Le coin des histoires courtes

En cette époque de cancel culture, de retour du conservatisme et de censure larvée, je repense à l’histoire « The Raving Maniac », de Stan Lee et Joe Maneely, publiée dans Suspense #29, daté d’avril 1953.

Resituons un peu : nous sommes donc en 1953 et, depuis quelques années (sans doute 1948, d’après les témoignages), des autodafés ont lieu où des foules brûlent des comics. La campagne anti-comics fait rage, orchestrée par des gens comme Gershon Legman ou Fredric Wertham, qui rédigent de nombreux articles et éveillent l’inquiétude des mamans (légitime dans ce cas, peut-être…) et des ligues bien pensantes (nettement plus politisée, bien sûr…).

C’est dans ce contexte que Stan Lee propose une histoire à Joe Maneely, durant laquelle un fou tonitruant fait irruption dans les locaux de l’éditeur (une maison d’édition pas nommée mais sous laquelle on reconnaîtra bien entendu Atlas, l’ancêtre de Marvel, où travaille Stan Lee en tant que rédacteur en chef des bandes dessinées), fulminant à cause du contenu.

Le lecteur insatisfait et moralisateur tombe sur un responsable éditorial flegmatique qui tente de désamorcer, avec ironie, chacun de ses arguments. C’est une évidente mise en abyme (fatalement un peu méta) du monde de la bande dessinée, de ses genres en vogue à l’époque. Le tout sous le trait expressif et détaillé de Maneely.

L’histoire se conclut sur le responsable éditorial, double de Stan Lee, qui s’emballe à son tour et brandit le journal, avec son lot de nouvelles tragiques et effrayantes. L’homme de presse demande au lecteur énervé ce qui lui semble le plus traumatisant : les monstres, loups-garous et vampires sortis de l’imagination ou les horreurs jaillies de l’actualité ? L’argument, qui cogne mais qui reste peut-être un peu simpliste (cela dit, il a son efficacité dans une réflexion sur la censure visant la fiction), rappelle celui que Larry Flynt avait opposé à l’accusation de pornographie formulée à son encontre : il avait demandé ce qui était le plus pornographique, des clichés de l’anatomie féminine ou des photos de la guerre du Viêt-Nam (et avait même percuté les deux registres dans un numéro fameux de son magazine Hustler). Sauf que le procès de Flynt, c’est les années 1970, soit près de vingt-cinq ans après Stan Lee.

Jim

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