LES TROIS VISAGES DE LA PEUR (Mario Bava)

REALISATEUR

Mario Bava

SCENARISTES

Mario Bava, Alberto Bevilacqua et Marcello Fondato, d’après des histoires de Ivan Chekhov, F.G. Snyder et Aleksei Tolstoy

DISTRIBUTION

Boris Karloff, Michele Mercier, Mark Damon, Lidia Alfonsi, Jacqueline Pierreux…

INFOS

Long métrage italien/français/américain
Genre : horreur
Titre original : I tre volti della paura
Année de production : 1963

Suite au succès de plus en plus grandissant de films de genre italiens comme Les Travaux d’Hercule avec Steve Reeves ou Le Masque du Démon de Mario Bava, la société américaine American International Pictures de James H. Nicholson et Samuel Z. Arkoff (bien connue des amateurs de séries B, comme celles de Roger Corman qui collabora longtemps avec les deux compères) conclut en 1963 un accord avec le studio transalpin Galatea dans le but de participer à la production d’au moins neuf films sur une période de 8 ans.
Le premier de la liste fut l’anthologie Les Trois Visages de la Peur, co-production réunissant comme souvent à cette époque une distribution internationale : les américains Boris Karloff (qu’on ne présente plus) et Mark Damon (La Chute de la Maison Usher de Corman) côtoient notamment au générique les françaises Michèle Mercier (Angélique, marquise des anges) et Jacqueline Pierreux ainsi que les italiennes Lidia Alfonsi (Les Travaux d’Hercule) et Susy Andersen (Les Gladiatrices), pour ne citer que quelques noms.

Le projet fut confié à Mario Bava, qui avait déjà tourné Le Masque du Démon pour Galatea et qui venait de terminer le tournage de La Fille qui en savait trop, considéré comme l’un des ancêtres du giallo (voir l’excellent article de l’ami Photonik pour en savoir plus). Bava n’avait pas retouché directement au genre horrifique depuis Le Masque du Démon, et vit dans le format du film à sketches l’occasion d’évoquer les façons dont la peur peut frapper les êtres humains à différentes époques. Avec ses scénaristes, il tira son inspiration de romans et de nouvelles et alterna les unités de temps et de lieux : le premier segment est situé dans le présent, le second au 19ème siècle et le dernier au début du XXème (l’ordre changeant au gré des remontages effectués pour la distribution hors de l’Italie).

Les Trois Visages de la Peur se distingue d’autres anthologies du même genre par le fait qu’il n’y aucun fil rouge (contrairement aux adaptations des EC Comics comme Tales from The Crypt et Le Caveau de la Terreur). On retrouve tout de même Boris Karloff en « hôte », faisant office de présentateur au début du film et le concluant par une ironique mise en abyme (scène là aussi coupée selon les pays).

Après La Fille qui en savait trop, le segment Le Téléphone (d’après une histoire de F.G. Snyder) est un autre essai précurseur de Bava dans le genre du giallo…la couleur en plus, afin de reproduire le style visuel des couvertures des romans policiers italiens qui inspirèrent le giallo cinématographique. Dans un décor quasi-unique emprunté à son film précédent, une jeune femme interprétée par Michèle Mercier (qui avait déjà tourné sous la direction de Bava dans Les Mille et une nuits) est harcelée au téléphone par un maniaque (il y a un twist que je ne révélerai pas ici, bien entendu).
Plus efficace dans sa première partie (la tension retombant un petit peu à plat après une dizaine de minutes très intenses et une accroche qui évoque de futurs classiques du genre comme Terreur sur la Ligne et Scream), Le Téléphone est porté par deux magnifiques comédiennes. Le scénario évoque à demi-mots prostitution et lesbianisme, éléments qui seront altérés dans la version américaine, qui, magie du montage et du doublage, tient paraît-il plus du surnaturel que du suspense anxiogène.

Les Wurdalaks est une histoire de vampire librement tiré d’une nouvelle de Aleksey Tolstoy (avec divers emprunts à Guy de Maupassant et Bram Stoker). Dans la Russie du début du XIXème siècle, un jeune noble (Mark Damon) découvre le corps d’un homme atrocement mutilé. Il l’amène à une ferme proche où il rencontre une famille terrifié par le Wurdalak, une créature qui se nourrit du sang des personnes qu’il aime le plus. Le père (Boris Karloff) est parti sur les traces d’un Wurdalak…et il n’a plus donné signe de vie depuis cinq jours…

Avec ce segment central, Bava retouche à l’horreur gothique et signe un conte romantique et paranoïaque, sublimé par une magnifique photographie, marque de fabrique d’un artiste qui travaillait ses plans avec un grand souci du détail.

Souci du détail que l’on retrouve dans le dernier chapitre, l’angoissant La Goutte d’Eau (d’après Ivan Checkhov). Une infirmière est appelée à se rendre dans une grande demeure (à nouveau un superbe décor) pour préparer le corps d’une medium récemment décédée avant son enterrement. Lorsqu’elle remarque un saphir au doigt de la morte, elle s’empresse de le voler. De retour chez elle, d’étranges événements se produisent…
L’un des aspects les plus réussis des Les Trois Visages de la Peur, c’est que le long métrage monte en puissance et que chaque partie est encore plus réussie que la précédente. Grand moment de suspense et d’effroi, La Goutte d’Eau est un petit chef d’oeuvre au dénouement ambigu, qui utilise à merveille les sons et les éclairages pour installer une atmosphère étouffante. Brillant !

Pour la petite histoire, le titre américain des Trois Visages de la Peur est Black Sabbath (afin de le relier au succès précédent de Bava, Le Masque du Démon, retitré Black Sunday pour son exploitation américaine). En 1969, Earth, un groupe d’heavy metal britannique co-fondé par un certain Ozzy Osbourne, se rendit compte que leur formation partageait le même nom qu’un autre groupe. Il décidèrent donc d’en changer. Au même moment, ils remarquèrent que le cinéma en face de leur salle de répétition projetait le film de Mario Bava. Geezer Butler, le bassiste et parolier, aurait alors dit : « il est étrange que des gens dépensent autant d’argent pour se faire peur au cinéma ». Avec Ozzy Osbourne, il écrivit ensuite la chanson Black Sabbath…et le groupe trouva son nouveau nom !

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Et d’ailleurs, voici l’affiche américaine du film (dans lequel n’apparaît pourtant à aucun moment un cavalier sans tête :wink: )…

Rien à rajouter, tu as tout dit comme d’habitude !! Et merci pour le lien vers mon modeste article sur le giallo…
On oublie d’ailleurs trop souvent ce segment du film de Bava, « Le Téléphone », dans la genèse du genre. Il constitue une sorte de pont entre « La Fille qui en savait trop » (pas encore tout à fait un giallo à mon avis, notamment du fait de l’absence de couleurs) et « 6 Femmes pour l’Assassin », premier classique du genre.
Quant à « La Goutte d’eau », c’est un sommet du genre horrifique, toujours aussi puissant 50 piges après.

Ce morceau que j’aime au-delà du raisonnable (je l’ai repris avec deux formations différentes…) a une importance cruciale dans l’histoire du genre heavy metal. Extrêmement simple, il repose sur l’utilisation d’un « triton » (intervalle de trois tons), considéré comme diabolique au moyen-âge (on l’appelait le « diabolus in musica » d’ailleurs) et son usage était en conséquence proscrit. Cet intervalle de trois tons sonne bizarrement à l’oreille, pour le dire vite.
Idéal pour Ozzy Osbourne, Geezer Butler, Bill Ward et le génial Tony Iommi, qui recherche justement ce genre d’effet. La légende veut que les paroles relatent un cauchemar du bassiste Geezer Butler, persuadé qu’une silhouette noire le guettait depuis le pied de son lit durant son sommeil (« big black shape with eyes of fire »).
Le groupe a fini, en développant sa musique à partir de ce morceau « mètre étalon », par donner naissance à pratiquement tous les sous-genre du metal (surtout doom et stoner, mais aussi death, black, etc…). Pas mal pour 4 jeunes prolos de Birmingham.
Quant au morceau « Black Sabbath », le voici le voilà…!

Nom de Zeus…toujours aussi puissant, ce titre ! Thanks !

Francesco Francavilla (Ghostober #10) :

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Brent Schoonover :

Boris Grinsson :

Stephen Andrade :