Un témoignage empreint d’humour qui met en lumière l’emprise néfaste des discours et théories complotistes…
Qui peut bien se laisser aller à croire aux extraterrestres ? Ou pire, à penser en avoir déjà aperçu ! Eh bien, Sandrine Kerion, elle, y a cru.
Tout a commencé le jour où elle s’est imaginée avoir vu des soucoupes volantes. C’était dans les années 90, elle était une adolescente nerd un peu paumée, grandissant dans une famille déchirée, un terreau particulièrement fertile pour que la jeune fille sombre dans ces croyances et illusions.
Persuadée d’être une « contactée », une élue chargée par les aliens d’une mission envers l’Humanité, elle sombre peu à peu dans les théories du complot et autres thèses révisionnistes.
D’après l’autrice - qui a pris énormément de recul et s’est beaucoup documentée sur le sujet -, pour en venir à croire à tout et n’importe quoi, il suffit… d’en avoir besoin.
« J’ai vu les soucoupes » est le récit d’une plongée dans la folie douce et l’évocation du contexte tant familial que sociétal qui y a contribué. Mais c’est aussi celui d’une reconstruction et d’un lent retour à la réalité à laquelle l’auteure porte forcément un regard un peu décalé !
Auteurs : Sandrine Kerion (Scénario et dessin)
Pierre Lagrange (Postface)
Date : 09 juin 2021
Format : 128 pages - Couleur - 16,5 x 24.0 cm
ISBN : 9782849533710
Prix : 19,00 €
L’écriture comme exorcisme d’un passé douloureux est un exercice courant la BD autobiographique. Sandrine Kieron s’y prête ici pour nous dévoiler son adolescence marquée par un foyer familial brisé et un harcèlement constant au collège, et surtout l’échappatoire qu’elle a trouvé : une croyance aux OVNI, et surtout à une destinée que les visiteurs d’un autre monde lui auraient tracé. Il faut beaucoup de courage pour à la fois retranscrire des souvenirs douloureux, dépeindre des parents loin de tous défauts et surtout avouer ses propres errances spirituelles au risque de paraître ridicule, si ce n’est un peu fou. Sandrine Kieron y parvient tout en gardant une certaine retenue, ne tombant jamais dans le pathos facile. Très rapidement, le récit de vie s’entremêle à une véritable rétrospective des grandes figures de l’ufologie et leurs hypothèses plus ou moins fumeuses qui ont entraîné dans ses croyances : Jean-Claude Bourret qui introduit les OVNI à la télé française, Jimmy Guieu et son invasion déjà en cours, Erich von Däniken et ses anciens astronautes, Robert Charroux et ses thèses racistes, David Icke et ses Réptiliens, Jacques Pradel qui diffuse en prime-time l’autopsie d’un corps prétenduement retrouvé à Roswell… ils sont tous là, et Sandrine Kieron ne manque pas de nous expliquer en quoi nombre d’entre eux ne sont pas de simples excentriques ou escrocs, mais parfois des personnalités aux théories dangereuses pour quiconque y adhèrent. L’auteure ne manque de convoquer de véritables chercheurs, combattants des pseudo-sciences, tels que l’archéologue Jean-Pierre Adam ou surtout Pierre Lagrange, le sociologue signant carrément une postface de plusieurs pages aux allures de tribune pour les causes qu’il défend. J’ai vu les soucoupes est un authentique témoignage des mécanismes qui peuvent amener une personne à tomber dans l’irrationnel et comme elle peut en sortir par elle-même, mais sans jugement moqueur et surtout avec une grande pudeur, Sandrine Kerion ne racontant jamais plus de sa vie et de ses états d’âme que ce qui est nécessaire à sa démonstration, ne flirtant jamais avec le malaise et encore moins le sentimentalisme forcé. Documentaire et autobiographique à la fois, parrainée par l’un des papes françaises de la pensée critique, elle mériterait de figurer dans les oeuvres d’introduction à cette discipline.
Euh, si, internet existait en fait depuis pas mal de temps. Le web, en revanche, était en train de naître.
Bon, pour le grand public, forcément, c’est un terrain inconnu…
Cela dit, il y avait tout de même le minitel.
Quand l’auteure dit qu’au début des années 90 « Internet n’existait pas », il faut comprendre Internet avec la forme et l’accessibilité acquises du tournant des années 2000 jusqu’à aujourd’hui, en France qui plus est. A l’époque où se passe ce récit, les gens qui se gavent de sites conspirationnistes sur le web, ça ne court pas les rues.
Ceci dit, j’ai bien conscience que dès le début il y a eu des sites et forums qui traitaient du paranormal, je pense même qu’avec le porno cela devait être le genre de choses les plus recherchées dès les débuts du world wide web.
Ben c’est surtout qu’avant le web, il y avait déjà Usenet et ses newsgroup (oh, purée, ça ne me rajeunit pas !)…
Et je pense qu’en effet, le paranormal et le conspirationnisme y avaient une bonne place.
Tout-à-fait, mais ça ne faisait pas vraiment partie du quotidien de la plupart des gens, et encore moins de l’ado bretonne dont on suit le parcours ici.
Durant les années 90 il y a eu une véritable paranormal-mania en France, je me rappelle regarde tout petit des émissions comme Mystères, dont on peut retrouver sur YouTube ou Daylimotion des extraits. En cherchant bien on peut même retomber sur les fameuses « pommes volantes » !
J’ai rencontré l’autrice au salon Livr’à Vannes en 2021. Elle est très sympathique.
J’ai acheté et lu son 2e album Mon rond-point dans ta gueule peut-être en même temps ou avec un peu d’écart.
Voir mes avis sur le 1e et le 2e
Le paranormal a toujours hanté l’imaginaire de l’humanité.
Le côté médiatique revient régulièrement : dans les années 1960/1970, il y avait la collection « Les énigmes de l’univers » de Robert Laffont dans laquelle je m’étais plongée ado avec joie via les bouquins d’une soeur ainée. J’avais alors découvert Charroux, Von Daniken et consorts. Il y avait aussi les livres rouges de J’ai lu avec Lobsang Rampa, Charroux (encore), Tarade…
L’autrice était ado, j’étais ado quand je lisais ces livres… Sans doute, est-ce une période où l’on se pose des questions avec le danger actuel de plonger dans le complotisme qui n’existait pas à mon époque.
Je voyais les livres rouge que tu évoques à la bibliothèque municipale quand j’étais pré-ado, personne n’y touchais jamais. Leurs titres m’intriguaient, et quand j’ai demandé à la bibliothécaire ce que c’était elle m’a fait comprendre avec dédain que c’était des livres un peu pourris qu’ils avaient reçu en tant que don, et je n’ai pour cela pas tenté d’en lire un seul alors que le paranormal me fascinait. Je me demande à quel point les gens accordaient du crédit à toutes ces collections aux titres grandiloquents.
Ils n’étaient pas noirs avec écritures dorées ?
Ceux que j’ai lus l’étaient. C’est dans cette collection que j’ai découvert Charroux, à l’adolescence, moi aussi… Et si je trouvais certaines théories intéressantes, je voyais tout de même que l’ensemble était assez fumeux (et les sources assez nébuleuses).
J’ai longtemps pensé que c’était une réserve à idées saugrenues pour scénaristes amateurs et gourmets du mauvais goût. Dans les années 1980, moi et des potes, on en lisait, souvent avec gourmandise, comme s’il s’agissait d’une connaissance interdite à laquelle, paradoxalement, on n’accordait guère de crédit sérieux. Comme on regarde X-Files : en trouvant ça passionnant, mais en n’y voyant au mieux qu’une métaphore de la politique, de la société (mettons : les extraterrestres ou les reptiliens, c’est l’appât du gain qui oriente les sphères d’influence…).
C’est pour ça que je suis étonné, et somme toute déçu et désabusé, de constater que ces théories fumeuses, et souvent complotistes, ont quitté la sphère de l’imagination (où elles s’épanouissent car après tout, c’est leur véritable foyer) pour gagner celle de la réalité sociale dans une vaste confusion entre les choses à dénoncer les explications fourre-tout sans souci de vérification.
Le bouquin Ovnis nazis a été pour moi une sorte de révélation, en ce sens qu’il détaille une généalogie de cette confusion, qui est à la fois édifiante et fascinante. J’y vois une sorte de dissonance cognitive, qui conduit certaines personnes, dans leur volonté de dénoncer quelque chose, se précipiter vers les explications les plus nébuleuses qui, à la fois, renforcent leurs convictions et fragilisent leurs arguments.
Des collections qui se retrouvent très souvent sur les étales des brocanteurs, mais qui pour tout le mal qu’elles font mériteraient peut-être de finir à le benne.
Un excellent bouquin, Henri Brock est bien sûr cité dans la BD dont il est question ici.
Quand la légende est plus sexy que la réalité, on préfère croire à la légende… Et oui, c’est triste de se dire que certains auteurs de nos jours réfléchissent peut-être à deux fois avant de se lancer dans des récits traitant de conspiration, de peur que le simple divertissement deviennent un manifeste pour certains illuminés.
Et qui parfois donnent des explications à tous les (voire leurs) maux, plutôt que de se confronter à la complexité de la société, à la cruauté du déterminisme social ou (surtout ?) à l’absurdité du hasard.
Mais c’est toujours un peu les mêmes. J’en ai une trentaine / quarantaine, et c’est toujours un peu ceux-là que je vois tourner. J’ai du mal à compéter (bon, je suis pas en recherche frénétique non plus…).
Oui, voilà. X-Files dans la forme qu’on lui connaît aujourd’hui serait impossible, je pense. J’imagine qu’un tel projet prendrait une forme et une tonalité différentes, mais bon, c’est dommage, quand même.
Oui, bien sûr, il me semble même que c’est le principe.
C’est la dimension cultuelle, quasiment religieuse, du complotisme. Mais on trouve ça en politique (le nationalisme ou le néo-libéralisme ont leur part de foi).
C’est là que Fox Mulder est une réussite d’écriture : c’est un croyant (le célèbre poster…) mais tellement ouvert à la révélation potentielle, aux révélations plurielles voire contradictoire, qu’il en devient sceptique, au moins en pratique. Il est persuadé de l’existence d’une vérité cachée, mais il est prêt à accueillir la complexité des vérités cachées diverses, et donc il ne rejette rien.
Tout le contraire des complotistes du monde réel.
Je suis bien d’accord.
À leur décharge, accepter que le monde actuel est le résultat de l’addition d’un déterminisme sur lequel on n’a pas prise et d’un hasard qu’il est impossible de contrôler, ça peut être très difficile à vivre.
(Surtout dans un pays où l’on répète à l’envi que les rêves sont accessibles à ceux qui travaillent…)
C’est comme les Harry Potter, le Da Vinci Code, Twillight ou 50 Nuances de Grey : les best sellers (indifféremment de leurs qualités littéraires seront à jamais légion sur le marché de l’occasion !
Un nouvel X-Files aurait presque besoin d’un encart avant chaque épisode rappelant que ce n’est que de la fiction et de compléments en ligne pour expliquer les sources d’inspiration… et ça n’empêcherait pourtant pas certains de tout de même y voir un soupçon de véracité allant dans le sens de leurs fantasmes !
Une attitude sans doute forgée à partir de ses brillantes études en psychologie qui l’ont initié à la méthode scientifique puis à sa formation d’enquêteur du FBI.
L’hostilité face aux autorités officielles et autres élites d’une partie de la population tire ses origines d’une colère légitime et d’un désarroi sincère ; c’est peut-être même le plus grand drame dans cette affaire !