LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP (Mario Bava)

REALISATEUR

Mario Bava

SCENARISTES

Mario Bava, Enzo Corbucci, Ennio De Concini, Eliana De Sabata, Mino Guerrini, Franco Prosperi

DISTRIBUTION

Letícia Román, John Saxon, Valentina Cortese, Dante DiPaolo…

INFOS

Long métrage italien
Genre : thriller
Titre original : La ragazza che sapeva troppo
Année de production : 1963

Nora Davis, une américaine, se rend à Rome où elle se fait héberger par une vieille amie de sa famille, à la santé fragile. Mais la première nuit, elle assiste à la mort de cette dernière. Choquée, elle erre dans les rues désertes de la ville, avant de se faire agresser par un voleur qui lui dérobe son sac. Alors qu’elle sombre dans l’inconscience, elle devient le témoin involontaire d’un meurtre…mais le lendemain, personne ne veut la croire…

La fille qui en savait trop (référence hitchcokienne évidente, même si l’histoire n’a rien à voir avec celle de L’Homme qui en savait trop) est à l’origine un projet international initié par l’américain Samuel Z. Arkoff, l’un des big boss de American International Pictures, studio qui était le principal pourvoyeur de séries B et Z des années 50 et 60 (voir quasiment tous les billets consacrés aux films de Roger Corman dans ces colonnes). Arkoff avait commandé à ses collaborateurs italiens une comédie policière et plusieurs scénaristes ont alors collaboré au script, dont le prolifique Ennio De Concini (qui avait travaillé sur Le Masque du Démon de Mario Bava) et un certain Enzo Corbucci (qui serait en fait Sergio Corbucci sous un prénom d’emprunt).

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Lorsque Mario Bava arrive sur le projet, il y voit l’occasion d’exprimer son intérêt pour la littérature policière (le giallo) et d’horreur en orientant l’histoire sur le thriller…et crée par la même occasion un véritable précurseur du giallo au cinéma (avant de donner au genre l’un de ses plus illustres représentants dès l’année suivante avec Six Femmes pour l’Assassin).
Astucieux, il livre à Samuel Arkoff un autre montage, plus axé sur la romance entre l’héroïne (la très jolie Leticia Roman) et le docteur incarné par John Saxon (qui fera pendant toute sa carrière des allers-retours entre l’Amérique et l’Italie) et sur la comédie. La version de Bava est plus sombre, tout en gardant des touches humoristiques assez amusantes (et c’est le personnage joué par John Saxon qui en fait souvent les frais).

Mario Bava a reconnu par la suite qu’il n’a jamais été totalement satisfait du scénario de La Fille qui en savait trop (et c’est vrai que celui-ci a quelques faiblesses, peut-être dues aux nombreuses réécritures). mais le film ne manque pas de très bonnes idées. Nora Davis est ainsi elle-même une lectrice assidue de gialli (l’équivalent italien de notre Série Noire), ce qui créé une mise en abyme très intéressante qui place la lectrice de romans policiers au coeur même d’un mystère qu’elle va devoir résoudre pour sauver sa vie (tout en reprenant certaines astuces trouvées dans ses lectures). Autre élément troublant : Nora est constamment amenée à douter de ce qu’elle voit…ou de ce qu’elle entend…ce qui créé un climat de suspicion bien entretenu jusqu’à la révélation finale.

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La fille qui en savait trop est le dernier long métrage tourné par Mario Bava en noir et blanc. Depuis Le Masque du Démon, le maestro n’avait tourné qu’en couleurs (Hercule contre les Vampires, La Ruée des Vikings…) mais il revint au N&B car c’était le signe distinctif de la plupart des films d’horreur et des thrillers italiens de cette époque (c’était juste avant qu’il ne se tourne définitivement vers la couleurs dès les flamboyants Le Corps et le Fouet et Les Trois Visages de la Peur, également sortis en 1963).

En noir et blanc comme en couleurs, le travail de Mario Bava, qui était le plus souvent son propre directeur de la photographie, était absolument brillant et cela se vérifie encore ici. Les contrastes remarquables entre lumières et ténèbres et la composition des plans distillent une atmosphère angoissante avec brio !

On aurait du mal à classer « La Fille qui en savait trop » dans les grands classiques du giallo, car l’absence de couleur lui interdit ce statut, et en ferait presque un OVNI dans le genre que le film est pourtant en train de créer, tant le giallo paraît porté par essence sur la couleur (et même un véritable « feu d’artifice chromatique » ; il suffit pour s’en convaincre de voir ce que Bava va concocter dès son giallo suivant, authentique classique du genre celui-là, le fameux « Six Femmes pour l’assassin »).
Et pourtant, j’ai toujours été frappé par la façon dont presque tout le genre (sauf les couleurs pétaradantes, donc) est résumé dans ce prototype ; la vision défaillante, c’est la veine Dario Argento avant l’heure, et le principe de mise en abyme et du déport du statut de l’enquêteur de la police vers un quidam, c’est toute l’histoire du giallo ou presque. Même la résolution, alors que le giallo est en train de naître, est un jeu sur ses codes et constitue une vraie surprise… Là encore, un certain Dario Argento saura s’en souvenir.
Un film certes bien moins impressionnant que certains de ses successeurs/descendants directs, mais qui reste une péloche extrêmement attachante, à l’importance « historique » certaine à l’échelle du cinéma de genre.

Constantin Belinsky :