IL Y A 30 ANS .... VERTIGOOOOOO

Artemus Dada nous parle du Soldat Inconnu de Garth Ennis, mais il n’est pas le seul :

Jim

Le vingt-septième épisode de Hellblazer, intitulé « Hold Me », est sans doute l’un de mes préférés dans toute l’histoire de la série. L’épisode est daté de mars 1990 et remonte à une période où la série, qui venait de voir partir Jamie Delano, accueillait quelques pointures de la bande dessinée britannique, ce gage de qualité incontournable en ce temps-là.

Réalisé par Neil Gaiman et Dave McKean, l’épisode s’ouvre sur un décor de ruelle peuplée par des sans-abri. La voix off nous permet notamment de faire la connaissance de Jacko, un homme sans attache qui dort dehors et… finit par disparaître.

Puis on passe à John Constantine, qui hèle un taxi afin de se rendre à une soirée en la mémoire d’un ami disparu. Le bougon spécialiste du surnaturel n’en peut plus des remarques du chauffeur (Gaiman rédige quelques lignes à propos des « poètes frustrés, ou des écrivains d’horreur », petit clin d’œil aux coulisses éditoriales de l’époque), quitte le taxi avec quelques réflexions bien senties, et finit le chemin à pied.

Là, il fait la rencontre d’une jeune femme, Anthea, qui, au bout d’un certain temps, lui demande de la raccompagner. Dans le froid de l’hiver, tous deux marchent vers la tour sombre et menaçante qu’on a déjà vue dans l’introduction, et alors qu’Anthea l’invite à prendre un verre, une silhouette menaçante hante les couloirs et les étages, ailleurs.

Dans un appartement voisin, une petite fille avertit sa mère qu’il y a un monsieur qui pue dans l’appartement. Apparaît devant la mère une silhouette sombre, hirsute, et la construction de la séquence laisse entendre que la rencontre se termine mal.

Chez Anthea, John Constantine comprend que celle-ci, en couple avec une autre femme, l’a attiré chez elle afin de tomber enceinte. Décontenancé, saisi d’une colère froide, Constantine, renvoyé à une expérience précédente comparable, avec Abby et Alec (les lecteurs fidèles sauront à quoi il fait référence), quitte l’appartement.

C’est là qu’il rencontre la petite Shona, la gamine aperçue dans une des scènes précédentes, avec « le monsieur qui pue ». La petite est désemparée parce que sa mère ne répond plus et qu’elle est toute froide. Constantine constate effectivement que la femme est morte et confie l’enfant à Anthea.

Puis il revient dans l’appartement et constate que ce dernier est voisin d’un logement dont la porte est condamnée à cause de terribles odeurs, situation expliquée par Anthea quelques pages plus tôt. Il crochète la porte et entre dans ce lieu à l’odeur nauséabonde. Et c’est là qu’il rencontre le fantôme.

Constantine fait face à cette silhouette noire aux cheveux sales et à l’odeur insupportable, qui tend les bras vers lui et lui demande de le serrer fort.

Contre toute attente, Constantine, avec sa nonchalance habituelle, quoique couplée à une méfiance et un dégoût évidents, accepte et prend le spectre dans ses bras.

Et Jacko, le sans-abri qui avait disparu, et qui ne cherchait qu’un bref moment de chaleur humaine, s’évanouit. L’épisode se conclut alors que Constantine toque à nouveau à la porte d’Anthea, sans doute pour s’enquérir de la santé de la petite fille, mais assurément aussi… pour qu’elle le serre fort dans ses bras à son tour.

Petite parabole sur la solitude (des grands ensembles), « Hold Me » est aussi l’une des meilleures et plus poétiques histoires de fantômes que j’aie pu lire en bande dessinée, une tranche de vie (et de mort) touchante et élégante, tout en finesse, surfant sur les petites désillusions qui font un individu. Assurément un des trucs que je préfère chez Gaiman.

Jim

4 « J'aime »

Rediff :

Faut que je le relise cet épisode.

Et celui là aussi.

Coincé entre la période, courte mais intense, de Warren Ellis, et celle, plus longue, plus diluée mais ne manquant pas d’atmosphère, de Brian Azzarello, le très excellent scénariste croate Darko Macan signe deux épisodes de la série Hellblazer qui passeront hélas inaperçus, malgré des qualités évidentes.

Dans Hellblazer #144, daté de janvier 2000, John Constantine vient assister à des funérailles. Il arrive en premier et attend, au milieu d’un parc, en tirant sur sa clope. Arrive un enfant aux cheveux ras qui le reconnaît. Par les dialogues, on comprend qu’ils sont réunis pour les derniers hommages au grand-père du gamin, Kemal. S’ensuit un long flash-back qui occupe le reste de l’épisode.

On y suit le parcours de Kemal, vieil homme déraciné, qui a commencé une nouvelle vie avec sa fille et son petit-fils Samir en Angleterre. Mais le vieillard est dépaysé, perdu. Il cherche ses vieilles bottes, celles qu’il porte depuis quarante ans, mais c’est Samir qui les porte, délaissant les chaussures de sport neuves que lui a achetées sa mère.

On passe ensuite sur Samir qui, dans le secret d’un caveau du grand cimetière, se livre à des actes magiques, restaurant la vue déficiente d’un camarade en échange d’un lecteur VHS. Bien entendu, l’exercice d’une telle magie ne va pas sans un prix, et Samir le paie de sa santé physique. Les choses dérapent quand un fils de riche apporte, dans un grand sac plastique, le corps de sa petite sœur, visiblement morte à la suite d’un jeu qui aura mal tourné.

De son côté, Kemal, visiblement connecté à la magie, mais aussi apiculteur capable de fabriquer un miel qui donne à ceux qui le consomment des hallucinations les renvoyant à leurs instants de bonheur (en l’occurence, au souvenir de leur patrie abandonnée), sent ce que son petit-fils fait et se précipite.

Il n’est pas le seul puisque John Constantine, flanqué d’un chien ressuscité qui ne pisse plus mais continue de lever la patte, souvenir réflexe du temps où il était vivant, est lui aussi attiré par la magie clandestine qui a lieu.

Le sorcier londonien arrive pour voir le grand-père prendre la place du petit-fils, ressusciter la gamine et mourir d’épuisement.

Les explications viendront dans la deuxième partie. La conversation par laquelle s’est ouvert le premier chapitre reprend.

Constantine et Samir (pour lequel Macan prend soin de montrer que son langage et sa maîtrise de la grammaire s’enrichit, signe de son acclimatation, même si l’enfant fait remarquer qu’il ne comprend pas tout à ce que dit l’adulte, signe qu’il demeure des différences entre l’Anglais de souche et l’expatrié…) discutent du grand-père, occasion pour les auteurs (c’est Gary Erskine qui dessine les deux épisodes dans le style épuré et ambiancé qui fonctionne si bien chez Vertigo) de faire un premier flash-back sur la jeunesse de Kemal. Mais pour Constantine, c’est un conte charmant et l’enfant doit lui expliquer.

C’est là qu’arrive l’astuce magnifique du récit : les vieilles bottes de Kemal, dont il ne s’est pas séparé pendant quarante ans, contiennent de la terre provenant du sol de son pays natal. Ainsi, même s’il vit à l’étranger, le vieux magicien a toujours été en contact avec sa terre d’origine, et n’a jamais rompu avec la magie qui y est liée. Les circonstances de son décès sont alors éclairées sous un autre jour.

Constantine rencontre ensuite la mère et la sœur du jeune Samir. En faisant tomber quelques miettes de terre sur sa paume, John accède aux souvenirs de la mère, découvre pourquoi il lui manque un doigt et fait l’expérience de la vie sous le couvre-feu dans un pays déchiré par la guerre civile (pays qui n’est pas nommé, mais où l’on peut reconnaître l’ex-Yougoslavie dont est originaire Macan).

La cérémonie, intime, se conclut quand Azra, la fille, ouvre l’urne contenant les cendres de Kemal et les disperse aux quatre vents dans ce cimetière anglais. Et alors que les deux femmes s’en vont, Samir explique à Constantine pourquoi il est désormais pieds nus, même en novembre : les cendres de son grand-père sont désormais mêlées au sol de l’Angleterre, ce qui fait de cette nouvelle contrée… son pays !

Le diptyque se conclut alors que Constantine fait le tour des popotes, saupoudrant un peu de terre magique sur la tête du gamin riche qui continue à enquiquiner sa sœur, puis faisant goûter le miel de Kemal au jeune Anglais qui a mis Zana, la sœur de Samir, enceinte.

Merveilleuse parabole sur l’immigration, sur le mal du pays, sur l’assimilation, et bien entendu sur la solitude, ce récit en deux parties mérite d’être redécouvert, d’autant qu’il brosse le portrait d’un Constantine sensible, à l’écoute, en posture d’apprentissage, qui, s’il reste grossier et mal embouché, s’avère plus fréquentable et moins cynique que souvent. Une petite variation qui vient enrichir le personnage sans jamais le contredire.

Jim

2 « J'aime »

Excellent, à lire donc.

Je crois que son run ne remporte pas vraiment tous les suffrages auprès des fans du titre, et loin de là même. Perso, j’en suis très fan, à cause de cette veine « atmosphérique » que tu évoques, et qui marche du feu de dieu avec ce perso.
D’ailleurs, je crois qu’Alan Moore en personne avait signalé que c’était sa déclinaison préférée du perso, car la plus fidèle à ce qu’il avait en tête au moment de sa création. Si je suis très client de l’approche « humaniste » d’Ennis ou de Jenkins à sa suite, elle a le petit inconvénient de dissiper un brin l’aura de mystère qui entourait Constantine à l’origine… et qu’Azzarello reconvoque à sa façon. Sur certains épisodes, Constantine est presque une figure spectrale, très hermétique, et j’avoue que j’aime bien cette approche.

Et ce qui est bien, c’est aussi qu’il ramène le Constantine manipulateur, baratineur, escroc, qui amène les autres là où il veut (la scène avec les musulmans dans l’arc situé en prison, elle est forte). Cela amène le lecteur à douter de la magie, à s’interroger sur la vraie nature des capacités du personnage.
Et d’une certaine manière, c’est un magicien, plus au sens de prestidigitateur qu’au sens de sorcier : c’est quelqu’un qui joue la diversion, le trouble, le mensonge.

Jim

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Un point que milligan n a pas respecté dans son approche, et si j aime son run, par ailleurs je le trouve faible par rapport à d autres notamment pour cela.

Fred Hembeck :

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John Constantine : « Wanna make bloody bollocks of it ? »

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Ah tiens, ça t’intéresse maintenant, le doute sur la nature réelle de la magie ?? Tu t’es payé ma fiole à ce sujet sur le thread de « The Northman », espèce de malandrin… :wink:

Je me moquais de son traitement dans le film, rhoo.

Ouais, moi aussi.

Inoubliable.

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Je me demande où il est dans ma bibliothèque.

The Mystery Play

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Voilà le genre de truc qui devrait me plaire. Une enquête, une ambiance lourde, des mystères qui s’accumulent, des faux-semblants, un peu de dépravés … ça me fait penser un peu à la première saison de Broadchurch, en plus court et moins glauque.
Et donc plus court, parce que 80 pages. Et qu’en plus, y a quand même du temps qui se passe au début à poser le contexte à et bien (trop) insister sur les scènes de théâtre (ouais, Mystery Play, on avait compris). Ce qui est pas mal, c’est que les choix scénaristiques et de dialogues de Morrison, avec le style de Muth ne rendent pas les choses évidentes de prime abord. Mais on finit par comprendre … ou du moins, je finis par croire comprendre. Y a une certaine satisfaction en tant que lecteur. Sauf que la fin plombe un peu tout. J’ai beau relire, je n’ai pas compris d’où sort la microfiche (ça m’a échappé). Et là, j’ai commencé à sortir du truc, parce que j’ai eu l’impression que ça sortait complètement du jeu de départ, et qu’on prenait un nouveau chemin. Mais avec un virage à 180 degré. L’enquête primaire devient très secondaire, et ça se finit … arrive ensuite un « 10 ans plus tard » qui doit bien avoir une signification … mais je ne l’ai pas identifiée.
Donc je ressors avec de l’incompréhension, de la frustration, et à l’ère d’internet, je n’ai pas trouvé d’analyse en VF qui m’aide sur ce sujet (j’ai surtout l’impression de ne pas être seul à ne pas percuter). Donc, ouais, s’il y a de bonnes âmes pour m’aider, je suis preneur. J’ai à peu près une idée de la morale de l’histoire, mais bon … ça ne me suffit pas, et ça ne rehausse rien du tout.

Reste le dessin de Jon J. Muth, que j’aime beaucoup pour ce genre d’histoire (je ne suis pas sûr d’aimer pour tout). Il n’y a pas réellement de rythme, si ce n’est pour l’avant-dernière scène, donc son style en mode peinture s’y prête bien. C’est assez contemplatif, et comme il y a très peu de bulles, on profite bien des planches. Un style qui n’irait vraiment pas partout, mais là, ça fonctionne, surtout avec l’onirisme de Morrison.

J’oubliais : @Nikolavitch, j’ai cru lire que le titre avait une triple signification. Bon, la première est simple, le seconde … j’ai peut être deviné, mais la troisième ?
Et avais-tu proposé un titre en VF ?

Sans avoir lu l’œuvre, j’en vois déjà trois :

  • Le Mystère (dans le sens théâtral du terme)
  • La pièce mystérieuse
  • Le jeu mystérieux (avec la polysémie de « play »)

Il y a probablement aussi une signification au fait que le titre soit entièrement en capitales sauf l’article…

Tori.