LA BAIE SANGLANTE (Mario Bava)

REALISATEUR

Mario Bava

SCENARISTES

Mario Bava, Gene Luotto, Fillipo Ottani et Giuseppe Zaccariello, d’après une histoire de Dardano Sacchetti et Franco Barberi

DISTRIBUTION

Claudine Auger, Luigi Pistilli, Claudio Camaso, Chris Avram…

INFOS

Long métrage italien
Genre : horreur
Titre original : Reazione a catena
Année de production : 1971

Lorsque Mario Bava aborde les années 70, qui représentent la dernière phase de sa carrière, le maestro italien n’avait pas sorti de films depuis 2 ans et Danger : Diabolik !. Mais le prolifique metteur en scène (16 films entre 1960 et 1968) ne s’était pourtant pas éloigné des plateaux de tournage, puisqu’il avait participé à la mini-série italo-franco-allemande L’Odyssée, d’après l’oeuvre d’Homère, en dirigeant les scènes de la rencontre entre Ulysse et ses marins et le cyclope Polyphème (ce qui a du lui rappeler des souvenirs puisqu’il avait fait partie de l’équipe technique de l’Ulysse de Mario Camerini en 1954).

Les années 70 ont débuté par quatre films qui ne figurent pas parmi les plus aboutis de sa filmographie. Malgré des qualités certaines, son retour à l’horreur n’est pas complètement convaincant (Une Hache pour la Lune de Miel, L’Île de l’Epouvante) et il doit aussi signer deux films de commande, la « sexy comédie » Quanta Volte…quella notte ! (intéressante et inégale) et le western comique Roy Colt et Winchester Jack (que je n’ai pas encore vu et que Bava considérait paraît-il comme l’un des ses plus mauvais longs métrages).

Mario Bava a pu retrouver le contrôle créatif avec son opus suivant, La Baie Sanglante, un thriller horrifique tourné pour un budget modeste que le maestro a réussi comme à son habitude à transcender pour signer une étonnante variation sur le giallo qui se révélera par la suite une influence majeure sur la vague des slashers qui déferlera sur le cinéma d’horreur.
La structure de La Baie Sanglante ne se prête pas particulièrement à un résumé linéaire…et Bava joue de cette confusion pour entretenir le doute sur le(s) responsable(s) des meurtres en ne plaçant les flashbacks qui offrent les explications de rigueur qu’en fin de film. Et même là, il y a comme un doute qui persiste…et le final est déroutant…

La Baie du titre, un lieu sauvage et naturel, est l’objet de toutes les convoitises et les protagonistes qui se déchirent pour elle sont au centre d’un véritable jeu de massacre qui va crescendo à partir d’une scène d’ouverture d’une redoutable efficacité (un modèle de suspense et d’atmosphère). Cette baie fait partie de ces lieux que l’on peut considérer comme un personnage central, le théâtre moite et superbement filmé (la photographie de Mario Bava est comme souvent impeccable) d’une lutte d’influences qui révèle toute la perversité de ses participants. On retrouve parmi les acteurs Claudine Auger (La Tarentule au ventre noir) et le tourmenté Claudio Camaso (Le Jour de la Haine), de son vrai nom Claudio Volonté (il était le frère de l’excellent comédien Gian Maria Volonté).

La Baie Sanglante est à n’en pas douter l’un des films les plus sanglants de Mario Bava. Dans l’élaboration de cette réaction en chaîne (d’après le titre original) de meurtres aussi horribles qu’intenses (et dont la composition ne manque pas d’excellentes trouvailles), Mario Bava est épaulé par le responsable des effets spéciaux Carlo Rambaldi (le futur créateur d’E.T. s’était occupé la même année des effets du Venin de la Peur de Lucio Fulci). Viscéral, le film enchaîne les plans troubles, gores et saisissants, de cette figure du voyeur qui revient régulièrement à ce cadavre pourrissant recouvert d’un poulpe, pour ne citer que quelques exemples.

Aussi réussi soit-il, La Baie Sanglante souffre par moments de quelques lenteurs. Il y a un passage qui dure pour moi un petit peu trop longtemps (malgré l’impact des mises à mort), celui où quatre touristes, qui n’ont absolument aucune utilité dans le déroulement du récit, se retrouvent au proverbial « mauvais endroit au mauvais moment », avec une seule idée en tête…s’envoyer en l’air. Leur espérance de vie est bien entendu limitée et ces scènes ont du marquer les responsables de la franchise Vendredi 13 puisque l’une des exécutions est reprise telle quelle dans Vendredi 13 Chapitre 2 !

1 « J'aime »

S’il est vrai que « L’'Île de l’Epouvante » compte vraiment parmi les films les plus mineurs de Bava dans le genre, je suis par contre très fan de l’autre, « Une Hache pour la Lune de Miel », un film assez malin dans la mise en boîte de la psychanalyse de comptoir qui pollue à l’occasion le genre giallo.
Le titre est d’ailleurs très souvent (mais pas systématiquement) au giallo, mais en le considérant comme tel, il faut le prendre pour une variation sur le genre : contrairement à l’usage, le coupable est connu d’entrée (quand le giallo est un « whodunit » dans 99 % des cas).

Quant à « La Baie Sanglante », j’en suis perso tout simplement gaga, c’est vraiment un des Bava que je préfère. Là aussi, c’est à peine un giallo.
L’astuce assez géniale du film, que Bava ne pousse d’ailleurs pas vraiment au bout (il fait entorse à la règle qu’il semble établir pour la structure du film), c’est que la victime d’un meurtre est le coupable du meurtre précédent, en gros. William Friedkin s’en souviendra pour son « Cruising », qui fonctionne quant à lui complètement sur ce principe (le film ressemble trait pour trait à un giallo, d’ailleurs…).
Ce canevas où aucun des personnages ne trouve grâce aux yeux du spectateur ou du réalisateur est l’écrin idéal pour exprimer la misanthropie profonde de Bava, composante essentielle de son travail (une misanthropie contrebalancée par un sens épatant de l’ironie et du recul sur son propre travail), et parfaitement illustrée par la chute scotchante du film.
Un film d’horreur brutal, malsain, poisseux, bref vraiment méchant. Et truffé d’idées de mises en scène plus brillantes les unes que les autres.

[quote=« Le Doc »]
ces scènes ont du marquer les responsables de la franchise Vendredi 13 puisque l’une des exécutions est reprise telle quelle dans Vendredi 13 Chapitre 2 ![/quote]

J’ai vu un comparatif entre les deux films où les scènes « correspondantes » sont montées en parallèle (dans un bonus DVD quelconque, j’imagine) et c’est tout simplement hallucinant, on est au-delà du plagiat, là. Et je ne suis pourtant pas du tout hostile à la pratique des « emprunts » d’habitude (on peut dire « citation », c’est plus flatteur), mais là… sans compter que cette scène est loin d’être le seul emprunt si mes souvenirs sont bons.
C’est là d’ailleurs qu’on voit qu’une bonne citation, ça se contextualise, quand même : outre sa puissance graphique (avec les amants empalés ensemble), la scène valait aussi pour le parallèle établi avec les papillons épinglés aperçus au début du film (qui redouble la veine nihiliste et misanthrope du film). Là, c’est juste un plan censé en foutre plein la vue, sans résonance particulière.

Tant qu’on y est, on peut signaler l’existence de l’excellente vidéo ci-dessous, une conférence de Jean-Baptiste Thoret sur le film, donnée dans le cadre des cycles/rétrospectives qu’il propose depuis quelques années…

youtube.com/watch?v=CZdds07HKaw

L’une des astuces du film, c’est d’ailleurs de se débarrasser de celui qui a les caractéristiques du tueur de giallo (dont les fameux gants noirs) dès le début du film…

En gros oui, car ce mécanisme ne se répète pas pendant le passage avec les jeunes…

C’est clair…et c’est nettement plus vicieux dans le Bava, avec le langage corporel des amants lorsqu’ils sont empalés et qui renforce l’analogie avec l’insecte…

[quote=« Le Doc »]
L’une des astuces du film, c’est d’ailleurs de se débarrasser de celui qui a les caractéristiques du tueur de giallo (dont les fameux gants noirs) dès le début du film…[/quote]

Absolument, c’est également la lecture que j’en ferais. Au passage, j’aime moi aussi beaucoup cette scène d’intro très noire, avec cette idée géniale de la roue du fauteuil roulant qui tourne jusqu’au dernier souffle de sa propriétaire…

[quote=« Le Doc »]

En gros oui, car ce mécanisme ne se répète pas pendant le passage avec les jeunes…[/quote]

Tout à fait, à ce moment-là il déroge à la « règle », en effet. C’est la partie la plus purement « giallesque » du film d’ailleurs (ou plutôt « proto-slasheresque », pour être plus précis).

Laurent Melki :

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L’affiche belge :