RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

Après avoir abandonné le catalogue du Quatrième Monde au bout d’une petite quinzaine de livraison, l’éditeur DC, sous l’influence notamment de Jenette Kahn, décide de relancer les personnages, voyant un potentiel dans ce sous-univers. Mais bien entendu, le « King » est parti entre-temps chez Marvel et c’est donc à d’autres auteurs que la rédaction confie cette relance.

C’est à Gerry Conway, jeune scénariste qui s’était fait remarquer chez Marvel pour avoir tué Gwen Stacy et séparé les époux Richards, et qui avait tête très brièvement de fonctions éditoriales, que la reprise des New Gods est confiée. Les personnages reviennent d’abord dans 1st Issue Special #13, dernière livraison d’une série anthologique vouée à tester les nouveaux concepts. Les dessins sont signés Mike Vosburg et les dialogues Denny O’Neil, et c’est un euphémisme de dire que ce chapitre est confus : Conway alterne des scènes au présent et des flash-backs, rendant un peu foutraque le déroulement du récit, une quête durant laquelle Orion (dans son costume revu et mal corrigé) tente de retrouver son père Darkseid afin de lui régler son compte, chose à quoi il ne se résout pas.

L’épisode sert de tremplin à la nouvelle série, qui reprend au douzième numéro, retitré pour le coup « Return of the New Gods ». Al Milgrom se charge des couvertures dans un style kirbyen qui fonctionne assez bien. à l’intérieur, c’est un Don Newton encore un peu jeune qui assure l’illustration des planches. C’est très joli, mais pas toujours très souple en matière de narration.

Le principe de la série est le suivant : à la suite des révélations du 1st Issue Special #13, Orion et ses congénères apprennent que l’Équation d’Anti-Vie a été fragmentée en six parties dispersées dans l’esprit d’autant de Terriens. Il faut donc les retrouver et les protéger des assauts de Darkseid qui, bien entendu, lance ses troupes sur le même chemin.

Conway a le courage d’assembler l’ensemble des surhommes et de proposer des identités variées aux Terriens qu’ils entreprennent de protéger. Mais les épisodes de dix-sept pages, habituelles à l’époque, sont trop courts pour qu’il puisse les creuser en profondeur (même si certains sont hérités de la période Kirby).

Plus convainquant, le scénariste lance, dès la fin de son deuxième chapitre, l’idée que le héros, plongé dans l’action et la violence, devient de plus en plus semblable à son géniteur. Un postulat qu’il n’exploite pas à fond mais qui montre que Conway a compris les tensions charpentant l’univers créé par Kirby.

Malgré la présence de Paul Levitz à la supervision éditoriale (ne laissant pas Conway s’auto-surveiller, comme ce fut le cas pour le 1st Issue Special), la série demeure un peu bordélique pendant quelques numéros, avant de trouver son rythme à l’épisode 15, dessiné par Rich Buckler qui singe Neal Adams et John Buscema. L’épisode est marqué par la mort de Lonar, et par la montée des enjeux. Orion est tendu, de plus en plus belliqueux. Parallèlement, le thème de la transmission générationnelle constitue un fil rouge, le High-Father se consacrant à un jeune Néo-Dieux et d’autres figures juvéniles intervenant dans la série.

Le titre est plein d’idées (l’attaque de Bedlam est plutôt sympa) et commence à montrer son ambition quand les différents Terriens sont enlevés par les forces d’Apokolips en vue de reconstituer l’Équation d’Anti-Vie. Conway convoque des idées issues de séries voisines, notamment l’Infinity Man vu dans Forever People. Sa série se veut une suite de l’ensemble du Quatrième Monde, sans la démesure du maître.

Hélas, prise dans la tourmente de la « DC Implosion », la série s’arrête au dix-neuvième numéro, daté de juillet 1978. Le sommaire du recueil New Gods by Gerry Conway propose alors Super-Team Family #15 (là aussi, dernier numéro de la série) dans lequel les New Gods s’associent à Flash afin de résoudre un mystère spectaculaire : Orion grandit à la taille d’une planète, à l’image des dieux colossaux et enchaînés que nous a montrés Kirby dans ses épisodes.

Sous une magnifique couverture de Garcia-Lopez, Gerry Conway nous livre une histoire qui n’est pas sans évoquer, outre Gulliver, l’épisode de Fantastic Four dans lequel Johnny Storm va chercher l’anéantisseur ultime afin de résoudre le problème posé par la présence de Galactus.

Ici, Arvell Jones, dessinateur fort moyen (encré en l’occurrence par Romeo Tanghal qui a des accents palmeriens dans les épaisseurs de traits, les ombres et les graisses), livre des planches généreuses et de grandes images, mais le chapitre dispose d’une fin un peu précipitée qui sent bon l’accélération de dernière minute et le manque de place. Des soucis d’équilibre narratif pour une histoire assez anecdotique.

La conclusion de la saga lancée par Conway trouvera place dans Adventure Comics #459 et 460, une série anthologique ayant à l’époque pour vocation d’héberger les héros sans toit (on a déjà parlé des mésaventures d’Aquaman ou de Deadman dans ce titre).

Je n’ai pas tout le Quatrième Monde de Kirby en tête, loin s’en faut, mais il me semble bien que le King n’a jamais représenté l’Équation d’Anti-Vie, à part quelques mentions explicatives ici ou là (dans Forever People #5, l’un des personnages par du contrôle absolu sur un esprit). J’ai donc bien l’impression que le combat que les New Gods mènent contre l’Antagonist, incarnation de l’Équation et maître des foules hypnotisées qu’il lance contre les héros, constitue la première occurrence de cette « zombification » dont Grant Morrison a fait le sujet de certains épisodes de sa JLA et de sa Final Crisis. Mais je me trompe peut-être. En tout cas, ne connaissant pas ces épisodes de Conway, l’idée m’avait semblé nouvelle chez Morrison, preuve donc que ce n’est pas le cas.

La saga se conclut après ces deux chapitres, mais le sommaire propose deux nouvelles variations par Conway, signe que le scénariste est attaché à ces personnages. La première, c’est l’histoire qu’il consacre à Lightray dans DC Special Series #10, également intitulé « Secret Origins of Super-Heroes », qui propose également deux histoires dédiées à Doctor Fate et à Black Canary.

Sous une (encore) formidable couverture de Garcia-Lopez, Conway et Newton (qui a fait des progrès au fil des épisodes et fait montre ici d’un talent annonçant ses épisodes batmaniens) se penchent sur la jeunesse de Lightray, Metron et Orion. On se demande s’il était bien nécessaire de raconter l’enfance de ces héros quasi-divins, même si l’épisode est bien troussé et riche d’émotions et de péripéties.

La deuxième déclinaison prend la forme d’une trilogie dans la série Justice League of America. Les épisodes 183 à 185 racontent une énième rencontre entre la Ligue et la Société, dont les membres se retrouvent téléportés sur New Genesis. Ils y croisent Orion (dans son costume moche) et les autres Néo-Dieux.

Là encore, Conway est au scénario, aidé de Dick Dillin pour le premier chapitre. Les deux suivants marquent l’arrivée de George Pérez au dessin, qui marquera durablement la série par son énergie et son sens du détail.

Le récit, qui fait intervenir Darkseid et des vilains de Terre-2 dans une tentative de déplacer Apokolips, est l’occasion d’une visite guidée des planètes rivales inventées par Kirby. Les perspectives vertigineuses qu’apprécie Pérez sont un bel hommage à l’inventivité débridée et presque non-euclidienne de Kirby, et le dessinateur nous emmène dans les recoins de ce Quatrième Monde qui, cette fois pour de bon, trouve sa place dans l’univers DC.

Dans l’ensemble, ce recueil offre des lectures divertissantes, mais souffre de plusieurs écueils : d’une part, fatalement, des auteurs conventionnels, même talentueux, doivent se mesurer à un monument kirbyen, et l’obstacle est quasiment insurmontable, surtout juste après le maître. Ensuite, le catalogue DC a subi des avanies énormes, rendant la tâche de Conway, visiblement planifiée à long terme, difficile. Et ce tâtonnement ne trouvera sa voie qu’après quelques années, à la fin du recueil donc : Conway s’est montré opiniâtre, certes, mais les héros de Kirby ne commencent à reprendre des couleurs qu’en subissant le traitement des autres catalogues absorbés par DC, à savoir devenir un décor où s’agitent les vedettes. Ce New Gods by Gerry Conway rend bien compte de cette évolution.

Jim

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