TIRE ENCORE SI TU PEUX (Giulio Questi)

V1

REALISATEUR

Giulio Questi

SCENARISTES

Giulio Questi et Franco Arcalli

DISTRIBUTION

Tomas Milian, Piero Lulli, Marilu Tolo, Raymond Lovelock…

INFOS

Long métrage italien/espagnol
Genre : western
Titre original : E Se sei vivo spara
Année de production : 1967

Tire encore si tu peux est un titre français très passe-partout pour un western spaghetti qui est loin (mais alors très, très loin) de proposer une vision classique du genre. Même le distributeur américain, qui n’a pas du savoir quoi en faire, a renommé le personnage principal Django en sortant le film sous le titre Django Kill… If You Live, Shoot!. D’après les spécialistes du cinéma d’exploitation italien, E Se sei vivo spara a tellement choqué à sa sortie que ses producteurs l’ont massacré en coupant une bonne vingtaine de minutes et c’est cette version, qui devait être totalement incompréhensible, qui est sortie dans la plupart des salles hors de l’Italie avant que l’oeuvre de Giulio Questi soit restaurée dans les années 90.

Dans la deuxième moitié des années 60, le western italien vivait son âge d’or et les financiers et exploitants de salles s’en mettaient plein les poches. Rien qu’en 1967, on recense une bonne cinquantaine de westerns. Pour Giulio Questi, qui signait là le premier long métrage d’une courte carrière après quelques courts et documentaires, Tire encore si tu peux était clairement un film de commande mais Questi a réussi à en faire quelque chose de personnel…et qui a du désarçonner ses producteurs lorsqu’ils ont vu le résultat final. Et pas que…d’après ce que j’ai lu sur le net, Tire encore si tu peux divise aussi les amateurs du genre.

« Personnel » car Giulio Questi a mis des souvenirs de son expérience dans le maquis dans l’histoire qu’il a écrite, des visions de massacres de populations civiles qui ne l’ont jamais quittées et qui posent un regard qui fait froid dans le dos sur la violence dont l’homme est capable. L’atmosphère qui se dégage de la première scène montre bien que nous ne sommes pas dans un western qui se déroulera de manière classique. Une main sort de terre, un homme s’extirpe de sa tombe tel un mort-vivant. Par un flashback, on apprend rapidement qu’il s’agit d’un métis trahi par ses complices après l’attaque d’un chargement d’or. Revenu littéralement à la vie (le fait n’est pas établi, mais pour beaucoup, moi y compris, ça ne fait pas de doutes), le métis campé par le charismatique Tomas Milian (4 de l’Apocalypse) suit deux indiens qui vont lui servir de « guides spirituels » pour retrouver ceux qui l’ont tués au « pays de l’angoisse mortelle » (!).

L’aspect « vengeance » de l’intrigue ne dure pas longtemps. Les anciens complices du métis arrivent avec l’or volé dans une petite ville pour y trouver des chevaux. Dès les premiers plans, on comprend qu’il y règne une ambiance malsaine. Et les bandits ne feront pas long feu : pourchassés par une foule en colère, ils seront tous lynchés…à part leur chef, interprété par le prolifique Piero Lulli (Le Triomphe d’Hercule, Opération Peur…), qui subira un sort encore plus horrible (une scène gore qui fait partie de celles qui ont ensuite été censurées)…

Le métis sera ensuite pris dans une lutte qui voit plusieurs clans se disputer l’or volé. Cette ville perdue dans la poussière du désert est peuplée de personnages veules, violents, fous, décadents, un ramassis de ce que l’humanité peut offrir de pire. Le geste de désespoir du seul représentant de la pureté, un jeune éphèbe joué par Raymond Lovelock (Le Massacre des Morts-Vivants), ne surprend hélas pas après ce qui lui arrive et ses espoirs d’évasion déçus.

Je comprends finalement que les avis sur Tire encore si tu peux soient aussi partagés. Voilà un western difficile à décrire, une oeuvre baroque et fascinante qui flirte avec plusieurs genres, plusieurs styles, traversée d’images difficiles, cruelles, percutantes. J’aime beaucoup ce spagh’ singulier, hallucinatoire et déviant, porté par une excellente distribution.

J’ai choisi mon camp : j’adore ce film au-delà du raisonnable.

J’aime d’ailleurs toute la filmographie de Giulio Questi (dont il n’est pas compliqué de voir tous les longs-métrages de fiction : 3 films en tout et pour tout…). On a souvent décrit son « La Mort a pondu un oeuf » comme un giallo qui aurait été réalisé par Jean-Luc Godard : c’est un brin exagéré mais franchement, il y a de ça. D’une modernité et d’une audace folle, en avance sur son temps quant aux thématiques de fond (l’élevage de poulets à la mode industrielle la plus inhumaine, avec des spéculations qui font froid dans le dos, mais on y sera bientôt, je n’en doute pas), ce fim est en prime déjà un « méta-giallo » qui réfléchit (entre autres choses) sur les caractéristiques du genre.
Quant à son « Arcana » un brin plus tardif (1972, de mémoire) c’est un des films fantastiques les plus bizarres et originaux qu’il m’ait été donné de voir, encore qu’il faudrait que je me rafraîchisse la mémoire car ça remonte un peu.

Et ce western, là : c’est une tuerie, dans tous les sens du terme. Si, comme tu le précises, Doc, la question n’est jamais vraiment tranché quant au statut « surnaturel » des événements dépeints dans le film, le récit ne laisse pas vraiment planer de doute non plus (et les participants au film encore moins ; je ne sais plus si j’avais lu/vu ça dans un entretien de Milian ou de Questi, mais celui qui s’exprimait sur le film ne laissait pas de place à l’ambiguité : c’est bien une résurrection à laquelle on assiste au début du film…). Assez original mine de rien, les exemples n’étant pas légion (on peut penser au génial « High Plains Drifter/L’homme des hautes plaines » de Clint Eastwood, même si la VF de ce film en nie la portée fantastique), mais le film a de toutes façons été fait à une période où le western à l’italienne n’hésitait pas à aller se ressourcer dans d’autres genres, ou à se faire l’écho des bouleversements sociétaux de l’époque.

On peut voir ce film incroyablement noir et pessimiste comme une sorte de prototype (toutes proportions gardées) d’un « El Topo » de Jodorowsky, avec lequel il partage un certain sens du baroque et une violence débridée, ainsi qu’un fond « mystique » voire l’inspirateur de l’incroyable animé « Ninja Scroll » de Kawajiri, dont le grand méchant subissait un sort identique à celui du film de Questi (l’or fondu…).

Une bombe, de mon point de vue.

J’ai survolé quelques critiques négatives et j’ai vu que certains détracteurs du film trouvent que cet aspect n’est pas assez développé, que ce soit la nature du personnage joué par Tomas Milian, le rôle des balles en or et des indiens par exemple. C’est un reproche qui prouve que la nature du récit n’a pas été comprise…il n’y a absolument pas besoin de tout expliquer, cela renforce le mystère et la force de cette atmosphère vraiment à part…

C’est un bon résumé de ce que j’ai ressenti à la vision de ce film. Je l’ai revu y a quelques semaines et l’humeur hallucinatoire et expérimentale dans la forme tient vraiment bien la route. C’est pas le cas de beaucoup de western de l’époque, même les plus côtés.

ça m’a donné envie en tout de me voir les deux western « horreur » de Fulci que je ne connais que de réputation et auxquels Tire encore si tu peux est parfois rapproché.
Par ailleurs j’étais persuadé lors de ma première vision que le film portait un titre dérivé d’un Django mais j’ai dû confondre…

celui-là par contre je l’ai trouvé plus difficile d’accès, le level d’expérimentation est encore plus élevé que sur son western… mais peut-être que là aussi une seconde vision est nécessaire pour se débarrasser de la sensation de déroute même pour ceux qui comme moi savaient à peu près où ils mettaient les pieds…

Ah oui ? C’est probablement le cas… Je pense que malgré ses allures de film plus direct et « simple », c’est son troisième long, « Arcana », qui est le plus difficile d’accès, en fin de compte. Faut que je le revois.

Après je suis plus habitué aux western qu’aux gialli (genre lui même plus porté sur l’experimentation que le western peut-être), ça explique peut-être cela.
Arcana ça me botterai bien de l’essayer mais il est introuvable…

Ah oui ? (sifflote l’air de rien)
Envoie-moi un petit MP, je devrais pouvoir faire ton bonheur… :smirk:

Non, tu as raison. Il a été distribué sous le titre « Django Kill… If You Live, Shoot! » sur le marché anglophone.