En 1988, Marvel faisait paraître un de ces petits TPB timides qui préfiguraient la grande invasion de recueils qui arrivera une quinzaine d’années plus tard, et qui utilisaient du matériel prestigieux réalisé par des auteurs renommés (et c’est là qu’on se rend compte que ça bien changé, aujourd’hui que tout ou presque déboule en TPB). Sensational Spider-Man contenait les deux Spider-Man Annuals réalisés conjointement par Denny O’Neil et Frank Miller (avec, en inexplicable bonus, une courte aventure de Spidey et Johnny Storm par Lee, Kirby et Ditko).
Les deux Annuals concernés sont les numéros 14 et 15, respectivement encrés par Tom Palmer (avec Doctor Strange) et Klaus Janson (avec le Punisher). Étrangement, ils ont placé les deux récits dans l’ordre inverse, ouvrant avec le récit où figurent le justicier expéditif et le Doctor Octopus, ennemi de longue date du Tisseur.
Puisque Soyouz a déjà évoqué cet épisode, je n’hésite pas à reprendre ses propos :
AMAZING SPIDER-MAN ANNUAL 15
En 1981, le Punisher ne fera qu’une apparition … mais s’il n’en fallait qu’une, ce serait assurément celle-là.
Tout débute dans le spectacle d’un « gourou », qui annonce avoir un pouvoir de mort sur les gens, que lui seul peut retirer. Peter Parker assure le reportage. Et alors que le charlatan touche une jeune fille, il se fait abattre par quelqu’un en coulisse qui s’avère être … le Punisher. Spider-Man le poursuit, mais la bataille sur les toits tourne rapidement à l’avantage du tueur. Cependant, Spidey a bien conscience que la jeune fille risque de mourir du jeu du spectacle, puisque le gourou n’a pas pu fournir l’antidote.
Plus tard, à la morgue, le Punisher tente de récupérer la bague de sa victime, qui contient le poison (le vrai « pouvoir de mort »), mais il est attaqué par le Docteur Octopus, qui récupère donc le corps en entier.
De son côté, Spider-Man suit la piste de celui qui accompagnait le gourou et il s’avère donc que ce sont en fait des passeurs de drogue et que son frère doit livrer la marchandise sur un quai. Le temps que l’araignée s’y rende, le Punisher le devance et découvre une base sous-marine du Docteur Octopus, le fameux client de la drogue. On apprend qu’Octavius va empoisonner 5 millions de new-yorkais et pose un ultimatum au maire. Cependant, Castle ne peut rien y faire, et se fait même empoisonner. C’est à ce moment que le monte-en-l’air arrive et sauve le Punisher en trouvant un antidote grâce aux notes et au matériel d’Octopus. Il le ramène sur les quais et l’entoile sur un poteau.
Spidey amène son sérum à l’hôpital, ce qui sauve la petite et file vers le Bugle : il comprend que les 5 millions de morts seront liés aux lecteurs du journal. Octopus est déjà présent dans la fabrique (je ne sais plus si c’est comme cela que ça s’appelle) et au moment d’intégrer le poison à l’encre, Spidey l’en empêche. Le combat qui suit n’est pas sans difficultés, surtout avec Jameson dans les pattes. L’Araignée s’en sort en faisant accrocher les tentacules dans les presses.
Pendant ce temps, le Punisher se fait arrêter sur les quais … dans une scène d’anthologie.
Passer des épisodes du mensuel d’Amazing Spider-Man à cet annual a quelque chose de percutant.
Tout est différent : la narration, le graphisme, la mise en page, la manière d’associer les perso, l’humour même (qui se cache dans les détails). Y a pas mieux pour Panini que de terminer la première intégrale par cet épisode, parce que derrière, on a envie d’enchaîner avec la suivante.
Alors, c’est peut être pas encore du grand Miller. Je ne sais pas si c’est l’édition, mais les arrière-plans vides et les quelques parties sans cases des pages se voient bien, peut être beaucoup. Je n’avais pas se souvenir dans les pages de DD. Mais ça, en fait, on s’en fout. On reconnait l’animation des planches de Miller (alors certes, il utilise deux fois la même ficelle, mais c’est terriblement efficace et à bon escient), ses mises en page, son dynamisme, sa manière de poser des scène (celle avec le jeune flic et le Punisher en fin d’épisode… c’est quelque chose, avec les récitatifs de Dennis O’Neil). Son Octopus est méchant, et machiavélique (avec une motivation pourtant assez basique), l’utilisation des tentacules est vraiment dynamique, vivante même. J’aime également la construction. O’Neil et Miller profitent de l’espace qu’ils ont pour changer les codes et faire du fil rouge assez amusant, d’ailleurs. Y a un humour presque pince sans rire, assez inhabituel pour du Spidey, qui est plus frontal à ce sujet (d’ailleurs, il y a une réplique, dite aujourd’hui, qui est très drôle. Comparer le journal avec la toile, ça fait très sens de nos jours). On sent une construction en scène, beaucoup plus qu’à l’accoutumée. Il y a de la rupture palpable entre celles-ci, comme une respiration.
Je pense que ça fait un bout de temps que je n’ai pas lu du Miller de cette époque. Et là, après avoir lu les autres épisodes, y a un côté wahou qui me fait dire que Miller, c’est un peu comme Neal Adams à la fin des années 60 : il fait bouger les codes.
Je ne sais pas si tout Miller est déjà là, mais y en a pas mal ! On pourrait y passer des heures à discuter de cet épisode.
Je me suis régalé !
Comme le rappelle l’auteur de cette « review », le récit ne manque pas d’humour, malgré le sujet et le caractère des intervenants. Par exemple, il y a ces scènes récurrentes où Urich téléphone à Jameson, dans des cases en coin de page où Spidey passe dans le décor sans le voir, actionnant les mécanismes de l’humour de répétition.
L’Annual constitue aussi un jeu de références, dont la plus évidentes est celle qui renvoie au premier Annual dessiné par Ditko où sont présentés aux lecteurs les Sinister Six. Ainsi, Miller dessine une pleine page où le héros assène un coup à Doc Ock, reprenant le principe établi par Ditko où le héros affronte chacun des Sinister Six dans une pleine page.
Comparaison (et l’on remarquera qu’Ed Hannigan a fait la même chose dans un Spectacular Spider-Man où le héros affronte un adolescent fan d’Octopus) :
Autre référence, repérée par Marko :
L’autre Annual , donc publié un an plus tôt aux États-Unis, est bien moins « street level », puisqu’il implique un intrigue magique où se croisent Doctor Doom, Dormammu et Doctor Strange.
Cette fois-ci, je laisse parler Marko :
Amazing Spider-Man Annual #15 (1980) :
Si Denny O’Neil a marqué les esprits chez Marvel avec ses runs sur Iron Man (la déchéance de Stark suivie de son retour en grâce) et Daredevil (l’ascension remarquée du prometteur David Mazzucchelli), c’est en revanche un peu moins le cas de son passage d’un an et demi sur Amazing Spider-Man , assez souvent réduit à ses deux principaux apports. En l’occurence, les débuts respectifs de Madame Web & Hydro-Man, sans oublier le monstrueux Mud-Thing, résultant de la fusion passagère de Morris Bench avec l’Homme-Sable, tous deux entichés de la même demoiselle (tout cela aboutissant à un pseudo-remake de King Kong avec la créature boueuse dans le rôle du grand singe).
Plutôt que les histoires de sont propre run, le plus grand impact de Denny O’Neil sur Spidey se trouve en fait du côté de ses fonctions d’editor/responsable éditorial. En effet, ce n’est autre que lui qui a confié Spectacular Spider-Man à Roger Stern (un run assez remarqué, ayant ensuite permis au scénariste de monter en grade sur le titre Amazing Spider-Man , accompagné cette fois-là de dessinateurs à la mesure de son talent). Un choix particulièrement inspiré, comme l’ont démontré la cinquantaine de numéros que Stern aura produit sur ce personnage durant la 1ère moitié des années 80.
En ce qui concerne la quinzaine d’épisodes d’O’Neil sur Amazing Spider-Man (post-Wolfman/pré-Stern), ses numéros les plus mémorables sont sans aucun doute les deux Annuals que le scénariste a produit en compagnie de son jeune protégé d’alors, un certain Frank Miller (sur le point de devenir le seul scénariste de Daredevil à ce moment-là , une série justement supervisée par O’Neil), le cover artist attitré de Spectacular Spider-Man à la même période (durant l’ère Stern).
O’Neil et Miller, ici tous deux sur un pied d’égalité (qualifiés de co-créateurs dans les crédits) y ont l’opportunité d’orchestrer une de ces rencontres plus ou moins régulières entre Spidey et le sorcier suprême (une tradition remontant à l’Annual de Lee/Ditko, reprise au cours des décennies suivantes).
Un team-up assez logique étant donné le pedigree des auteurs, Miller étant ainsi un grand fan de Ditko (il a après tout failli être le dessinateur du Doctor Strange de Stern, mais le succès de son Daredevil en a décidé autrement), tandis que O’Neil n’était pas non plus étranger à l’univers de Stephen Strange, celui-ci ayant été associé à la fin de l’ère Ditko (surtout en tant que dialoguiste) lors de son début de carrière.
Les différents team-up de ces deux héros ont de plus cet intérêt narratif de représenter un choc des cultures (le monte-en-l’air étant aussi peu à l’aise avec l’univers de Strange que Jack Flag avec le pan cosmique des Gardiens de la Galaxie) ainsi qu’une complémentarité conceptuelle, tant ces deux-là représentent chacun une facette distincte, qu’il s’agisse de la magie (Strange) ou de la science (Spidey), justement deux des spécialités du Docteur Fatalis (un des deux vilains principaux de ce numéro).
Ceux qui s’attendent à une présence accrue de Fatalis (rapport à ce que laisse envisager la couverture) risquent d’être déçus puisqu’il ne se taille pas vraiment la part du lion dans ce numéro, celui-ci ayant préféré déléguer ses basses besognes à un laquais qui ne paye pas de mine (Lucius Dilby, un nabot avec un look à la Otto Octavius), véritable pion dans les machinations coordonnées de Fatalis et Dormammu.
Plus que les team-up des deux vilains (complotant ensemble seulement au début) et des deux héros (réunis qu’à la toute fin du récit), le principal attrait est bien sûr la présence de Frank Miller au dessin.
Le jeune dessinateur s’en donne à coeur joie à chaque séquence avec des lieux variés, qu’il s’agisse du château de Fatalis, de la dimension de Dormammu, du sanctuaire de Strange ou encore de l’univers urbain de Spidey (des toits aux rues, en passant par ces châteaux d’eau typiques de la version Ditko), nappant l’ensemble d’une atmosphère baroque et oppressante avec cette pluie quasi-continuelle. Les scènes d’action se font dynamiques et inventives à souhait, tirant parti de l’environnement dans lequel les personnages se déplacent (avec cet alignement caractéristique de cases horizontales et verticales).
Un véritable festin visuel qui bénéficie en outre de l’encrage du grand Tom Palmer (c’est Byzance).
Au cours de la séquence du concert nocturne, Miller s’arrange même pour placer une référence au groupe punk Shrapnel , contenant dans ses rangs deux futurs membres du groupe Monster Magnet , parmi lesquels sont fondateur Dave Wyndorf (au rayon coïncidence, le groupe Shrapnel a été associé au label Elektra Records, ce qui ne peut que rappeler aux fans de Miller une tueuse d’origine grecque).
Annual oblige (donc un peu à part), les rappels à la continuité restent assez légers, le Docteur Fatalis étant alors récemment sorti de sa catatonie (dans une histoire courte de Moench/Sutton), tandis que côté « soap » la malchance se poursuit entre Peter Parker (obligé de poser un lapin à ses proches) et la pauvre Debbie Whitman (jamais le bon timing entre ces deux-là). Quant à la paire de docteurs (Strange/Fatalis), ils auront eu l’occasion de se recroiser à la fin de cette même décennie lors du Triomphe & Tourment de Stern/Mignola (sans Spidey ni Dormammu cette fois mais avec Méphisto en guise d’ennemi commun).
Au sujet de Shrapnel, plus d’informations ici :
Formellement, Frank Miller s’amuse. Non seulement il invoque l’esprit de Steve Ditko dans la représentation des mondes magiques et des sorts jetés, mais aussi dans le portrait d’une ville inondée par la pluie et envahie par les ombres, mais en plus il s’ingénie à traiter les ouvertures de séquences de manière particulière.
Dans l’Annual #15 , il utilise des manchettes de journaux afin de rythmer le récit. Ici, il dessine des cases en hachures qui se marient avec les lettrines et les faux bords de pages, évoquant les enluminures des manuscrits médiévaux (et O’Neil s’amuse à faire des blagues sur les scribes des vieux livres, qui donnent du fil à retordre à Strange).
En cela, il est magnifiquement soutenu par le lettrage astucieux, élégant et inventif de Joe Rosen, qui déploie des trésors de finesse sur ces pages tout de même très denses.
Un Annual très beau, assez passionnant et réalisé avec soin par deux auteurs impliqués. Un chouette jalon, et personne ne sera étonné que ce genre de matériel ait fait l’objet d’une réédition à la fin des années 1980.
Jim