Troisième TPB mémorable, également sorti au milieu des années 2000 (mon édition date de 2005), The Terror of Trigon propose, sous une couverture recolorisée, de compiler les cinq premiers numéros de la série The New Teen Titans de 1984. Le recueil est accompagné d’une introduction de Marv Wolfman qui dit l’importance revêtue par Raven dans la série.
Profitons de l’occasion pour rappeler le micmac éditorial bâti par DC à cette occasion : l’éditeur cherche à conquérir le marché naissant des librairies spécialisées (ou direct market) et lance une nouvelle version des aventures des héros. Mais plutôt que de créer une nouvelle série en remplacement de la précédente, ils conservent celle-ci, destinée aux kiosques. Si bien que, en 1984, New Teen Titans #1 débarque, tandis que la série précédente devient Tales of the Teen Titans en conservant sa vieille numérotation. Et contiendra des histoires inédites (dont le procès de Deathstroke cité plus haut) pendant un an, délai au bout duquel elle rééditera, avec une année de décalage, le contenu de la série sœur, sous de nouvelles couvertures. Tordu, hein ?
Cette nouvelle série débute avec le retour d’un ennemi ayant présidé au lancement de ce groupe, Trigon, l’être démoniaque père de Raven, la plus mystérieuse membre de l’équipe. L’irruption du démon dans la baie de New York, autour de l’île abritant la Tour des Titans, annonce déjà les astuces visuelles que Pérez déploiera dans Crisis, à savoir un ciel à la couleur étrange et débordant de nuage. La corruption apportée par Trigon contaminera la ville et ses habitants et finira par atteindre l’âme même des Titans, que la rare Lilith a rejoints (ceci sera expliqué dans l’intérim de l’autre série).
L’histoire est bien rythmée, avec un sentiment d’apocalypse et de fin du monde qui tourne bien, d’autant que les héros semblent complètement dépassé par la puissance qu’ils affrontent. Graphiquement, Pérez est en pleine forme, et les progrès de l’impression lui permettent quelques fantaisies : certaines séquences oniriques sont représentées sans encrage à partir du deuxième épisode, et c’est du meilleur effet.
Autre astuce graphique au service du récit, l’évolution physique de Raven. Depuis quelque temps, celle-ci semble en proie aux doutes et à des visions inquiétantes (depuis une rencontre avec Phobia, membre de la nouvelle Brotherhood of Evil). On peut imaginer que les deux auteurs, qui aiment planifier les aventures de leurs héros (et qui officient ici en tant que responsables éditoriaux également), aient déjà organisé cette transformation, mais il est toujours intéressant de voir que l’évolution du trait du dessinateur soit intégré à la narration (un peu comme Byrne qui tire profit de l’évolution de la représentation de Ben Grimm dans Marvel Two-in-One #50, par exemple).
À la fin de la saga qui dure cinq numéros, Trigon est chassé mais Raven est portée disparue. Un choc pour les héros et pour les lecteurs. Remarquons qu’une autre série jouit du même traitement éditorial (deux séries pour deux réseaux de points de vente), Legion of Super-Heroes, et que l’arc inaugural de la version « direct market » se conclut également par un décès. Il n’en faut pas moins pour attirer et marquer les lecteurs.
Les lecteurs de 1984 qui suivent les aventures des Nouveaux Jeunes Titans sont gâtés, pour peu qu’ils aient accès à la fois à un kiosque et à une boutique spécialisée : coup sur coup, ils peuvent lire « The Judas Contract » et « Terror of Trigon ». Rétrospectivement, on pourra peut-être reprocher à cette nouvelle mouture de revenir sur les anciennes gloires de la précédente : en effet, Wolfman, aidé par Pérez puis José Luis Garcia-Lopez et Eduardo Barreto, revient sur différentes intrigues déjà évoquées. Après Trigon, c’est la mythologie qu’ils abordent (avec Lilith, éclairant les troubles de la jeune fille récemment ramenée dans l’équipe) ou la Citadelle et Tamaran. Ce reproche consisterait peut-être à ne voir dans cette nouvelle série qu’un coup éditorial destiné à flatter le lectorat et à capitaliser sur des valeurs sûres. Deux points semblent cependant invalider cette approche : d’une part, le fait que l’éditeur décide de faire deux séries semble impliquer qu’il croit les deux marchés imperméables l’un à l’autre, ce qui démonte l’argument de la valeur sûre. D’autre part, à bien lire la série (dans l’ordre logique voulu par les auteurs : en gros, dans Tales of the Teen Titans), la fluidité des événements place cette saga dans la droite lignée de ce qui a été fait précédemment, en suite directe, en développement logique.
Graphiquement, Pérez assure comme un beau diable. Il convoque des images fortes, à l’exemple de ces tortillons de roches sur lesquelles s’accrochent les âmes des victimes de Trigon. Autre belle astuce visuelle, les héros sont confrontés à leur part négative manifestant leur corruption, et celle-ci est représentée en trames, sans couleur, silhouette grise au milieu de la planche. L’ensemble est fort et bien rythmé, avec une caractérisation efficace, même si les dialogues appuient sans doute un peu trop les effets. Un sacré morceau, qui propulse la série encore un peu plus haut dans les lectures recommandées de l’époque, et qui subit avec aisance l’épreuve des ans.
Jim