Le tandem composé de Steve Skeates au scénario et de Jim Aparo au dessin a mené la série Aquaman jusqu’à la fin. En fait, sa « première » fin, puisque la série s’est interrompue en 1971 avant de reprendre en 1977 (après un passage court mais mémorable du Roi des Mers dans Adventure Comics). Ce sont ces derniers épisodes qui sont compilés dans le recueil Aquaman: Deadly Waters, sorti en 2020.
Le contenu reprend au numéro 49, soit juste après le sommaire de Search for Mera. Ce premier volet confronte Aquaman et Aqualad à un saboteur s’attaquant à des usines et au spectre de la pollution. Si Skeates, nous l’avons dit, n’est guère subversif dans ses propos, la série fait tout de même écho, de temps en temps, à des préoccupations émergentes, dont l’écologie.
Skeates fait revenir le personnage de l’explorateur à pipe aperçu dans un épisode précédent, créant ainsi une certaine continuité dans la série. Il impose également une figure d’entrepreneur véreux, poursuivant son portrait d’une criminalité en civil qui prend plusieurs formes (de la série commence à se dégager un évident mépris pour le pouvoir lié à l’argent).
En subplot, il montre Ocean Master s’entretenant avec Mera à la lisière d’Atlantide. La suite au prochain numéro. Et quel numéro, puisque les épisodes 50 à 52 proposent ce qui reste aujourd’hui comme l’un des plus grands tours de force graphiques de la série. Comme l’explique Skeates dans des courriers de lecteurs opportunément reproduits en fin de volume, le scénariste et son responsable éditorial, Dick Giordano, ont bien compris que la précédente quête a attiré l’attention, et tentent de renouveler l’exploit. D’une certaine manière, ils vont même le surpasser.
Alors qu’ils avaient lancé Aquaman à la recherche de son épouse, précédemment, ils décident cette fois d’envoyer le monarque dans un lieu inconnu, laissant sa famille en plein désarroi. Pressentant que le récit pourrait être l’occasion, pour Aparo, de s’éclater, ils choisissent de réduire la pagination des épisodes et d’offrir un espace pour une autre histoire. C’est vers Neal Adams que l’équipe se tourne, et le jeune auteur arrive avec son personnage de fantôme, Deadman. Aparo et Adams dans le même magazine, ça ne présage que du bon, mais les auteurs poussent le jeu jusqu’à construire une double intrigue, dont les rebondissements se répondent : ce qui se passe chez Deadman aura des répercussion chez Aquaman, et inversement. Un cross-over au sein d’une même revue (et l’un des sommet visuels de la carrière de Deadman, qu’on a déjà évoquée en ces colonnes).
L’intrigue débute ainsi : Ocean Master se remémore une information qu’il avait oubliée, à savoir qu’il est le frère du héros. Pris de remords, il tente de le prévenir qu’un de ses alliés est sur le point de frapper. Mais Aquaman à peine arrivé, il se retrouve téléporté dans un monde inconnu, qui pourrait très bien provenir d’un comic book de Doctor Strange. Dans ce monde, il fait la rencontre d’une belle et mutique brune, et découvre, une fois de plus, que les mœurs de cette terre étrangère sont loin des siennes. On retrouve quelques fixettes de Skeates, mais le récit est dense, sans temps mort.
Dans le segment de Deadman, le héros décide d’explorer le monde et apprend qu’Aquaman est en grand danger. C’est en voulant intervenir dans l’esprit d’Ocean Master, acoquiné à des extraterrestres conquérants, qu’il réveille les souvenirs enfouis du vilain. Et ainsi de suite.
Les deux illustrateurs font assaut d’inventions graphiques et de techniques novatrices, proposant des compositions dynamiques et mélangeant trames, collages ou duotones. Une pure merveille, un régal pour les yeux.
Quant aux héros, ils repoussent les menaces (les extraterrestres sur Terre et les esclavagistes dans l’autre dimension) en agissant en commun mais sans jamais se rencontrer. Jolie prouesse narrative qui pourrait en remontrer à de nombreux events récents.
Après un tel morceau de bravoure, Skeates et Aparo ramènent leur héros, qui affronte Black Manta cette fois-ci associé à des agents de l’organisation O.G.R.E., qui menace de faire exploser une bombe atomique sur l’Atlantide en profitant de la crédulité d’un milliardaire, autre pique du scénariste envers les riches.
Mais on sent que la série a atteint un pic et qu’elle subit une baisse de régime. Les récits sont intéressants (quoique parfois tordus), mais peuvent être lus séparément. Giordano sait-il que la série est sur la sellette, et évite-t-il de lancer ses auteurs dans de trop grandes sagas ?
L’épisode 54 voit apparaître Thanatos, double maléfique d’Aquaman né d’un cauchemar. Le récit vaut surtout par sa construction, succession de raccourcis faciles et de clichés indignes cachant une vérité autre, une révélation. Il est intéressant de voir que Skeates s’amuse à commenter le métier de scénariste… et que, des années plus tard, Peter David, lors de sa reprise du personnage, trouvera un moyen de ramener Thanatos le temps de quelques épisodes.
Durant la saga dans l’autre dimension, Aquaman avait abandonné son alliée aux mains des esclavagistes, ce qui avait valu à Adams de rédiger un dernier dialogue en guise de pique à l’encontre de son collègue, puisque l’alliée de Deadman, elle, précise qu’il ne faut jamais abandonner une femme. L’épisode 55 est donc l’occasion pour Skeates et Aparo de revenir sur le sort de la belle et mutique brune de quelques épisodes plus tôt. Et dans une pirouette, Aquaman apprend qu’elle se satisfait très bien de son sort et n’apprécie guère de voir le héros débarquer à nouveau.
L’épisode propose un petit récit court mettant Aquaman aux prises avec un ordinateur fou, dernier survivant d’une civilisation qu’il était programmé pourtant pour rendre prospère. Puis, dans le chapitre suivant, le Roi des Mers affronte une invasion d’algues vertes tout en renouant avec un ami scientifique dont il découvre la double identité de justicier, trop tard hélas puisque le héros costumé est mort.
Mais ces deux dernières livraisons témoignent du fait que, malgré sa tentative de livrer des récits auto-contenus, Skeates en avait encore sous la pédale. Si l’on en croit ses habitudes d’écriture, consistant souvent à présenter un personnage avant de s’en servir par la suite ou à ressortir un élément exposé quelques épisodes plus tôt, on peut remarquer qu’il posait les bases d’une nouvelle agitation politique en Atlantide dans l’épisode 55 et semblait envisager la lutte d’Aquaman contre une créature née de la pollution dans le 56. Tout cela sera remisé, la dernière intrigue étant résolue à l’occasion de la destruction d’un satellite dont les rayonnements favorisent la croissance des algues. Hop, le titre s’interrompt sans plus de procès en 1971.
Une fin rapidement expédiée et un peu triste pour une série qui vient de connaître un pic de créativité graphique, en plus d’offrir de bons moments de lectures aux fans.
Jim