THE INTRUDER (Roger Corman)

eNQWZuAOi-haKlVTHaPybTagQL0

REALISATEUR

Roger Corman

SCENARISTE

Charles Beaumont, d’après son roman

DISTRIBUTION

William Shatner, Frank Maxwell, Beverly Lunsford, Leo Gordon, Charles Beaumont…

INFOS

Long métrage américain
Genre : drame
Année de production : 1962

Au début des années 60, Roger Corman, le pape de la série B made in U.S.A., surfait toujours sur la vague d’un succès qui n’avait pourtant débuté que 5 petites années plus tôt. Entre 1955 et 1961, Corman a tourné une trentaine de films, la plupart mis en boîte très rapidement, entre deux jours (comme le veut la légende qui entoure La Petite Boutique des Horreurs) et deux semaines (pour les plus grosses productions comme les adaptations d’Egdar Allan Poe…« plus grosses productions » signifiant dans ces cas-là des budgets allant de 300.000 à 400.000 dollars).

Corman a touché à tous les genres, à toutes les modes, du teen movie (Rock all night, Teenage Doll) au film de S.F. (Not of this Earth, War of the Satellites) en passant par le film de gangsters (Mitraillette Kelly, avec un jeune Charles Bronson), de monstres (L’Attaque des Crabes Géants), le western (La Femme Apache), la comédie noire (Un Baquet de Sang) ou encore le film de guerre (Ski Troop Attack). Et bien entendu, parmi les longs métrages dont il est le plus fier (et à raison), il y a le cycle de Poe, débuté en 1960 avec La Chute de la Maison Usher.

Roger Corman s’est toujours enorgueilli du fait que jamais un de ses films n’avait perdu de l’argent. Fort de sa position, il décida au début des années 60 de s’attaquer à un sujet plus personnel, plus « sérieux », afin de ne pas se laisser enfermer dans le cinéma de genre, même s’il était très content de filmer des histoires d’horreur et de science-fiction avec Dick Miller, Jonathan Haze et compagnie.
En 1958, il était tombé sur un roman de Charles Beaumont (un écrivain et scénariste notamment connu pour son travail sur la série La Quatrième Dimension dont il a écrit une vingtaine d’épisodes) qui constituait pour lui un excellent sujet de film…et en plus, le récit collait parfaitement à ses propres convictions. Mais lorsqu’il proposa le projet à ses producteurs et distributeurs habituels, on lui répondit pour la première fois…NON !

C’est que le sujet avait de quoi rendre frileux les studios dans l’Amérique du début des années 60…ill faudra attendre la fin des sixties pour que les grosses compagnies osent s’y intéresser…et encore avec moins de virulence que le long métrage de Roger Corman. « L’Intrus » en question, c’est un homme du nom de Adam Cramer, charmeur, beau-parleur, habillé d’un complet blanc éclatant. Il se présente comme un réformateur social, mais il est aussi ce qu’on appelle aux U.S.A. un « carpetbagger », un candidat parachuté qui représente un parti extrémiste. Cramer arrive dans la petite ville sudiste de Caxton, au moment même où viennent d’être votées les lois sur l’intégration, qui permettent aux enfants noirs d’intégrer les mêmes écoles que les blancs. Et il ne va pas tarder à semer le trouble et à envenimer une situation déjà explosive…

Déterminé, Roger Corman décida de tourner The Intruder sur ses propres deniers, en hypothéquant sa maison et en le produisant avec son frère Gene. Pour plus de réalisme, il décida de poser ses caméras dans une petite bourgade du Midwest, assez près du Sud pour que les habitants fassent « couleur locale » puisqu’il allait en faire un usage important pour les scènes de foule (la distribution ne réunissait d’ailleurs que quelques acteurs professionnels). Il a pu alors obtenir une autorisation de tourner en présentant une version « allégée » du script…mais lorsque les habitants ont découvert que le film était un plaidoyer anti-ségrégation, les équipes de Corman n’ont d’un seul coup plus été les bienvenues.

Menacé par le shériff du coin, Corman a du terminer le tournage façon « guerilla ». Un climat de danger qui s’est répercuté sur l’atmosphère de l’histoire, étouffante et d’une véracité quasi-documentaire qui fait froid dans le dos.

Lors d’une scène-clé, Adam Cramer se tient sur les marches de la mairie de Caxton et délivre un passionné discours anti-intégration. Face à lui, une foule presque entièrement composée de figurants recrutés dans la ville…et d’après Corman, les réactions aux paroles de Cramer n’étaient pas du tout feintes. Réalité et fiction se mêlent alors dans ce portrait sans concessions, aux images et aux dialogues marquants, d’une partie de l’Amérique engluée dans son intolérance…et qui est, hélas, toujours d’actualité…

Roger Corman a confié le rôle de Adam Cramer à un jeune acteur canadien encore inconnu…un certain William Shatner. Quatre ans avant d’embarquer à bord de l’Enterprise, Shatner livrait là l’une de ses interprétations les plus intenses et enfiévrées. Charismatique, enjôleur, il se sert de son charme et du pouvoir de sa voix pour tirer les ficelles et obtenir ce qu’il veut…un peu trop bien d’ailleurs, ce qui finit par se retourner contre lui dans un final très intéressant.

Dans The Intruder, le monstre, c’est le racisme. Mais c’est un monstre qui n’a pas attiré le public de 1962. Personne n’a voulu distribuer The Intruder, et pratiquement personne ne l’a vu, même lorsque Corman l’a ressorti sous différents titres (I hate your guts, The Stranger…). C’était la seule fois que Roger Corman a perdu de l’argent dans une partie de sa carrière jusqu’alors fructueuse pour lui.