REALISATEUR
Oley Sassone
SCENARISTES
Craig J. Nevius et Kevin Rock, d’après la bande dessinée de Stan Lee et Jack Kirby
DISTRIBUTION
Alex Hyde-White, Rebecca Staab, Jay Ferguson, Michael Baily-Smith, Joseph Culp, Carl Ciarfalio, Kat Green, Ian Trigger…
INFOS
Long métrage américain/allemand
Genre : action/science-fiction
Année de production : 1994
En cette veille de sortie dans les salles françaises du nouveau long métrage consacré à la première famille de l’Univers Marvel, il est temps de revenir sur la toute première tentative d’adaptation sur grand écran des 4 Fantastiques. Roger Corman en parle comme de l’une de ses plus étranges expériences dans le milieu…et venant du roi de la série B, ce n’est pas de l’exagération. Après tout, l’homme aux plus de 400 productions a tout vu en 60 ans de carrière…mais jamais un de ses films n’est resté définitivement sur les étagères, sans connaître une sortie au cinéma ou en vidéo…jusqu’à The Fantastic Four.
Bien avant l’avènement de Marvel Studios et des succès de Sony et de la FOX, les droits des comics Marvel se vendaient pour des bouchées de pain. Pendant que Warner capitalisait sur les franchises Superman et Batman (deux sagas qui ont débuté sur les chapeaux de roue avant de s’effondrer qualitativement parlant à partir de leurs troisièmes opus), les stars de la Marvel avaient nettement moins de chance : la débâcle Howard the Duck a coûté cher à George Lucas, le Punisher de Dolph Lundgren se vit privé de sortie aux U.S.A., Spider-Man se débattait dans les affres du development hell et Captain America dut affronter un ennemi plus dangereux que Crâne Rouge : le producteur Menahem Golan (déjà responsable du piteux Superman IV).
Retour en 1986. Le producteur allemand Bernd Eichinger acquiert les droits cinématographiques de The Fantastic Four, le comic-book créé par Stan Lee et Jack Kirby, pour la modique somme de 250.000 dollars.
Le projet entra alors lui aussi dans les limbes du development hell, principalement pour des questions d’argent (Eichinger fut incapable de réunir les 40 millions de dollars nécessaires). Fin 1992, Bernd Eichinger doit prioritairement sortir un film sous peine de perdre les droits. Et quand on doit faire un film vite et pour pas cher, qui c’est qu’on appelle ? S.O.S. Roger ! Bernd Eichinger s’associe donc avec Roger Corman pour une production low-cost tournant autour d’1,5 millions de dollars de budget (quasiment un blockbuster pour le père Corman !). The Fantastic Four sera tourné au début de l’année 1993, en une vingtaine de jours, avec des acteurs peu connus, et en ligne de mire une sortie prévue pour 1994.
Cette année-là, tous les intervenants, acteurs, réalisateurs, équipe technique, sont mis devant le fait accompli : The Fantastic Four ne sortira pas, ni au cinéma, ni en VHS…jamais, nada ! Le film n’aurait été en fait conçu que pour éviter que Bernd Eichinger ne perde les droits, ce qui a été un temps démenti par l’intéressé (que l’on finira par retrouver au générique du diptyque des 4 Fantastiques réalisé par Tim Story). Le film fait partie de ces projets maudits, aux nombreux témoignages divergents selon les sources. Un documentaire lui a d’ailleurs été consacré récemment, DOOMED ! The Untold Story of Roger Corman’s Fantastic Four.
Derrière la caméra, on retrouve Oley Sassone, clippeur prolifique et réalisateur de Bloodfist 3 pour Corman (et ce serait lui qui aurait mis en ligne la copie disponible partout sur le net). Reed Richards est incarné par Alex Hyde-White, comédien britannique peu habitué à jouer les têtes d’affiche (il fut notamment Henry Jones jeune dans Indiana Jones et la Dernière Croisade, une séquence où on ne voit même pas son visage…souvenez-vous, c’est dans le prologue avec River Phoenix). Rebecca Staab, habituée aux seconds rôles à la télévision, est Sue Storm. Sa tête brûlée de frère est campée par Jay Underwood, qui interpréta l’année précédente Ernest Hemingway dans la série télévisée Les Aventures du jeune Indiana Jones. Deux acteurs se partagent le rôle de Ben Grimm/La Chose : Michael Bailey Smith est Ben et le cascadeur Carl Ciarfalio se retrouve sous le costume orange de la Chose aux yeux bleus. Quant au grand vilain, le Docteur Fatalis, le rôle est revenu à Joseph Culp, le fils du comédien Robert Culp.
Il y a un deuxième vilain dans ce Fantastic Four, et il était d’ailleurs question que ce soit l’Homme-Taupe, le tout premier adversaire historique des Fantastiques. Mais le budget a conduit les scénaristes à revoir leurs ambitions à la baisse et en lieu et place de l’Homme-Taupe, on a droit à un pitoyable ersatz, le Joaillier (!), le chef d’une communauté souterraine de laissés-pour-compte.
À quelques exceptions près, l’interprétation a ses bons côtés : Alex Hyde-White interprète Reed avec gravité, le couple qu’il forme avec Rebecca Staab est convaincant (détail amusant, les acteurs n’ont que 2 ans d’écart alors que l’histoire leur donne 10 ans de différence) et Michael Bailey-Smith campe un Ben Grimm fidèle aux comics et ses scènes avec Alicia Masters (Kat Green) sont assez touchantes. Mais il y a bien sûr des exceptions : Jay Underwood est mauvais comme un cochon (sa scène de pétage de plomb mérite l’Oscar du pire acteur), Joseph Culp est un Fatalis d’opérette (et son rire est insupportable) et le Joaillier est totalement ridicule.
On peut tout de même reconnaître au long métrage d’Oley Sassone une volonté de coller à l’esprit de la bande dessinée de Lee et Kirby malgré les limites du budget. Plusieurs scènes ont l’air tirées directement des cases du comic-book, même les moins inspirées (la très jeune Sue en pamoison devant Reed…pas la meilleure idée de John Byrne) et la dynamique d’équipe est bien restituée, en accentuant sur les facettes d’explorateurs des personnages (dans la limite de ce que le réalisateur peut montrer bien entendu) et leur relation familiale.
Mais même avec la meilleure volonté du monde, le résultat ne dépasse jamais vraiment le cadre du nanar sympathique. L’histoire enquille les raccourcis, les dialogues sont maladroits (« s’il vous plaît, Mrs Storm, Sue et Johnny peuvent partir dans l’espace avec nous ? »), le rythme est mollasson et surtout les effets spéciaux sont risibles. On ne fait pas un film Fantastic Four avec l’équivalent du budget d’une explosion d’un Transformers de Michael Bay. Si la Chose passe encore (enfin, surtout son masque en animatronique) et que l’invisibilité de Sue reste l’un des trucages les plus simples et efficaces du genre, les pouvoirs de Reed et de Johnny souffrent du manque de thunes et le grand final, avec un Johnny qui prend enfin son envol en tant que Torche Humaine (il faut dire qu’ils n’utilisent pas souvent leurs pouvoirs dans ce film), fait pitié (et ceux qui trouvent que cette scène est plus réussie que celles avec Chris Evans dans les films des années 2000…si, si, je sais qu’il y en a…sont des grands malades…ou alors il leur faut des lunettes).
Visuellement, le Docteur Fatalis ressemble à son équivalent comics…si celui-ci portait une serviette de bain verte sur la tête, et ce qui n’est pas vraiment digne du souverain de Latvérie.
Bref, The Fantastic Four n’est pas un bon film. Méritait-il d’être enterré par des producteurs filous…surtout quand on voit le nombre de navets du genre qui ont eu droit à une sortie sur les écrans ou en vidéo (Superman IV, Captain America, Batman & Robin, Spawn, Elektra, Catwoman, Man-Thing…) ? Franchement pas…mais une chose est sûre, c’est que l’histoire qui entoure cette production maudite est encore plus intéressante que le film lui-même !