stars, les fameux Cénobites. Avant ça, en bon connaisseur d’un genre qu’il cherche à renouveler, Barker joue avec les déclinaisons du genre, injectant des éléments de slasher-movie mais « à l’envers » (c’est une femme qui y traque des hommes), mais aussi une sorte de variation intéressante sur le mort-vivant, là aussi considérée à rebours du canon, puisque le « cadavre » se régénère au fur et à mesure du récit… L’auteur fait ici preuve de beaucoup d’ingéniosité, procédant comme à une « révision » des figures imposées du genre, avant d’y apposer sa griffe toute personnelle.
La dernière demi-heure voit donc l’intervention des Cénobites, dont le charismatique leader est Pinhead (même si ce surnom que Barker détestait lui sera attribué plus tard), incarné par Doug Bradley, avec un phrasé et une emphase qui feront sa gloire. A la fin de ce premier volet (qui sera suivi de… huit séquelles, et bientôt une neuvième), on n’en sait pas beaucoup sur ces monstres et leur origine (viennent-ils des Enfers ? sont-ils des extra-terrestres ? des démons, des anges, comme le suggèrent Pinhead lui-même ? on n’en saura pas plus). Paradoxalement, cette parcimonie dans l’emploi de ses très marquantes créations (malgré quelques détails un peu craignos, ils rentreront mine de rien direct dans le panthéon du bestiaire fantastique… gamin, ils m’impressionnaient beaucoup en tout cas) est porteuse, et fait beaucoup pour leur aura. Sans compter que le scénariste/réalisateur, retors, en fait en quelque sorte des héros, instruments de la « final girl » du métrage (incarnée par la mignonne Ashley Laurence, connue que pour ce rôle si je ne l’abuse).
Inversion des valeurs et des hiérarchies communément admises, recherche du plaisir dans la souffrance, de la beauté dans l’horreur… telles sont les thématiques-phares de l’oeuvre de Clive Barker, qui trouve ici pour son propre compte une belle caisse de résonance pour son travail sur le papier. L’approche très frontale et très premier degré (le film est tout sauf « deuxième degré », même si Barker n’est pas dupe du matériau qu’il manipule) est payante ; le film est par moments franchement dérangeant.
Dommage que le film, globalement de très bonne tenue malgré l’inexpérience de Barker, soit plombé par un final pas vraiment à la hauteur, terni par des effets spéciaux peu convaincants et truffé de plans très rapprochés qui pue le cache-misère à plein nez.
Hellraiser, on l’a dit, deviendra une véritable franchise qui dégénère très vite, passés un deuxième volet encore très convaincant et un troisième plus piteux, mais comprenant une scène assez spectaculaire de carnage en pleine boîte de nuit qui fera son petit effet. La franchise s’abîme ensuite dans les limbes du Direct-to-video, mais ça fait une paye que Clive Barker a mis les voiles à ce moment.
L’annonce dans l’indifférence générale de la sortie imminente du dixième (!) volet, Hellraiser : Judgment ne le laisse pas paraître, mais on a beaucoup entendu parler d’une renaissance « pour de bon » de la franchise, et ce depuis maintenant une bonne douzaine d’années. D’abord sous la forme d’un crossover entre les franchises Hellraiser et Halloween, qui aurait vu le boogeyman Michael Myers croiser le fer avec les cénobites, et qui se serait appelé… Helloween (de quoi faire rugir de bonheur les amateurs de speed-métal mélodique teuton, ça). Puis on a vu le projet être temporairement confié à des réalisateurs français, d’abord Alexandre Bustillo et Julien Maury (A l’intérieur, Livide), puis Pascal Laugier (Martyrs), qui partiront tous pour divergences artistiques (en gros, ils souhaitent un traitement « hardcore » quand les producteurs veulent un traitement plus « commercial » et grand public). Enfin, Clive Barker lui-même confie avoir rédigé un script pour un reboot de la saga, mais il prétend avoir livré son script à Dimension (la boîte des fameux frangins Weinstein) depuis belle lurette et ne plus entendre parler du projet depuis…
Pour finir, une anecdote susceptible d’intéresser les amateurs de musique en marge : la première idée de Clive Barker était de confier la musique de son film au légendaire groupe Coil, alias John Balance et Peter Christopherson, que l’auteur fréquentait à l’époque. Le tandem s’est retiré quand ils ont senti que la production prenait un tournant plus « mainstream », au moment de l’arrivée des capitaux américains, et que leur travail serait de toute façon rejeté. Barker était pourtant très fan du résultat (et les auditeurs de l’émission Tumatxa! en auront d’ailleurs un échantillon dans quelques semaines…).
Les membres de Coil prétendaient également que le look total SM des Cénobites avaient été inspiré par des revues « extrêmes » en matières de piercing et autres modifications corporelles qui traînaient chez eux, et que Clive Barker leur empruntait.
C’est finalement Christopher Young, dans un style orchestral plus classique, qui s’acquittera de cette tâche, avec brio d’ailleurs, le score du premier Hellraiser étant un beau fleuron du style « gothique noir » flamboyant à la Danny Elfman, qui fera florès dans les années 90.
« Oh… No tears, please. It’s a waste of good suffering. »