LA BRIGADE CHIMÉRIQUE - ULTIME RENAISSANCE (Serge Lehman / Stéphane De Caneva)

Bon, cette ultime renaissance est sans doute le récit super-héroïque hypermondien qui m’a le plus emporté dans la production de Lehman. Sans doute parce que la publication d’un seul tenant et la lecture en deux soirées a permis une immersion que ne favorisent pas toujours les séries longues dont on lit les épisodes au fil de leur publication (ce qui me fait dire qu’il va falloir que je relise Masqué, Metropolis et les autres d’un bloc, pour voir…).

Bon, déjà, si l’on s’arrête au seul plaisir de lecture et à la seule construction du récit, c’est une excellente histoire de super-héros. Je ne devrais pas dire ça (bon, les anti-super-héros irréductibles sont rares sur ce forum, mais je ne tiens pas à les effrayer…), au risque de dissuader les sceptiques de se lancer dans l’aventure, mais vraiment, les auteurs sont parvenus à construire une intrigue à rebondissements, qui ménage son lot de super-pouvoirs, d’origines diverses, de menaces grandiloquentes et de super-vilains convaincants.

L’astuce, c’est que tout cela est encore assez dissimulé pour ne pas effaroucher les lecteurs qui souffrent de vertige à la seule évocation d’une cape colorée. Les lecteurs au fait de l’histoire des surhommes reconnaîtront les clins d’œil à She-Hulk, au premier Captain Marvel, et à de nombreuses autres figures des illustrés américains, petites ou grandes. Le récit est structuré autour d’une quête : regrouper divers personnages susceptibles d’apporter leur aide face au problème en cours. Il y a une sorte d’immédiateté au récit, une approche linéaire qui permet de greffer sur le canevas des surprises, des arrivées, des départs, des rencontres, le tout avec une grande facilité fluide.

Lehman articule son récit super-héroïque autour d’un bureau universitaire de recherche dont le domaine de compétence touche à l’imaginaire et à l’inconscient collectif. Cette partie du récit permet aux auteurs de faire des références aux fameux « super-héros français », pan oublié ou mésestimé de la culture hexagonale. Les références, souvent accrochées aux murs, sous cadre, ou entassées dans des caisses et des cartons, permettent de croiser Tenax, Fantax, Atomas, et de plus récents représentants de cette tradition, qu’il s’agisse de Mikros, de Fox-Boy, du Garde Républicain ou de l’Archer Blanc… Et les membres de cette nouvelle Brigade Chimérique rendent hommage à cette tradition.

Mais, comme je l’ai dit, Lehman et de Caneva ne se contentent pas d’étaler leur science. Et le récit comporte de grands, grands moments. L’un d’eux me vient au moment de taper ces lignes : la description de l’étendue des pouvoirs du Soldat Inconnu, avec un discours à l’axe surprenant, mais à la mise en scène proprement « iconique » (ce franglisme galvaudé mérite d’être utilisé ici).
Vraiment, plein de belles scènes.

On pourra rajouter une caractérisation assez fine, notamment par le recours à des expressions propres à chaque protagonistes, qui donnent de l’épaisseur à sa présence et du concret à sa personnalité. On pourra aussi citer une conscience politique assez savoureuse, notamment par le biais du personnage de Béatrice, sorte de virago féministe moderne pleine de bonnes intentions qui s’égare parfois dans le choix de ses luttes (elle voit des « trips virilistes » à la moindre statue de Napoléon), mais qui souffre d’un syndrome de la Tourette qui la conduit à à professer des jurons à répétition, ce qui est un régal. C’est d’ailleurs dans ces moments où elle n’est pas sous l’effet de ses psychotropes « thérapeutiques » qu’elle se montre capable de toujours choisir le bon camp : Béatrice (qui a droit à l’une de ces scènes magnifiques dont je parlais plus haut, en l’occurrence lors de ses retrouvailles avec son père) incarne et matérialise une très belle réflexion sur le politiquement correct et sert de clé à tout un discours complexe sur la société actuelle (voir les unes de journaux qui apparaissent à plusieurs reprises).

Mais au-delà, il y a peut-être une dimension à côté de laquelle il est sans doute possible de passer, celle de la figure féminine. Les auteurs construisent une trinité d’héroïnes qui, chacune à sa manière, incarne une version de la femme telle qu’envisagée par la fiction populaire.
Sexy, métissée, vêtue d’une tenue qui laisse entrevoir sa taille fine et ses longues jambes, Nelly est l’archétype de l’héroïne en devenir telle qu’on la présente tout le temps, échappant à une routine professionnelle pour sortir des clous le temps d’une mission apparemment anodine, l’interchangeable vedette féminine des fictions grand public qui dévoilera un potentiel insoupçonné.
Béatrice, forte femme à tous les sens du terme, est la surfemme exagérée, répondant là aussi à des critères déjà bien rodés : plus grande, plus costaude, plus forte en gueule, elle n’a pas la peau verte de She-Hulk mais lui emprunte bien des caractéristiques.
À ces deux parangons du super-héroïsme féminin, Lehman et de Caneva opposent une femme normale, Nora, sans pouvoirs, portant une tenue protectrice et un casque de chantier. Elle est rousse, mais d’une teinte un peu délavée, un peu usée, ses cheveux composent une masse unique où les mèches ne s’éparpillent guère. Et pourtant, elle est maîtresse de sa vie, de son amour, de sa sexualité. Elle est épanouie, en contrôle, ne perd pas le nord, conserve son courage et prend les bonnes décisions (même si elles sont risquées) au bon moment.
Nora, c’est une manière de dire que les héroïnes ne sont pas toujours là où on les attend. En parfaite adéquation avec le reste du récit, en quelque sorte.

Jim

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