PHANTOM OF THE PARADISE (Brian De Palma)

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REALISATEUR & SCENARISTE

Brian De Palma

DISTRIBUTION

William Finley, Paul Williams, Jessica Harper, Gerritt Graham…

INFOS

Long métrage américain
Genre : comédie musicale/horreur
Année de production : 1974

We’ll remember you forever Eddie
Through the sacrifice you made
we can’t believe the price you paid
For love

Phantom of the Paradise est sorti en 1974, mais c’est un projet que Brian De Palma portait depuis les années 60. Dans le documentaire récent qui lui a été consacré (De Palma par Jack Paltrow et Noah Baumbach), le réalisateur/scénariste se rappelle avoir un jour entendu dans un ascenseur une version « Muzak » d’un tube des Beatles et s’étonner du fait qu’une chanson aussi originale puisse être littéralement transformée en soupe aseptisée. C’est quelque chose que l’on retrouve dans le film,qui voit le producteur Swan voler la musique du compositeur Winslow Leach pour la transformer en quelque chose d’assez accrocheur pour faire l’ouverture de sa nouvelle salle de concert, le Paradise. Il y notamment une scène assez bluffante où Swan cherche sa nouvelle star et où l’on peut entendre le morceau principal de la cantate de Winslow Leach interprétée dans différents styles…des styles bien entendu loin de la direction voulue par le pauvre musicien…

Phantom of the Paradise n’est pas qu’une satire des dérives de l’industrie de la musique, puisque par extension le long métrage est aussi une réflexion (complètement barrée) sur la place de l’artiste dans un univers capitaliste où la recherche de la reconnaissance s’accompagne d’inévitables concessions. Le thème de l’auteur dépossédé de son oeuvre tenait évidemment à coeur à Brian De Palma qui s’était fait viré de son premier film de studio en 1969, Get to know your rabbit.

Opéra rock sur un opéra rock, Phantom of the Paradise déborde de références tout en ne se réduisant pas à un simple exercice de style car ces clins d’oeil aussi cinématographiques que littéraires servent parfaitement l’histoire de Winslow, Swan et Phoenix.
Il y a Le Fantôme de l’Opéra, puisque Winslow Leach, défiguré après être tombé dans une presse à disques (celle du label Death Records de Swan…oh, cruelle ironie), enfile un costume et un masque pour hanter les répétitions du Paradise. Il y a Le Portrait de Dorian Gray (et c’est d’ailleurs une brillante variation moderne de l’oeuvre de Oscar Wilde). Il y a bien entendu le mythe de Faust, puisqu’il est aussi bien au centre du film que de la cantate de Winslow Leach.

Le parcours de la chanteuse Phoenix peut être vu comme une version « dégénérée » d’Une Etoile est née. Frankenstein et Le Cabinet du Docteur Caligari nourrissent les numéros musicaux déments qui ponctuent le film. Et comme c’est dans l’ADN de Brian De Palma, Hitchcock n’est jamais loin. La parodie de la fameuse scène de douche de Psychose est ainsi croustillante à souhait.

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Comme je le souligne plus haut, Phantom of the Paradise ne se réduit pas qu’à ses références. Porté par une excellente distribution (le fidèle William Finley dans un rôle taillé sur mesure, la débutante Jessica Harper, l’acteur/auteur/compositeur Paul Williams), la comédie musicale de Brian De Palma est un spectacle ébouriffant, beau et étrange à la fois, qui passe d’un genre à l’autre avec une énergie démesurée. Une scène drôle et outrageusement cartoony succède à un moment qui peut vous déchirer le coeur…et la technique du split-screen est judicieusement utilisée pour renforcer le suspense lors d’un passage-clé qui révèle la présence du Phantom au diabolique Swan.

Et quel final…tourbillon de folie pure qui se termine sur un plan superbe et bouleversant !

Our love is an old love baby
it’s older than all our years
I have seen in strange young eyes familiar tears
We’re old souls in a new life baby
They gave us a new life to live and learn
Some time to touch old friends and still return

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Il n’y avait pas également un poster signé Richard Corben ?
Ce n’est pas loin d’être le DePalma que je préfère (ex-aequo avec le jubilatoire « Body Double »), et correspondant en plus à la période la plus passionnante de sa filmographie (cela a commencé à se gâter selon moi à partir des 80’s, après le flop de « Blow Out »). Et puis quelle inventivité sur le plan formel !

Jessica Harper est sublime :

Ouaip :

Le meilleur film de tous les meilleurs films. Pas moins. Un chef d’oeuvre du cinéma au même rang que 2001 et Citizen Kane.

Je me noie littérallement et avec jouissance dans ce film. L’opéra rock par excellente et un des plus brillants exemple de la capacité de De Palma à digérer et faire briller Hitchcock et surtout à poser le spectateur comme voyeur ultimes (celui voit et observe les autres voyeur. La scène de sexe entre Swan et Phénix avec Winslow qui les observes (lui-même observer par Swan) est un régal.

Mais je crois que la scène qui résume tout et qui reste mon kiff est celle où Swan travaille la nouvelle voix de Winslow et obtient un si brillant résultat qu’il en sort un « parfait » qui résonne encore. Cette nouvelle voix étant celle de Paul Williams lui-même

Un chef d’oeuvre. Faut vraiment que je me prenne l’édition de Carlota

Et quelle belle idée de réutiliser la chanson Old Souls à ce moment. La tristesse de Winslow n’en est que plus infinie…son cri est déchirant…

Va falloir que je vois ça alors !

J’ai baigné petit dans l’univers de l’OST. Mon père passait le disque régulièrement quand j’étais petit. Le morceau qui m’a le plus marqué, c’est « Somebody super like you » avec son intro de folie. La pochette m’a toujours intrigué.
J’ai regardé le film bien plus tard, mais le mal était fait. J’adore ce film et sa bande son.

Au-delà de la jouissance sensorielle procurée par la perfection formelle du film, on n’a pas non plus fini de creuser le puits sans fond de ses multiples interprétations possibles ; il y a la critique de l’industrie musicale et au-delà de l’industrie culturelle dans son ensemble, marquée par le pessimisme d’un Brian De Palma (qui se sent contraint au sein du système dans lequel il évolue), l’évocation de vieux mythes ou récits remis au goût du jour (au premier rang desquels trônent le Faust de Goethe et Marlowe, mais aussi le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux, évidemment, ainsi que "Le Portrait de Dorian Gray… mais le Doc a évoqué tout ça), et on en passe…

Plus étonnante est la grille de lecture avancée par un Jean-Baptiste Thoret par exemple, qui a souvent signalé à quel point De Palma, à l’instar de quelques-uns de ses collègues du Nouvel Hollywood, avait été « traumatisé » par le fameux film d’Abraham Zapruder qui témoigne de l’assassinat de Kennedy. Un document passionnant, d’une brutalité jamais vue auparavant mais aussi frustrant par l’absence de réponses qu’il amène (au contraire, son analyse a semé le trouble), et dont l’impact est immense sur les cinéastes américains de cette génération.
De Palma rejoue en fait l’assassinat de Kennedy à travers la scène de l’explosion de la bagnole qui sert de décor, filmée en split-screen (matérialisation en simultané d’une multiplicité de points de vue sur un événement unique), qui est la concrétisation du fantasme de De Palma d’accéder aux angles manquants du film de Zapruder…
C’est d’ailleurs aussi un hommage probable au célèbre et incroyable plan-séquence d’ouverture de « La Soif du Mal » d’Orson Welles (où une bombe explose aussi dans le coffre d’une voiture).

A noter également que dans la guéguerre qui a pu opposer De Palma et son rival/inspirateur transalpin Dario Argento, l’utilisation de l’actrice Jessica Harper dans « Suspiria » est certainement une conséquence de son apparition ici…

Effectivement cette grille de lecture est assez passionnante , même si je considère personnellement que le long aparté de Thoret sur le sujet aurait peut-être été plus adapté au sein d’une rétrospective d’un film encore plus représentatif de cette veine (comprendre par là, au-delà d’une seule scène assez chargé symboliquement).
C’est par exemple le cas de « Blow out » (avec l’assassinat d"un homme politique, à mi-chemin entre le « Blow Up » d’Antonioni et « Conversation Secrète » de Coppola) ou encore « Snake Eyes » (dans lequel la multiplicité des points de vue joue un rôle clé dans la résolution de l’intrigue).

C’est vrai, les films que tu cites sont plus directement « connectés » à ce thème, l’abordent plus franchement.
Mais je pense que Thoret fait justement exprès de prendre l’exemple de « Phantom Of The Paradise » pour procéder à cette analyse : a priori le film est très éloigné de ça, mais la thèse de Thoret c’est que même dans les films en apparence les plus déconnectés du meurtre de JFK, cette obsession affleure. Il aurait aussi pu s’appuyer sur « Sisters », dont le meurtre filmé sous deux angles différents renvoie aussi au film de Zapruder, en creux.

C’est intéressant de voir, et c’est ce que dit en substance Thoret, comme quoi l’assassinat de JFK a tellement imprégné l’imaginaire américain, (big up à l’excellent premier arc du génial Shade the changing man de Milligan et Bachalo, un des plus remarquables représentants de la haute tenue du Vertigo des 90’s), qu’il suffit bien souvent d’utiliser le tristement célèbre tailleur rose maculé de sang de Jackie Kennedy pour évoquer indirectement cet événement. Pas besoin de surligner puisque la référence est claire, c’est notamment le cas dans un épisode de la saison 4 des Simpson, celle que je place tout en haut du podium avec la 3 et la 5.

Tout à fait d’accord avec les exemples que tu donnes (notamment celui de Milligan, qui représente JFK sous forme de Sphinx, donc d’énigme insoluble, symboliquement ; c’est aussi comme ça que le voit De Palma), qui soulignent le caractère hanté de la société américaine après ces événements ; c’est bien ce que souligne Thoret : dorénavant, les Américains ne pourront plus faire comme si leur univers politique n’était le jouet de forces obscures, comme cet assassinat et ceux qui suivront dans la même décennie en attestent. Peu d’indices auront à être convoqués pour que les spectateurs comprennent les allusions directes ou indirectes à la « chute de Camelot », comme on a pu le surnommer.
Même des films très éloignés en apparence, là encore, de la mort de JFK en seront des témoins presque en direct, comme le « Bonnie and Clyde » d’Arthur Penn (qui fut un proche du parti démocrate et de l’équipe de Kennedy, pour laquelle il a bossé) : dans la fusillade finale, le réalisateur a calé un plan très bref sur le crâne de Clyde Barrow dont l’arrière explose, comme un rappel du sort funeste du président américain tombé à Dallas…

À propos de l’aspect « arthurien » (évoqué par Xavier Fournier dans un article assez copieux), il y a dans un des comic-books de l’époque une concordance assez frappante. Dans le fameux Avengers #4, qui voit le retour de Cap (après la version des années 50 reprise plus tard par Englehart), son come-back coïncide peu ou prou avec la période de l’assassinat du président, ce qui lui confère une portée symbolique assez forte.

Hotz :

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Ca, ça a plutôt sa place ici :

Oups ! :relaxed:

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Oui, oui … je me suis trompé de chemin. Je pensais opéra, et je suis allé au paradis.

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