LE CORPS ET LE FOUET (Mario Bava)

REALISATEUR

Mario Bava

SCENARISTES

Ernesto Gastaldi, Ugo Guerra et Luciano Martino

DISTRIBUTION

Daliah Lavi, Christopher Lee, Tony Kendall, Ida Galli…

INFOS

Long métrage italien/français
Genre : horreur
Titre original : La frustra e il corpo
Année de production : 1963

Du fantastique Masque du Démon au furieusement pop Danger : Diabolik ! en passant par le premier grand classique du giallo, 6 femmes pour l’assassin, les années 60 furent particulièrement fastes pour le maestro Mario Bava. En 1963, il enchaîne 3 films : le thriller La Fille qui en savait trop (que je n’ai pas encore vu et dont l’ami Photonik parle dans son passionnant article sur le giallo), l’excellent film à sketches Les 3 visages de la Peur (qui m’avait bien traumatisé gamin) et Le Corps et le Fouet, romance surnaturelle et sado-masochiste à l’incroyable beauté formelle.

Accusé d’avoir provoqué la mort d’une gouvernante, le baron Kurt Menliff revient au château familial lorsqu’il apprend le futur mariage de son frère Cristiano avec son ancienne fiancée, Nevenka. Son retour au château n’est pas le bienvenu car tout le monde a des des raisons de lui en vouloir. Nevenka est la plus troublée car elle est encore attirée par Kurt et finit par retomber dans ses bras…après avoir tâté des lanières de son fouet. Kurt sera rapidement assassiné sans que l’on connaisse l’identité de son meurtrier. Nevenka se retrouve alors poursuivie par le fantôme de Kurt. Et les morts se succèdent…

À sa sortie, Le Corps et le Fouet connut quelques démêlés avec la censure à cause de son thème sulfureux, pourtant traité d’une façon qui échappe à toute vulgarité (et qui a condamné le film à sortir aux USA dans une version remontée qui était paraît-il incompréhensible…et elle fut d’ailleurs retitrée What ?).
Ce qui saute aux yeux, c’est qu’il s’agit d’une oeuvre dans laquelle Mario Bava utilise à la perfection sa grammaire visuelle, qui confirme une nouvelle fois (s’il en était besoin) son talent de directeur de la photographie, pour illustrer une histoire d’amour perverse et gothique mâtinée de surnaturel. La palette de couleurs est ici très importante et sert la narration…couleurs primaires associées à la froideur, à la mort, aux apparitions du spectre qui hante Nevenka, mais aussi à la passion déviante qui la déchire.

Le décor unique, isolé, battu par les vents, plein de mystère, participe à une tradition gothique magnifiée par les mouvements de caméra et une superbe partition musicale. Le travail sur le son est également brillant, avec un emploi de sons particuliers, comme le claquement du fouet, qui participe à l’atmosphère quasi-onirique de l’ensemble. On n’échappe pas aux fameux zooms avant/arrière, mais ils sont utilisés de façon plus parcimonieuse et à des moments judicieux.
Sous couvert d’un whodunit somme toute classique, Le Corps et le Fouet parle également de folie, folie passionnelle de Nevenka, qui ne peut échapper au désir brûlant qu’elle ressent tout en étant engoncé dans un rôle dans laquelle la société de l’époque l’enferme. Elle essaiera de toutes des forces de rester dans la « norme » mais les apparitions fantômatiques de Kurt précipiteront sa démence.

Dans un rôle taillé sur mesure pour Barbara Steele (mais ses relations difficiles avec Mario Bava sur le tournage du Masque du Démon ont fait qu’elle ne retournera plus avec le metteur en scène), la belle Daliah Lavi compose toutes les facettes de son personnage avec gravité et sensualité. Dans les années 60, le légendaire Christopher Lee commenca à faire régulièrement des allers-retours entre l’Angleterre et l’Italie, avec des résultats plus ou moins heureux. Son unique collaboration avec Mario Bava constitue l’un des points majeurs de sa carrière transalpine. Dans un rôle davantage marqué par le jeu corporel, sa présence impressionne. Dommage que la V.O. italienne, pour laquelle il a bien entendu été doublé, nous privent de la profondeur de sa voix.

Le Corps et le Fouet est l’un des rares longs métrages pour lequel Bava utilisera un pseudonyme à consonnance américaine (John Old). Il s’agit d’une méthode qui était souvent utilisée à la grande époque du cinéma d’explotaiton italien pour faciliter l’exploitation à l’étranger.

Esthétiquement splendide, Le Corps et le Fouet est un suspense surnaturel à la lenteur maîtrisée, une exploration sensuelle et sensorielle du conflit entre désir et morale, un grand film aussi romantique que troublant.

Attention chef-d’oeuvre !!

Un Bava que j’ai vu assez récemment, et qui m’a totalement bluffé. Un point important (que tu soulignes à juste titre) contribuant tant à la beauté du film qu’à sa profondeur, c’est l’utilisation de la couleur, qui anticipe un peu à mon sens ce que fera Argento en la matière.
Le philosophe Alain Badiou (grand cinéphile) a un mot qui me semble d’une grande justesse : « chez la plupart des cinéastes, on voit bien que la couleur est en trop. » Ce qu’il veut dire par là, c’est que les films en couleurs le sont généralement car c’est la norme depuis les années 60, en gros, mais que les cinéastes ne font pas un usage narratif de la couleur. La couleur est là mais ne « sert » pas le film au-delà d’un esthétisme vide.
Il y a des exceptions bien sûr (Powell, Antonioni, Argento donc, et plus récemment Tsui Hark, grand cinéaste des couleurs, celui-là), et Bava en fait partie ; la couleur et son usage font pleinement partie de son langage cinématographique. Et ça va au-delà de la simple « symbolique » courante des couleurs (le rouge pour la colère, le jaune pour la lâcheté, le vert pour l’espoir, ce genre de choses…) : c’est presque à l’effet physiologique / psychologique des couleurs sur le spectateur que ce genre de cinéastes s’attache (plutôt l’aspect couleurs froides / chaudes, etc…).
De ce point de vue, « Le Corps et le Fouet » est un des plus grands Bava, il me semble bien. L’aspect graphique (et en l’occurrence chromatique) porte l’histoire et son sous-texte passionnant, un genre d’histoire de passions refoulées qui dérapent en revenant à la surface.

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