C’est un marché qui s’est développé sur l’après-guerre. Des sociétés comme Lug, Aventures & Voyages, Sagédition, Impéria et d’autres ont souvent été fondées dans ces années-là. J’ai toujours pensé que le petit format et le noir & blanc étaient dictés par des soucis d’économie liés à la reconstruction du pays et aux pénuries diverses.
Moi qui ai commencé à lire et à collectionner bien avant toi, j’ai pas mal connu le marché des pockets. Notamment tous les titres qui ont abrité des séries DC et Marvel, chez Artima / Arédit.
On trouvait vraiment de tout dans ces parutions. Récemment, on m’a offert un Indians de 1959 avec des westerns de Frazetta, et un Astrotomic de 1961 avec entre autres un Buck Rogers de George Tuska. Et à l’époque, les sommaires étaient composés de sources diverses, on pouvait trouver une série de production hexagonale, accompagnée d’un ou deux récits de provenance étrangère. Il faudra attendre les années 1970 pour que DC et Marvel demande à Artima d’arrêter de mélanger les contenus (les premiers Étranges Aventures ou Aventures Fiction étaient bien dépareillés à ce niveau).
Je connaissais aussi un peu les parutions poche chez Lug, avec des héros comme Blek, Zembla, Tex, Zagor et plein d’autres. Ma (maigre) culture fumetti vient de là.
Et d’ailleurs, les parentés franco-italiennes sont nombreuses. Par exemple, il est bien connu qu’Auguste Vistel était un très bon ami du père Bonelli, ce qui explique le fait que le catalogue du second ait été traduit par le premier, que de nombreux illustrateurs italiens aient travaillé pour Lug, voire que la genèse de certains personnages (je pense à Zembla, mais peut-être aussi à Gun Gallon ou Blek, dont il faudrait que je replonge dans les premiers pas…) soit transfrontalière.
Et dans ces productions, bien souvent, il y avait la volonté de surfer sur les modes : récits de guerre, aventures, policier, science-fiction spatiale, tout y passait, sans une originalité foudroyante. Graphiquement, y avait de tout. Des trucs surnageaient : la série de science-fiction Titan, de Pierre Dupuis, est bien bancale question scénario, mais elle est super bien dessinée, par exemple.
Pour ce qui est des séries chez Lug, il y avait beaucoup d’aventures, parfois historiques, parfois exotiques (des jungles, des pays lointains). Et l’idée éditoriale derrière tout cela, c’était d’éviter toute forme d’évolution, de tabler sur un statu quo. Donc les aventures se suivaient, sans réellement faire avancer le truc (même les vilains récurrents étaient rares). Y a bien entendu quelques exceptions : Wampus (qui n’était pas en poche et qui a eu droit à sa propre revue en 1969) avait un gros fil rouge. Des séries comme Baby Bang (une héroïne de western) connaissaient une certaine évolution.
C’est en cela que, lorsqu’on a travaillé sur ces vieux personnages, autour de Thierry Mornet et de Jean-Marc Lofficier, la rupture se faisait sentir notamment autour de cette idée d’évolution. On avait des histoires à suivre, des cliffhangers, des développements. Rétrospectivement, je dirais même que c’est là que la rupture est la plus forte. Parce que l’idée d’avoir un univers partagé, même si c’était un virage violent par rapport aux vieilles versions, ça aurait pu se faire sur un mode plus « team-up », avec une histoire à chaque fois, auto-contenue.
Pour en revenir aux anciennes productions, les intégrales de Hexagon Comics, jouant le jeu de la compilation, placent au même niveau les vieilles séries et leurs versions modernes. Et les vieilles séries, ainsi assemblées, montrent bien leurs faiblesses : des histoires sans conséquences, parfois répétitives, sans doute un peu trop longues pour leur bien (le format poche impose une pagination plus étendue). J’ai beaucoup de tendresse pour certaines d’entre elles (les plus SF en général), mais faut avouer que c’est parfois un peu rude à la lecture. De sorte que pas mal de gens qui découvrent sont soit déçus par le premier contact, soit sautent carrément à la période moderne.
Jim