Lancée en 1998, la série Captain America: Sentinel of Liberty cherche à profiter du succès que connaît le titre central, alors aux mains de Mark Wai et Ron Garney, qui ont repris les commandes après l’intermède « Heroes Reborn ». La série régulière connaît un lent redémarrage, très joli et assez plaisant, mais qui met du temps (l’invasion Skrull, la dimension politique et électorale, le bouclier cassé…). Profiter du succès, c’est logique, mais Matt Idelson, le responsable éditorial, a l’idée saugrenue de déménager Ron Garney et de lui confier la direction graphique de la nouvelle série. Une fausse bonne idée.

Effectivement, si Waid et Garney attirent les foules, pourquoi ne pas leur donner l’occasion de lancer une nouvelle série ? Sauf que cela revient à déshabiller Pierre pour habiller Paul et qu’il faudra donc trouver un remplaçant (et la série Captain America mettra du temps à le dénicher en la personne d’Andy Kubert), que Garney va se retrouver avec une surcharge de travail puisque le premier épisode de Sentinel of Liberty a une pagination accrue, et que le dessinateur va se sentir brinquebalé d’un titre à l’autre pour des raisons commerciales et vivra assez mal la manœuvre.
La composition de la nouvelle série (dont les douze numéros sont compilés dans un gros recueil cartonné en 2011) témoigne aussi d’un manque de préparation, ou peut-être du désordre induit par le départ de Ron Garney. Car rapidement, la proposition va se déliter. Ce qui permettra d’offrir, tout de même, quelques beaux moments.
Le premier récit, encré par Dan Panosian et donc très dynamique, raconte une mission de Cap et Sharon Carter, qui éveille dans la mémoire du héros le souvenir d’une autre affaire, durant laquelle l’Héli-porteur du SHIELD a été détourné (c’est une époque où ce genre d’engins ne se crashait pas trois fois par épisode bendissien).
Le récit met donc en scène une Sharon Carte dure, âpre, impitoyable, mais en qui Cap reconnaît quelqu’un prêt à faire le sale boulot à sa place afin de ne pas ternir le drapeau qu’il arbore. C’est également l’épisode où le couple se rapproche. Un chouette chapitre d’introduction, qui repose les bases, mais qui aurait très bien pu constituer un diptyque dans la série principale.
Le Doc nous en parle ici :
Puisque l’épisode est articulé autour d’un flash-back, le principe de la série Captain America: Sentinel of Liberty est énoncé clairement : les lecteurs vont pouvoir explorer le passé du personnage à l’occasion de récits situés à différentes époques. Et c’est ainsi que les épisodes 2 à 4 nous entraînent dans une nouvelle mission avec les Invaders, en pleine Seconde Guerre mondiale.
Les héros sont prisonniers des Nazis, qui se sont emparés d’Atlantis à la faveur d’une alliance trompeuse. Outre des copies de Human Torch, les Envahisseurs font la rencontre de la mère de Namor et libèrent des prisonniers servant de cobayes aux forces de l’Axe.
C’est super-dynamique, très bien encré par Dan Green, plein d’idées visuelles et doté d’une caractérisation réussie. Le triptyque fait peut-être un peu doublon avec les trois chapitres de Marvel Universe que Roger Stern et Steve Epting consacrent, quelques mois plus tôt, aux héros des années 1940.
Là encore, le Doc nous en parle :
Captain America: Sentinel of Liberty #5 nous ramène à la période où Cap, fraîchement démoulé de son glaçon, tente de s’adapter au monde moderne. Cette fois, Waid et Garney le font interagir avec Iron Man, pendant que le héros découvre que le quartier qu’il a connu a bien changé et se fait rabrouer par les habitants qui voit en lui un imposteur peu respectueux du passé.
Les deux héros sont assaillis par des robots hypnotiseurs (renvoyant à une vieille aventure d’Iron Man) qui finissent par mettre le Vengeur en armure sous leur coupe. Mais l’épisode se conclut au bout de quelques pages, le sommaire étant consacré à un autre récit. La cacophonie éditoriale commence, et va contribuer à saper le succès de la série.
L’autre récit, c’est une intrigue concoctée par Mark Waid et Brian K. Vaughan, avec des dessins de Doug Braithwaite. L’épisode s’ouvre sur une scène d’asile de fou, un homme prétendant être Cap. Articulé autour de courses-poursuites dans les couloirs de l’institution, l’histoire confronte le héros étoilé au Chameleon, un adversaire de Spider-Man qui s’est déjà fait passer pour le patriote face à Iron Man, il y a bien longtemps.
Les deux récits trouvent leur conclusion dans l’épisode suivant, mais la disposition éditoriale, à savoir deux intrigues dans le même fascicule, si elle évoque les anthologies des années 1960 dans lesquelles les héros Marvel ont commencé à prospérer (et ce choix semble presque raccord avec la veine passéiste de cette série), finit par déliter le peu de cohérence éditoriale dont le titre disposait.
Captain America: Sentinel of Liberty #6 conclut les deux intrigues en cours et en rajoute une, avec la première partie d’un récit consacré au Captain America de l’Indépendance. Cette fois, le récit est réalisé par Roger Stern et Ron Frenz. Il s’agit en fait d’un épisode mis en chantier pour la série Marvel Universe que nous avons évoquée plus haut, mais qui s’est interrompue après sept épisodes pourtant excellents. Plusieurs chantiers avaient débuté, dont une histoire de Doctor Strange et cette vision historique de Cap.
Le Doc nous en parle ici :
La couverture prévue pour la série Marvel Universe sert à Captain America: Sentinel of Liberty #7, qui abrite donc la conclusion de l’épopée menée par Stern et Frenz et un court chapitre, par Brian K. Vaughan et Steve Harris, durant lequel le héros fait la connaissance du président, Franklin Delano Roosevelt, dont la seule présence finit par gommer les doutes que l’ancien gringalet de Brooklyn pouvait encore avoir.
Suivent deux chapitres, par Mark Waid et Cully Hamner, situés dans la période seventies où Sam Wilson porte encore son costume vert et noir et s’est associé au héros patriotique.
L’épisode 10, signé James Felder et Steve Mannion, est un récit parodique opposant le héros à Modok, dans un style graphique assez amusant. Une pause qui ajoute à la sensation de fourre-tout qui teinte la série.
La onzième livraison renoue avec les évocations du passé, Mark Waid rappelant la présence d’un imposteur face à Johnny Storm, astuce éditoriale qui avait permis à Stan Lee de tester la réactivité du public à l’idée d’un retour du patriote.
Le douzième et dernier épisode, écrit par Mark Waid et illustré par Doug Braithwaite et Anthony Williams, revient sur le tandem Cap / Bucky, articulant son déroulement entre l’instant où le garçon découvre l’identité du héros et celui de sa mort. Le scénariste parvient à donner un hommage souriant à ce qui, à l’époque, demeurait comme l’un des grands drames inconsolés de la continuité Marvel.
La série, pour bordélique qu’elle soit, témoignant d’un bazar éditorial confinant à la panique, propose de vraies pépites. Waid connaît bien son sujet, et parvient à injecter de l’émotion à de nombreux instants tragiques dans la carrière du personnage. L’humour reste présent, faisant de ce portrait en creux du héros patriotique une lecture divertissante, malgré le manque de direction éditoriale.
Jim















