RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

On a déjà parlé de la série Quasar, de Mark Gruenwald, qui a eu le droit à deux TPB.

J’avais évoqué la série dans ma rubrique « Viens dans mon comic strip », et je me permets de la « rediffuser » ici.

QUASAR

Le magnum opus de Mark Gruenwald

Pour beaucoup, le meilleur travail de l’estimé et regretté Mark Gruenwald demeure Squadron Supreme, une exploration, par le truchement d’un groupe de héros Marvel vivant sur une Terre alternative, l’impact « réel » des super-héros sur la société, si ces derniers se mêle de politique. Pourtant, malgré la reconnaissance critique et publique obtenue par cette mini-série, un autre travail s’impose comme son œuvre majeure : Quasar.

D’abord quelques rappels rapides. Mark Gruenwald, né le 18 juin 1953, commence à travailler chez Marvel en 1978, où il occupe des fonctions éditoriales. Il écrit également et, chose moins connue, il dessine, réalisant notamment la première mini-série consacrée à Hawkeye , ainsi que quelques épisodes de What If , Marvel Team-Up ou Hulk . L’une de ses plus grosses réalisations consistera à superviser le Marvel Universe From A to Z , vaste encyclopédie recensant les héros et vilains, vivants et défunts, évoluant dans l’univers de l’éditeur qui l’emploie.

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En tant que scénariste, il sera l’auteur de nombreux récits, parfois en solo parfois en tandem avec Ralph Macchio (celui de Marvel, pas celui de Karate Kid ), notamment sur Marvel Two-in-One , où il livre des aventures épatantes profondément ancrées dans cet univers. De même, il signera un run particulièrement long sur Captain America , mélangeant l’excellent et le lourdingue, mais parvenant toujours à distraire et à explorer la richesse infinie de ce monde de fiction. On lui doit l’arrivée de USAgent, une réflexion sur le devoir de réserve et la désobéissance civile, ainsi que des sagas aussi palpitantes que « The Bloodstone Hunt » ou « Street of Poison ». Un bilan tout de même assez positif si l’on considère le grand nombre d’épisodes.

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Gruenwald décède le 12 août 1996. La légende, colportée notamment par Sean Howe, veut qu’il ait une crise cardiaque après avoir découvert le premier numéro de Captain America signé Rob Liefeld.

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Connaisseur encyclopédique de Marvel, Gruenwald commence sa carrière en écrivant dans Amazing World of DC Comics , le fanzine officiel de l’éditeur d’en face. Dans ses différents travaux, il témoigne d’un intérêt évident pour l’autre grand univers de super-héros. Et sa série Quasar ne dérogera pas à la règle.

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Quasar, tiens, parlons-en. Le personnage est l’héritier d’un autre héros, Marvel Boy, apparu dans les années 1950 (et lui-même héritier d’un nom porté par un justicier juvénile des années 1940), et ramené par Roy Thomas dans Fantastic Four . Marvel Boy tirant ses pouvoirs de ses bracelets, quand il disparaît (il était censé être mort, mais il va mieux maintenant, voir la série Agents of Atlas ), les bijoux sont récupérés par le SHIELD qui décide de les confier à un agent. Wendell Vaughn fait donc son apparition sous le nom de Marvel Man dans Captain America #217 daté de janvier 1978, puis en tant que Quasar dans The Incredible Hulk #234, daté d’avril 1979.

Héros de seconde zone, à une époque où tout le monde ne fréquentait pas les rangs des Vengeurs, Quasar cherche sa voix, et semble la trouver en tant que responsable de la sécurité du Projet Pegasus, vaste complexe scientifique où des équipes de chercheurs étudient les pouvoirs des super-vilains sous le prétexte de découvrir des sources d’énergie. Ce projet secret, antre de la corruption, sert de toile de fond à de nombreux épisodes de Marvel Two-in-One (dessinés par John Byrne puis George Pérez et correspondant à l’une des meilleures périodes de la série).

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Mais le héros semble toujours dans l’ombre des autres. Figurant dans les aventures des autres, il dispose de pouvoirs récupérés sur la dépouille d’un prédécesseur et doit constamment faire ses preuves, entretenant un sentiment d’échec.

C’est sur ces bases que Gruenwald construit la nouvelle série. Le premier épisode ne propose rien de moins qu’une réécriture des origines, signe que le héros semble incapable de voler de ses propres ailes.

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Nous sommes en 1989, Marvel connaît une certaine croissance, et lance de nouvelles séries. Parmi les motivations, il s’agit pour l’éditeur d’occuper le terrain mais également de valider des marques, afin de ne pas laisser en déshérence ses propriétés. Le personnage apparaissant à la même période parmi les Vengeurs, il gagne en notoriété.

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Le point intéressant de la série, c’est que Gruenwald, en prenant sous son aile un héros incertain, hésitant, pétri de doutes, suit un cheminement qui sera, plus tard, celui de Dan Slott sur ses différentes séries (et autour de personnages tels que Jennifer Walters, Hank Pym ou Peter Parker) : il le fait avancer sur le chemin de la vie, gagner en confiance en soi, et accéder à un statut plus élevé que précédemment. En revanche, le scénariste prend le temps de confronter Wendell à des tas de problèmes entretenant chez lui le sentiment qu’il n’est pas digne de son rôle ni de sa place dans la communauté des super-héros. Quasar changera plusieurs fois de costumes, parfois par l’intervention d’entités supérieures, parfois de son propre chef, mais là encore, c’est le signe qu’il se cherche.

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Le personnage est, d’une manière, très proche de son scénariste. Gruenwald décide de placer la famille du héros à Oshkosh, dans le Wisconsin, la ville dont il est lui-même originaire. Il est possible de penser que Quasar est l’incarnation de ses propres doutes, alors que dans le même temps, il écrit les aventures de Captain America, symbole de la nation que tout le monde admire. Gruenwald n’hésite donc pas à faire de Wendell Vaughn un fanboy admiratif de la stature du Vengeur étoilé. Paradoxalement, le héros à nouveau reprend la fonction d’un justicier précédent : en effet, l’autre Vengeur fan de Cap, c’est Hawkeye, que Gruenwald connaît bien.

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Redéfini comme un héros fragile, Quasar est pourtant, dès le second numéro, rebaptisé « The Cosmic Avenger », promettant l’exploration d’un pan du monde Marvel à l’époque un peu laissé en jachère. Si la série prend un peu de temps avant de trouver ses marques, le justicier des étoiles est bientôt embarqué dans des sagas de plus en plus ambitieuses et plutôt rondement menées. « Journey into Mystery », dans Quasar #13 à 16, il mène l’enquête sur la mort des Gardiens (et l’air de rien, ça cause presque de mémétique avant l’heure), les quatre numéros portant des couvertures de Jim Lee (magnifique), Todd McFarlane, Mike Mignola et Steve Lightle. Dans « Cosmos in Collision » ( Quasar #18 à 25), il affronte Deathurge, Maelstrom et Oblivion (vous savez, on en a parlé à l’occasion de l’évocation des aventures d’Iceman). La série se porte bien, est concernée par le gros cross-over « Galactic Storm » secouant le catalogue Avengers, a droit à une couverture argenté pour le #50

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Gruenwald ne ménage pas son héros. En plus des doutes perpétuels dont il l’afflige, il l’ampute, le tue plusieurs fois, et lui fait subir des métamorphoses en rafale, poussant toujours plus loin la logique des récits initiatiques voulant que le héros doit mourir avant de mieux renaître. Si le schéma peut sembler enquiquinant, le scénariste, passant la vitesse supérieure, confère ainsi à la série une nervosité qui ne faiblit jamais.

Une autre ombre héroïque vient planer au-dessus du héros. Dans Quasar #13, Wendell rend ses hommages à Captain Marvel. Là encore, s’il se sent inférieur à son illustre prédécesseur, il sera par la suite contacté par Eon (enfin Epoch, la version 2.0, en somme) et deviendra à son tour le protecteur de l’univers nanti d’une forme de « conscience cosmique ». Peu à peu se construit un personnage prenant une part de plus en plus grande dans la cosmogonie Marvel, fréquentant les entités conceptuelles et affrontant des menaces universelles.

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La série a droit a de grands moments graphiques. Lancée par Paul Ryan, elle est reprise par Mike Manley puis par l’excellent Greg Capullo, alors encore au début de sa carrière. Travaillant dans un style proche de celui de Romita Jr, il illustre certaines des meilleures aventures proposées par Gruenwald, y compris « Cosmos in Collision ». Mais les épisodes de Steve Lightle et même d’Andy Smith sont assez chouettes aussi.

De nombreux personnages prennent de l’importance. Notamment Makkari, l’Éternel bolide créé par Kirby (et associé, par Stern, à d’autres « speedsters » de Marvel). Mais également Her, les héros du « New Universe » voire les univers alternatifs présentés dans les What If , le tout dans une vaste déclaration d’amour à la continuité et à ses déclinaisons. Gruenwald va jusqu’à faire apparaître des héros DC déguisés, parmi lesquels, bien entendu, l’Escadron Suprême, dont les membres reviennent au début de « Journey into Mystery », mais également le plus rapide bolide de l’univers, battant tous ses homologues Marvel : derrière le sobriquet de « Buried Alien », on reconnaît bien entendu Barry Allen, alias Flash.

La série s’interrompt au soixantième épisode, daté de juillet 1994, après un dernier cross-over , « Starblast », et la révélation que les pouvoirs du héros l’obligent à s’éloigner de la Terre, pour un exil indéterminé, et ce en dépit du fait que Quasar est désormais en possession de la Starbrand qui pourrait lui assurer un certain confort. Le scénariste a le courage d’abandonner son héros fétiche dans une situation ressemblant à une défaite, où le sacrifice ne le rend que plus héroïque.

Le premier épisode est imprimé à une époque où les comic books affichaient encore des trames colorées à gros points sur un papier à la qualité discutable. Le dernier chapitre propose un meilleur papier, des trames plus fines rendant mieux les aplats, et au final la série couvre une période de l’histoire de la bande dessinée américaine marquée par de profonds changements, dans la forme comme dans le fond. D’un point de vue personnel, elle correspond également à un feuilleton que je suivais en le commandant à Dangereuses Visions (à partir du #18), avant de l’acheter sur Paris, où je m’étais rendu pour mes études : bref, une sorte de madeleine, quoi. Cette fin de série, due aux ventes peu satisfaisantes, permet tout de même à Gruenwald de conclure son travail et de laisser le sentiment d’une œuvre achevée. Ce qui, somme toute, demeure assez rare : une série menée par un seul scénariste sur soixante numéros et donnant l’impression d’une épopée conclue, voilà qui mérite la lecture.

Jim