DEVIATION MORTELLE (Richard Franklin)

REALISATEUR

Richard Franklin

SCENARISTE

Everett De Roche

DISTRIBUTION

Stacy Keach, Jamie Lee Curtis, Marion Edward, Grant Page, Robert Thompson…

INFOS

Long métrage australien
Genre : thriller
Titre original : Roadgames
Année de production : 1981

Depuis le documentaire de 2008 Not Quite Hollywood: The Wild, Untold Story of Ozploitation!, on désigne généralement sous le terme « Ozploitation » (mot porte-manteau formé à partir de « Oz »…déformation de « Aus »/« Aussie »…et « Exploitation ») le renouveau du cinéma de genre australien qui a suivi la révision du système de classement des films en Australie au début des années 70 (avec par exemple l’introduction du « R » pour les interdictions au moins de 17 ans). Historiquement, Réveil dans la Terreur de Ted Kotcheff et le méconnu Night of Fear de Terry Bourke sont considérés comme faisant partie des premiers représentants de cette « nouvelle vague »…et parmi les longs métrages les plus célèbres de cette époque, on retrouve bien entendu la trilogie Mad Max de George Miller.

L’un des scénaristes phares de la Ozploitation est Everett De Roche, auteur formé à la télévision, qui a écrit notamment le très bon Patrick, Long week-end, Snapshot et le fameux Razorback de Russell Mulcahy. Le film d’horreur Patrick marquait sa première collaboration avec le réalisateur Richard Franklin, qu’il a poursuivie avec Déviation Mortelle et la production britannique Link.
Richard Franklin avait d’abord fait un petit détour par la sexploitation fauchée avec la comédie érotique Fantasm signée sous un pseudonyme, ce qui lui a permis de financer Patrick. Après le succès de Déviation Mortelle, il partit à Hollywood où il s’illustra notamment sur Psychose 2, la suite tardive du classique de Alfred Hitchcock.

Grand admirateur du maître du suspense, Richard Franklin avait prêté une copie du scénario de Fenêtre sur Cour à Everett De Roche pendant le tournage de Patrick. Après avoir lu le scénario, De Roche a suggéré à Richard Franklin que les longues routes de l’Outback australien seraient un décor idéal pour un suspense de ce genre. Déviation Mortelle (Roadgames en V.O.), c’est donc la rencontre entre Fenêtre sur Cour et Duel, avec une pincée de Mad Max, pour un thriller qui incorpore toutes ses références sans tomber pour autant dans l’exercice de style servile.

En Australie, un mystérieux tueur en série prend pour cible de jeunes auto-stoppeuses. La police n’a aucune piste…
Pat Quid, un routier américain (excellent Stacy Keach, dans un rôle écrit à l’origine pour Sean Connery…mais l’ex-James Bond était beaucoup trop cher) toujours flanqué de son dingo Boswell, transporte une cargaison de viande vers Perth. Pour tromper l’ennui, il monologue et joue à des jeux en observant les autres voyageurs sur l’autoroute. Il est bientôt persuadé que le conducteur d’un van vert pourrait bien être le Jack l’Eventreur dont on parle à la radio. Après la disparition de Pamela, l’auto-stoppeuse qu’il avait embarqué peu de temps auparavant, il se met alors à traquer l’assassin au volant de son camion. Mais les policiers, intrigués par son comportement, l’ont mis au premier rang de leurs suspects…

Richard Franklin et son scénariste prennent leur temps pour faire monter la tension : la première moitié du métrage est centrée sur le personnage de Pat Quid dont Stacy Keach fait un héros tout à fait sympathique. Par petites touches, on devine que Pat Quid a bien bourlingué et que ce boulot de camionneur n’est que le plus récent dans une longue liste d’emplois qu’il a occupés sur différents continents. Pat lutte contre l’ennui…et le manque de sommeil…en parlant avec son dingo, en déclamant des poèmes et en essayant de se montrer aimable avec tous ceux qu’il rencontre (ce qui n’est pas toujours facile car dans ces coins reculés de l’Australie, les dingos ne sont pas très bien vus). Les gens qu’il croise sont d’abord présentés sous la forme de « vignettes », de scénarios qu’il s’imagine et des petits noms amusants dont il les affuble (un motard avec une crise d’éternuement devient ainsi « Sneezy Rider »).

Ces personnages resurgissent régulièrement sur le parcours de Pat Quid (qui prend place dans des paysages très bien mis en valeur) de manière souvent savoureuse ce qui fait que cette mise en place ne manque pas d’humour, malgré quelques longueurs. La solitude de Quid prend fin lorsqu’il décide, contre ses principes, de prendre une auto-stoppeuse, une charmante héritière (qu’il surnomme « Hitch »…pour « Hitchhiker » ou « autostoppeur » en V.F. mais également une référence supplémentaire à Hitchcock) qui a décidé de partir à l’aventure (Jamie Lee Curtis, la reine de la série B horrifique U.S. de l’époque avec ses rôles dans les deux premiers Halloween, Fog, Le Bal de L’Horreur et Le Monstre du Train), ce qui déclenche une série d’événements qui le mettront à la poursuite du serial killer au van vert.

Ce jeu du chat et de la souris est aussi une lutte de Pat Quid contre lui-même, contre ses limites physiques. Le manque de sommeil provoque des hallucinations et lui fait questionner sa stabilité mentale. Grâce à de judicieuses trouvailles visuelles, le dernier acte bascule dans une atmosphère étonnante, à la lisière du fantastique, avant la montée en puissance du face-à-face final joliment orchestré entre Quid et le tueur (là encore, l’idée est excellente, avec un piège qui se referme littéralement sur les protagonistes).
Une scène d’action originale…qui est aussi un véritable tour de force technique !

Très très bon film, je l’ai justement vu il y a relativement peu de temps…

C’est vrai que l’exposition du film, prenant bien son temps à l’ancienne, n’est pas exempte de quelques longueurs ; ceci dit, l’interprétation est si savoureuse (Keach en tête, véritablement excellent) et le scénario si riche de multiples petites finesses (y’a même un twist qui concerne le dingo ; quant à la veine hitchcockienne, elle s’exprime non seulement pas les références directes, mais aussi par les thématiques, comme le traitement de la figure du faux coupable) que la pilule passe sans aucun problème…

Sans compter que la mise en scène est à l’avenant, inspirée et inventive, comme tu le signales sur cet excellent climax, où le décor se referme littéralement sur les personnages.
Un film méconnu mais qui vaut franchement le détour. Et quelle photogénie, même si c’est devenu un lieu commun que de le signaler, dans ce décor de l’outback australien.

C’est toujours un plaisir de lire ce que tu écrit dans le Ciné-Club, pas tant l’avis que tu peux avoir sur tel ou tel film (des avis tout le monde en a), mais sur ce que tu en dis. Et la manière dont tu le fais. (Cela dit tu parles de film si peu « contemporains » que ton avis est quand même pertinent)
La plus-value que tu apportes dans un style concis est vraiment - toujours - intéressant.

Les films dont tu parles ne m’intéressent pas toujours, et là c’est un mauvais exemple puisque ton commentaire m’a rendu curieux de voir le film de Franklin, mais tu en dis toujours suffisamment sur les à-côtés pour qu’il y ait toujours une raison pour passer un peu de temps à venir te lire.