Je vais te faire la version détaillée, ça t’apprendra.
Alors en gros (attention : 36-15 Ma Life… ça vous donnera aussi une idée de mon âge…), quand j’ai divorcé, que je suis revenu de l’armée et que je ne savais pas trop comment rebondir, je me suis demandé de quels moyens je disposais. En gros, c’était simple : des crayons, des pinceaux et du papier. À la même époque, je suis devenu prof (plus précisément, maître auxiliaire dans l’académie de Caen, ce qui revenait à faire des remplacements de profs de français et de latin en collège et lycée, et d’histoire-géo en lycée technique, allez comprendre). Ça permettrait de rentrer un peu de sous (mais bon, comme c’était partout dans l’académie, sur trois départements, ça générait des frais de déplacement et de logement, donc je roulais pas sur l’or). J’ai donc pris mes crayons et mon papier et je me suis remis à dessiner. Au début, c’était pour un pote qui avait besoin d’illustrations de fantasy pour des jeux de rôle, puis, petit à petit, pour des gens un peu plus professionnels. Donc, on est, peu ou prou, en 1996-1997, à la louche. Je fais quelques illustrations pour une boîte de jeux de rôles (notamment un flic qui doit orner un boîtier, dont la première version avait été réalisée par Benoît Springer, mais qui ne convainquait pas l’équipe… Pour eux, j’ai aussi bossé sur des recherches pour un jeu de rôle Aquablue, qui ne s’est jamais fait : zut, j’ai oublié le nom de la boîte, Alex saura les retrouver, mais c’est là que j’ai rencontré Jérôme Martineau, le patron de la maison d’édition Carabas), je dessine aussi quelques trucs pour une boîte de pub située à Coutances, à peu près à quarante bornes de chez moi (pour eux, je fais une illustration représentant des sorcières et des fantômes dansant autour d’une marmite, à la gouache : le client, c’était un fabricant de soupe qui lançait un potage au potiron pour Halloween, et l’illustration était destinée à un petit puzzle d’une dizaine de pièces, l’idée étant que le bambin s’amuse avec pendant que la maman ou le papa fait chauffer la soupe), et surtout, j’entre en contact avec la nouvelle rédaction de Scarce.
Bon, Scarce, je connais depuis dix douze ans à l’époque, puisque j’écris régulièrement des articles pour eux. Mais je ne connais pas le nouveau secrétaire de rédaction, un certain Thierry Mornet. Ce qui s’est passé, c’est que je continuais à correspondre avec Christophe Darras (à l’époque, je le rappelle pour les plus jeunes, Internet n’était qu’une vue de l’esprit pour la plupart d’entre nous, donc on écrivait, avec de l’encre sur du papier, et on collait des timbres sur des enveloppes), à qui j’envoyais des photocopies de mes dessins. Christophe était pote avec Sylvain Delzant, qui a récupéré les dessins et les a montrés à Scarce. Les dessins sont allés rejoindre des enveloppes pleines à craquer que Thierry a ressorties des placards, et il a commencé à contacter les gens dont le boulot lui plaisait.
C’est ainsi que j’ai commencé à faire des illustrations pour Scarce, et notamment la couverture du #51, spécial Wildstorm, mise en couleur par Aleksi Briclot. Mais Thierry s’occupait aussi d’une partie du fanzine belge L’Inédit, et il m’a mis en contact avec Tony Larivière, qui a publié un sketchbook représentatif de mon boulot. C’était dans le numéro spécial Stan & Vince, que Tony a emporté à Angoulême, et déposé sur les tables de tous les grands éditeurs présents. Un ou deux mois plus tard, sans doute donc au printemps 1997, je reçois un coup de fil d’un certain Dominique Latil, scénariste de son état, qui m’a dit « Mourad m’a demandé de faire un album avec toi, parce qu’il a vu ton boulot dans L’Inédit. » Dominique est un type charmant, on s’est super bien entendu et il m’a envoyé son pitch (une histoire de civilisation effondrée, de sectes de religieux qui préserve les dernières bribes de connaissances, et de tatouages magiques). Dominique voyait son récit dans une sorte de Moyen-Âge de fantasy, mais je lui ai demandé s’il voyait un inconvénient à ce qu’on place l’intrigue dans un monde post-apocalyptique. Il a accepté, et on est parti sur cette base.
On a bien avancé, j’ai storyboardé (je crois) l’ensemble du bouquin, et j’ai dessiné 31 planches. Mais, malgré la signature du contrat, aucune planche n’a été payée. Dominique était un peu gêné, parce qu’il se retrouvait en porte-à-faux, entre un éditeur qui décide de ne plus faire confiance au projet, et un jeune dessinateur qui ne sait pas à qui s’adresser.
Finalement, l’éditeur a décidé de casser le contrat. Sans doute une année plus tard, donc là on devait être au printemps ou à l’été 1998. Je devais faire des illustrations pour la boîte de pub de Coutances, et j’avais définitivement quitté l’Éducation Nationale. J’ai estimé que je n’avais ni le temps, ni l’argent ni l’énergie de faire un procès, et je suis parti vers d’autres trucs. Ça doit sans doute être à cette époque que j’ai monté un projet de polar avec le scénariste Vincent Zabus (un type charmant aussi, mais qui a dû comprendre que je n’avais pas le niveau). À la même époque, Thierry Mornet avait travaillé pour Panini (notamment, je crois sur le mensuel Hulk et la revue Marvel), et il arrivait chez Semic. On continuait à discuter régulièrement, il m’envoyait les pockets (parce que c’est notre vieille culture pop commune) et un moment je lui demande : « Dis, je vois que les pockets continuent, mais je reconnais de vieilles illustrations de Tota et Mitton en couverture. Tu n’aurais pas envie d’en publier des nouvelles ? ». Il me répond « Figure-toi que ça me trotte dans la tête, je suis en train d’étudier le budget. » Ni une ni deux, je commence à tomber une floppée d’illustrations avec Tex Willer, Zembla ou Blek, et je les lui envoie. Là, on doit être à l’automne 1998. Certaines seront sélectionnées, et elles verront le jour à l’été 1999.
Le reste est tout bête : Thierry sait que je suis au chômedu, que je dessine mais que j’ai du temps libre. Comme il a besoin d’une équipe pour l’épauler sur Angoulême, il m’intègre au groupe, avec Jean-François Porcherot qui, à l’époque, est aussi entre deux boulots. L’Angoulême 1999 (avec Dwayne Turner en vedette, si je me souviens bien) sert de crash-test, et quand Semic décide de déménager les locaux de la rédaction, qui se situaient encore à Lyon, auprès du siège social à Paris, Thierry rassemble une nouvelle équipe et j’en fais partie. Comme je suis le plus disponible, je fais même un mois supplémentaire à Lyon, afin de participer à la transition entre l’équipe lyonnaise et l’équipe parisienne, en mai. Et c’est en juin 1999 qu’on intègre les locaux parisiens, pour cinq ans et demi d’aventures.
Ah, dernier détail : certaines planches et certaines cases de l’album prévu chez Soleil ont été reprises dans le cadre d’une série qui s’intitulait « Les Contes de la Terre Brûlée ». Je dirais que c’est dans les derniers numéros de Spécial Zembla, mais il faudrait que j’aille feuilleter mes exemplaires afin d’identifier tout cela. Mais en tout cas, tout l’album ne s’est pas perdu.
Voilà, tu l’as eue, ta version longue.
Ça t’apprendra à poser des questions.
Jim