Discutez de Histoire sans héros
Un avion s’écrase dans la jungle amazonienne. Les survivants doivent alors décider de la marche à suivre : attendre les secours, ou tenter de partir ? Agir seul ou faire confiance au groupe ? Parce que la problématique se dessine très vite : le danger vient tout autant de la jungle que des autres survivants…
Coup de tonnerre dans la bande dessinée franco-belge de l’époque, le récit est signé par un jeune scénariste, appelé à faire une grande carrière, Jean Van Hamme. Bon, relativisons un peu : l’auteur a déjà l’oreille des éditeurs, puisqu’il écrit Domino pour Chéret depuis trois ans. 1977 est aussi l’année où il écrit Michaël Logan pour André Beautemps et où il lance Thorgal avec Grzegorz Rosinski. Donc ce n’est pas un nouveau venu, mais il faut reconnaître que ce récit n’est pas évident à promouvoir.
D’une part, comme le titre l’annonce, il n’y a pas de protagoniste principal qui pourrait donner son nom à l’aventure. Au contraire, on est ici dans le registre du récit choral, où tous les personnages ont leur importance et leur visibilité. Voilà qui rompt avec certaines habitudes éditoriales.
D’autre part, la tonalité du récit frappe. En effet, la situation est tendue, pour ne pas dire désespérée, et les conflits qui naissent dans la petite communauté de survivants ne font que renforcer la noirceur de l’intrigue.
L’autre choc est également visuel. Cette première collaboration avec Dany (avec qui il lancera, deux ans plus tard, la série Arlequin, nettement plus légère) permet à ce dernier de développer un style plus réaliste que celui qu’il affiche dans la série Olivier Rameau. Graphiquement, l’album annonce une volonté d’aller plus loin dans la caractérisation de personnages poussés à l’extrême.
Alors certes, depuis lors, le thème du groupe de survivants s’est généralisé dans la fiction populaire, permettant des développements de tous ordres (suspense, fantastique, horreur, psychologie, romance…), en allant parfois beaucoup plus loin que Van Hamme et Dany. À l’époque, on peut néanmoins citer, comme sources potentielles d’inspiration, Le Vol du Phénix, film de Robert Aldrich de 1965, ou Survivants, le livre de Piers Paul Read de 1974. Autant dire qu’en bande dessinée, c’était un peu une première.
Le pari est réussi pour les auteurs et l’éditeur (les co-éditeurs devrais-je dire, puisque Le Lombard et Dargaud sortent en même temps une première version, en 1977). Pour ma part, j’ai découvert ce récit dans la très chouette et très légendaire collection « Histoires et légendes », dont une première version sort en 1982.
Depuis lors, plusieurs autres éditions sont sorties dans la collection « Signé » du Lombard. Il paraît que celle de 1993 contient un supplément faisant un lien entre ce récit et les aventures de Largo Winch. Une intégrale, toujours chez « Signé », a paru en 2008, reprenant ce récit et sa suite, Vingt ans après.
Jim
Hum, à surveiller.
Je ferai bientôt une notule sur la suite.
Jim
Hop, et voilà : j’en cause ici, de la suite.
Jim
Podcast en sept épisodes :
Jim
Je viens de relire Histoire sans héros à la faveur d’un achat récent : bizarrement, j’avais lu l’album, peut-être en bibliothèque (à l’école ou en ville), dont il me semble avoir entendu parler la première fois dans l’ancienne formule des Cahiers de la BD, dont j’étais avide lecteur dans la deuxième moitié des années 1980.
Cette époque correspond à ma découverte d’une production franco-belge qui se résumait, pour moi, bien souvent à Astérix et quelques autres grands classiques. Le collège a été l’occasion de lire Thorgal sous les conseils d’un copain, ce qui m’a amené à découvrir XIII et à m’intéresser à la production de quelques scénaristes, dont Jean Van Hamme. Ça plus un article dans Les Cahiers de la BD, et il n’en fallait pas plus que je découvre Histoire sans héros, qui a été dans ces années-là l’un de mes gros chocs franco-belges, avec La Tour et Partie de chasse.
La relecture, avec la connaissance de l’histoire et des enjeux, rend l’album moins percutant, mais Histoire sans héros n’en demeure pas moins un très beau morceau dans le franco-belge de l’époque. Le rythme est plutôt réussi, avec des séquences alternant les différents sous-groupes parmi les survivants, la progression de l’idée centrale (fabriquer une montgolfière afin de s’extirper de la jungle), le suspense, les différentes péripéties et les morts qui les ponctuent… La scène de la boule noire, qui décidera de qui survivra et qui devra rester dans le camp de fortune, n’a rien perdu de sa force.
Le dessin de Dany est expressif, détaillé, et surtout très matiéré : on sent la boue et la nuit. Les séquences nocturnes sont splendides, les drapés et la crasse sont éloquents. De son côté, Van Hamme dévoile des qualités formelles déjà évidentes : par exemple, sa capacité à créer des cases muettes ou peu bavardes, qui se distinguent dans le reste du flot de paroles. Il a également des personnages féminins qui sont dynamiques, porteurs d’espoir et de récit, en bref très modernes.
Vraiment, une belle réussite qui vieillit particulièrement bien.
Je n’en avais aucun souvenir, mais l’édition dans la collection « Histoires et légendes » s’ouvre sur un texte signé Largo Winch et proposant un éclairage différent sur le vol Corair qui s’est écrasé dans la jungle. Il est illustré par des dessins de Dany qui joue à fond la carte de l’illustration de magazines, à grands renforts de hachures : magnifiques.
Cette édition date de 1982, soit huit ans avant le premier tome de Largo Winch (mais quelques années après les romans). Cependant, 1982, c’est l’année de sortie de Kelly Green chez Dargaud ; quant à Cannonball Carmody au Lombard, également écrit par Leonard Starr, c’est 1984. On sait que ces produits sont nés de la volonté de Michel Greg de créer des produits franco-américains, et on sait qu’une première version en bande dessinée de Largo Winch a failli voir le jour, dessiné par John Prentice : le projet a été abandonné, les Français estimant que les décors n’étaient pas assez travaillés.
La présence du nom « Largo Winch » dans Histoire sans héros témoigne sans doute des discussions en interne, et peut-être du fait qu’à un moment ou un autre, la possibilité de voir apparaître le personnage sous forme d’album aurait pu servir de promotion croisée. Ou, tout simplement, n’est-ce qu’un clin d’œil facétieux de Van Hamme : ce ne serait pas le premier.
Jim