TENEBRES (Dario Argento)

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REALISATEUR & SCENARISTE

Dario Argento

DISTRIBUTION

Anthony Franciosa, Giuliano Gemma, Daria Nicolodi, John Saxon, John Steiner…

INFOS

Long métrage italien
Titre original : Tenebre
Genre : thriller/horreur
Année de production : 1983

Peter Neal, un célèbre écrivain américain, se rend en Italie afin de faire la promotion de son dernier best-seller, Ténèbres. Là, il se retrouve mêlé à une série de morts violentes : un tueur en série s’inspire en effet de son oeuvre pour satisfaire ses pulsions meurtrières…

Après avoir complété Inferno, Dario Argento devait originellement s’atteler à la réalisation du troisième volet de la « Trilogie des Mères ». Mais la production troublée de ce deuxième film d’horreur, les problèmes liés à la distribution internationale et l’accueil mitigé qui lui fut réservé (après le succès de Suspiria) décidèrent Dario Argento à mettre ce projet en hiatus (Mother of Tears - La Troisième Mère fut finalement tourné en 2007, pour un résultat bien décevant). Pour son huitième long métrage, Argento revint donc à son autre genre de prédilection, le giallo, à qui il avait offert l’une des ses plus grandes réussites avec Les Frissons de l’Angoisse en 1975.

Pour le rôle principal, Dario Argento choisit Anthony Franciosa (après avoir un temps envisagé Christopher Walken), notamment connu pour son interprétation de l’agent secret Matt Helm dans la série éponyme. Le tournage fut à nouveau très compliqué, situation exacerbée par les relations conflictuelles entre les deux hommes, notamment au niveau de l’amitié entre Franciosa et Daria Nicolodi, alors actrice fétiche et compagne du réalisateur (mais plus pour longtemps, leur relation prendra fin en 1985).
On retrouve également au générique John Saxon, prolifique figure du bis qui passa la plus grande partie des années 70/80 à faire des allers-retours entre l’Amérique et l’Europe (et que je trouve tout de même ici sous-employé), et Giuliano Gemma (Les Titans, Un pistolet pour Ringo…et aussi Angélique, marquise des anges).

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Inspiré par un incident éprouvant (Argento fut harcelé au téléphone par un fan détraqué), Ténèbres ne déploie pas les influences picturales de ses précédents gialli pour développer un univers visuel froid et austère qui évite le côté carte postale de Rome. Une atmosphère étrange, exacerbée par une architecture urbaine aux angles aussi tranchants que les armes utilisés par le tueur, aux éclairages plus « réalistes » que les contes horrifiques baroques du réalisateur italien. Ce soin apporté aux décors est à la base de l’une des scènes les plus virtuoses du film, autant techniquement que métaphoriquement parlant : avant la mise à mort du couple lesbien, la caméra glisse le long de leur maison le temps d’un virtuose plan à la Louma (une grue de prises de vue) de plus de deux minutes avant de laisser apparaître en amorce les mains gantées de noir du tueur (en fait, les mains d’Argento, une constante de ses films).

J’ai un peu plus de réserves sur le passage de la jeune fille poursuivie par le chien féroce. Dans sa course, elle se réfugie littéralement par hasard (qui fait bien les choses) dans le repaire du monstre. Si Argento imprime à ces scènes une ambiance particulièrement sinistre, cette péripétie reste, à mon sens, un moyen fortuit et peu convaincant de faire avancer l’enquête.

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Passé ce petit point négatif, Ténèbres délivre un dernier acte fascinant où Argento joue comme souvent avec les convictions du spectateur pour l’engager dans un chemin complètement différent. Les flashbacks qui dépeignent le trauma initial prennent alors un autre sens et rajoutent au sous-texte hyper-sexualisé et au thème de la dualité qui imprègne tout le long métrage. Les personnages s’engagent inexorablement dans un final grand-guignolesque à souhait (et le sang coule vraiment à gros bouillons) et dans une intense confrontation qui ne manque pas de brillantes idées de mise en scène (jusqu’à influencer de nombreux longs métrages qui suivront).

Pour la bande originale, Dario Argento a souhaité retravailler avec le groupe Goblin, après avoir confié celle de Inferno au britannique Keith Emerson. Les membres de Goblin s’étaient séparés, mais étant donné leur fructueuse collaboration avec Argento, trois d’entre eux acceptèrent de signer la musique de Ténèbres, qui est donc crédité à Claudio Simonetti, Fabio Pignatelli et Massimo Morante, l’ancien batteur de Goblin détenant quant à lui les droits du nom.

[quote=« Le Doc »]Les personnages s’engagent inexorablement dans un final grand-guignolesque à souhait (et le sang coule vraiment à gros bouillons) et dans une intense confrontation qui ne manque pas de brillantes idées de mise en scène (jusqu’à influencer de nombreux longs métrages qui suivront).

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Pour les brillantes idées de mise en scène, j’imagine que tu évoques notamment ce plan où une silhouette s’affaisse et se voit substituée par une autre, placée derrière ? C’est un plan qui a fait florès, et De Palma par exemple ne s’est pas gêné pour la reprendre dans son « Esprit de Caïn » (il avait déjà été inspiré par « L’Oiseau au plumage de crystal » pour le meurtre dans l’ascenseur de « Pulsions »)…
Le final du film est en effet très fort, avec quelques idées de scénario vraiment surprenantes. Il est vraiment dommage qu’Argento, qui ne manque pas de bonnes idées, bâcle autant la caractérisation des personnages (ça ne l’intéresse vraiment pas, c’est même presque un élément de son style, comme « Inferno » en atteste), et laisse passer des éléments « arbitraires » comme celui que tu évoques…

Ceci dit, j’aime beaucoup le scénario de « Ténèbres ».
Argento y évoque le rapport d’un créateur avec sa fiction, et utilise certaines des « attaques » dont il a pu être victime (on le taxait d’être un misogyne violent, en gros) pour questionner le sens de son propre travail.
Avec beaucoup d’ironie (cf. le final), Argento souligne le rôle de la fiction telle qu’il la pratique : c’est une catharsis, un moyen de se purger de ses passions les plus noires. Trop fier et sûr de lui pour prêter le flan à la critique, il maquille ce discours en mettant encore plus de jolies nanas dénudées et trucidées à l’arme blanche…

En termes de mise en scène, ce n’est pas le plus fin des Argento, mais un des plus spectaculaires, assurément. Il y a le fameux plan à la Louma (incroyable), et cette architecture complètement grandiloquente et « out of this world » (Argento a d’ailleurs indiqué à l’équipe qu’il fallait imaginer « Ténèbres » comme un film de science-fiction, quelque chose comme 10 ans dans le futur).
Au niveau du travail sur les couleurs, le film est l’antithèse de ces prédécesseurs « Suspiria » et « Inferno », festivals chromatiques comme on en a peu vus dans l’histoire du cinéma. Ici, le film est presque « un noir et blanc en couleurs », ce qui surprend au début…

Je trouve les BO respectives de « Profondo Rosso » et surtout de « Suspiria » bien plus fortes, mais celle de « Ténèbres » est une des plus fameuses de la filmo de l’italien ; il y a quelques années, le duo électro Justice l’avait remixée, d’ailleurs.

A noter également que John Saxon a une longue histoire en commun avec le genre giallo, puisqu’il interpréta le premier rôle masculin de « La Fille qui en savait trop » de Mario Bava, LE prototype du genre.

Et au sujet de la BO, voilà le thème principal original, et le remix signée Justice dans la foulée…

Et pour moi y’a pas photo : c’est peut-être plus vieillot et moins « clinquant », mais je préfère de très loin la version Goblin…

C’est aussi pour cela que j’aime bien l’anecdote que tu as postée dans le sujet sur Suspiria. Quel pipeauteur, ce Brian… :wink:

C’est clair…
Au sujet du parallèle entre les plans de « Ténèbres » et de « L’Esprit de Cain » (que je déteste pas d’ailleurs, contrairement à beaucoup), je me souviens avoir lu sur le net que De Palma aurait avoué au téléphone à Pino Donaggio (qui a bossé avec les deux cinéastes) : « oui, c’est vrai que je me suis inspiré de ce plan… Mais je l’ai amélioré. »
Modeste avec ça !! :wink: