RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

En 1994-1995, dans la foulée de Marvels, l’éditeur lance différents produits en peinture destinés à évoquer les grandes heures ou les grands personnages de son histoire éditoriale. Et notamment trois one-shots renvoyant aux anthologies ayant vu naître certains de leurs plus grands héros : Tales to Astonish, Tales of Suspense et Strange Tales. En 2018, une compilation permet de retrouver ces trois récits.

Les trois récits sont écrits par des scénaristes déjà bien connus à l’époque. Le premier au sommaire, Tales of Suspense, regroupe Captain America et Iron Man. Le scénario est signé James Robinson et les illustrations Colin MacNeil, un auteur s’étant illustré sur Judge Dredd, entre autres.

Le principe est simple : Nick Fury et Dum-Dum Dugan convoquent séparément Captain America et Iron Man afin de les enrôler dans une mission contre un groupe terroriste. Bien entendu, les lascars n’informent pas leurs agents improvisés que quelqu’un d’autre est missionné. D’autant que les relations entre les deux héros sont à l’époque assez tendues.

Amateur des effets de style et d’une approche formelle du récit, James Robinson écrit l’histoire en parallèle, faisant résonner les deux voix off des personnages et alternant les cases ou les planches afin de mettre leurs actions en parallèle.

Le groupe terroriste qu’ils affrontent renvoie chacun des deux héros à son propre passé : un savant que Cap a affronté durant la guerre, ou les notes et les plans que Tony a laissés dans la grotte où il a fabriqué sa première armure. Ils sont donc tous deux impliqués, touchés personnellement.

Mais Robinson a la bonne idée d’expliquer que ce sont des diversions installées par un méchant assez retors et conscient de l’impact que cela exerce sur les héros. L’attentat ne vise pas la présidence américaine mais un partenaire industriel japonais, dans le but d’affaiblir l’économie américaine. Bien entendu, les héros sauront intervenir au dernier moment.

Le deuxième récit compilé dans le recueil est Tales to Astonish, une aventure réunissant Ant-Man, Wasp et Hulk, des piliers de la fameuse anthologie (les deux premiers y ont vu le jour, le troisième y a trouvé refuge quand son propre titre s’est arrêté). Le scénario est signé Peter David et le dessin John Estes.

L’histoire commence à Oslo, où un criminel a capturé le juge qui l’a condamné et se venge en reproduisant le supplice que la mythologie associe à Loki. De leur côté, Hank Pym et Janet Van Dyne se rendent à un colloque sur la police scientifique européenne, pour lequel le scientifique vient faire une conférence. Ils sont accueillis par Kurt Hamsun, un policier norvégien.

Très rapidement, les trois interlocuteurs évoquent le sujet du criminel, et les deux héros se lancent à sa poursuite. La traque se déplace dans la région des fjords, où le bandit découvre, dans une grotte, une dague enchantée par Loki (reproduisant ainsi le schéma ayant vu naître Thor). Lui-même étant grand amateur de mythologie, il s’empare de l’objet et devient une sorte d’incarnation démente du dieu farceur.

La première rencontre se passe mal pour les deux héros insectoïdes qui ne doivent leur salut qu’à l’intervention de Hulk, dans son incarnation « Docteur Banner ». De son côté, le faux Loki transforme un loup et un serpent de zoo en pseudo Fenris et Jormundgand, ainsi qu’une otage en Hela. Les héros le retrouvent dans un palais magique.

Le faux Loki prend Hulk pour un nouveau Balder. L’intervention des trois Vengeurs permet de retourner la magie de leur adversaire contre lui-même, ce qui libère l’otage.

À la fin du récit, Hulk parvient à s’emparer de la dague ensorcelée, à résister au sort qui l’habite et à jeter l’objet dans la mer.

Le troisième récit compilé dans ce recueil est Strange Tales, écrit par Kurt Busiek et illustré par Ricardo Villagran. Ce tome fait intervenir Johnny Storm, Ben Grimm, Doctor Strange ainsi que Nick Fury, autant de figures ayant donné à la célèbre anthologie un pan entier de son histoire.

Tout commence lors d’une des fameuses parties de poker regroupant certaines des figures les plus remarques de l’univers Marvel. En l’occurrence Ben Grimm, Nick Fury, Johnny Storm et… Doctor Strange, qu’on ne remarque pas tout de suite. Le récit s’ouvre sur l’évocation d’un épisode de la carrière de Fury durant lequel il a affronté Yellow Claw. Johnny et Ben ont du mal à le croire et racontent à leur tour une visite à leur ami Wyatt Wingfoot, qui a conduit à une aventure incroyable.

Leur ami, chef de la tribu des Keewazi, les a appelés parce que des événements surnaturels se produisent sur le territoire de la réserve. Il leur raconte une anecdote qui évoque le folklore indien, et les deux héros acceptent de rester dans le coin afin de voir de quoi il retourne.

C’est ainsi que les propos de Wyatt réveillent des souvenirs de précédentes aventures. C’est l’occasion pour les auteurs de revenir à la période de publication d’origine, quand Johnny fréquentait Dorrie. C’est ainsi que les héros, dans cette vieille aventure, ont affronté des alligators dans les égouts, conformément à une légende urbaine.

Les deux héros sont donc opposés à Golden Gator, un super-vilains reptilien qui finit écrasés sous l’éboulement d’une voûte d’égout. Mais l’évocation de ce souvenir, ainsi que la concentration d’énergie magique, a attiré le Doctor Strange sur la réserve indienne, qui raconte lui aussi une aventure.

Car oui, Strange a connu aussi une affaire comparable, enquêtant sur l’apparition d’un monstre dans les milieux aisés de la ville. Mais quand il est intervenu, le sorcier a vu la créature disparaître sans explication.

Une créature qui apparaît, qui sème le trouble puis qui s’évanouit sans explication, voilà qui ressemble à ce que Wyatt observe dans sa tribu. Et cela rappelle un autre souvenir au jeune homme, le souvenir d’un récit qui lui a été raconté quand il était enfant, et qui remonte à la jeunesse de son propre père.

Il s’agit d’un affrontement entre son grand-père (que l’on a croisé lors de vieilles apparitions de Wyatt et dont on apprend qu’il était amateur des monster comics de Marvel) et Oorgo, un personnage apparu il y a longtemps sous les crayons de Jack Kirby. Le vieux shaman est parvenu à le repousser grâce à un vieux talisman indien.

Comprenant qu’ils ont affaire à des créatures de fiction, nées de rumeurs, de légendes urbaines ou même de bandes dessinées, les quatre aventuriers se tournent vers celui qui est parvenu à l’origine à repousser l’assaillant, le fantôme de Silent Fox, le grand-père de Wyatt.

Mais Doctor Strange est le seul à comprendre l’entourloupe : les adversaires se sont matérialisés face à ceux qui croyaient à leur existence. Or, les héros croient en l’existence du fantôme de Silent Fox, si bien qu’il est simple de comprendre que le spectre n’est pas leur allié, mais un nouvel avatar de leur ennemi, Khlog.

Sur les conseils de Doctor Strange, Wyatt utilise le vieux talisman de son grand-père et raconte l’histoire de trois aventuriers qui combattent « l’ennemi ». Ainsi, c’est par une histoire qu’il combat une histoire, et finit par vaincre.

Bien entendu, Nick Fury ne croit pas un instant à ce récit, pas plus que ses partenaires de jeu n’ont cru au sien. Kurt Busiek joue la carte (hinhinhin) de la mise en abyme, de l’histoire imbriquée dans l’histoire, et donne au titre de son récit, « Strange Tales », une couche supplémentaire de signification. Il offre aussi l’histoire la plus classique et la plus en prise avec le passé éditorial de Marvel. D’ailleurs, le recueil marque une progression évidente : on commence par James Robinson qui propose une écriture moderne toute en style et en effets, mais qui vieillit vite, puis on passe à Peter David chez qui la modernité se loge dans les dialogues plein de références et dans le décalage, avant d’aller vers Kurt Busiek qui joue la carte de la nostalgie et de l’exploration des aspects les plus folkloriques et grotesques de Marvel dans une relecture contemporaine.

Le recueil, s’il commence par le récit le plus typé pour finir par le plus distrayant, présente quand même quelques défauts. Parmi eux, une impression très sombre qui nuit beaucoup aux deux premières histoires, et l’oubli fâcheux de la page de crédits d’auteurs dans le premier volet, qui a purement et simplement disparu, laissant à sa place une page blanche. Un peu plus de soin n’aurait pas été du luxe.

Jim

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