RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

Créée en 1958 dans les pages d’Adventure Comics, et plus précisément dans l’épisode consacré à Superboy, la Légion des Super-Héros est depuis lors devenue une sorte d’institution, mobilisant des hordes de fans complétistes. La série a connu plusieurs versions, étant abritée dans Adventure Comics, puis Action Comics et enfin Superboy, parution qui changera de titre pour devenir Superboy and the Legion of Super-Heroes puis simplement Legion of Super-Heroes, signe de la popularité du groupe. Pour rajouter à la complexité, en 1984, une nouvelle série intitulée sobrement Legion of Super-Heroes est lancée sur papier Baxter à destination du réseau de librairies spécialisées (tandis que la série de base continuait, sous le titre Tales of the Legion of Super-Heroes, publiant la première année des récits courts sans grande incidence avant d’enchaîner avec les rééditions de l’autre série… vous suivez ? Non ? Ça m’étonne pas !).

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L’une des sagas les plus mémorables de la série est « The Great Darkness Saga », publiée dans Legion of Super-Heroes #289 à 294. Pour les amateurs de la série, il s’agit d’un sommet. Pour les lecteurs de super-héros, c’est aussi l’un des récits marquants du genre, une sorte de classique incontournable.

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Nous sommes donc en 1982. Mike W. Barr est le responsable éditorial de la série, et il rappelle Paul Levitz au poste de scénariste. Ce dernier s’est déjà illustré, quelques années plus tôt, sous la supervision de Denny O’Neil, à l’occasion de quelques histoires disparates, la série ayant du mal à l’époque à stabiliser l’équipe créatrice. Levitz voit là l’occasion de transformer l’essai, de faire mieux que la première fois. Il est associé à un dessinateur régulier, Pat Broderick, qui a précédemment brillé sur Captain Marvel. Un jeune dessinateur, Keith Giffen, signe quelques récits en back-ups. Avec cet environnement stable, Levitz peut se lancer dans des récits plus longs, plus ambitieux, gardant la confiance de Laurie Sutton puis Karen Berger, qui prennent le relais de Barr.

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Tout commence dans Legion of Super-Heroes #287, plus précisément dans la back-up mettant en scène Mon-El et Shadow Lass, profitant d’un congé loin de l’équipe pour batifoler dans les étoiles. Ils arrivent sur une planète désolée où ils affrontent des machines de guerre qui semblent impressionnées par les pouvoirs de la jeune femme, capable de projeter des ombres.

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Les choses s’accélèrent dans le numéro 290, où Superboy, fraîchement revenu, et ses amis sont attaqués par une créature qui ressemble à un grand brûlé, et qui dispose d’un pouvoir physique impressionnant. Les héros ont du mal à repousser l’assaillant, qui convoite un artefact magique. Cet indice met les héros sur la piste et ils tentent d’empêcher d’autre larcins du même genre.

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Le schéma se répète à plusieurs reprises, permettant d’ailleurs au lecteur de faire un petit tour du monde du XXXe siècle où évolue la Légion. On se rend notamment sur le « monde des sorciers » où White Witch doit repousser l’assaut de ravisseurs semblables au premier assaillant. C’est à cette occasion que les grands magiciens de cette planète tentent d’invoquer de l’aide contre le « maître des ténèbres » qui donne des ordres aux agresseurs, et que la Légion se retrouve… avec un nouveau-né sur les bras.

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Les événements s’enchaînent à grande vitesse, jusqu’à ce que les Légionnaires et les lecteurs découvrent que l’entité aux commandes n’est autre que… Darkseid, que tout le monde pensait disparu mille ans plus tôt. Parvenant à déplacer la planète Daxam et à la mettre sous l’influence d’un soleil jaune, le tyran cosmique dispose alors d’une armée de Daxamites (rappelons que, comme les Kryptoniens, ils gagnent d’énormes pouvoirs sous ce genre d’astre) qu’il lance à l’assaut de l’univers dans le numéro 294, à la double pagination. Ce dernier assaut mobilise l’ensemble des héros, ainsi que les réservistes et même les « Substitutes », ces héros recalés à l’examen mais tout de même pétris de courage.

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L’ensemble est très sympathique, mais souffre des défauts d’écriture de Paul Levitz. Ce dernier ne gère pas très bien l’ellipse, passant sous silence plein de détails qu’il aurait peut-être mieux valu expliciter. De même, les transitions entre séquences sont trop sèches. Et dans une intrigue où l’énorme groupe de personnages est divisé en équipes séparées, ça n’aide pas. Enfin, Keith Giffen, généreux et prolifique, n’a pas encore stabilisé son style, entre Kirby et Munoz, qui fera son succès quelques années plus tard. Ici, il montre ses influences, tentant de dessiner comme Byrne, de découper comme Pérez, de canaliser Starlin pour n’invoquer que Milgrom. C’est très chouette, on sent qu’il y va à fond, mais il est encore trop vert pour une histoire de cette ampleur.

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Paradoxalement, si la série n’est pas encore bien habituée aux sagas au long cours, qui sont rares (le format en un ou deux chapitres est privilégié), cette « Great Darkness Saga » aurait peut-être mérité un ou deux chapitres de plus : après tout, une déferlante de Daxamites sur l’univers connu, ça aurait mérité plus de place.

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Au final, pour l’avoir lu plusieurs fois, je suis étonné que cette épopée soit aussi bien considérée et ait marqué à ce point le lectorat. Non pas que c’est pas bien : c’est plein d’idées, les péripéties sont sympas… Mais il y a un problème de rythme, de place, il se passe presque trop de choses pour pas assez de place. On ne pourra pas reprocher à Levitz et Giffen de s’être montrés fainéants. Au contraire, ils sont généreux, sans doute un peu trop. Au point qu’ils sont obligés de passer sous silence des événements et d’être particulièrement secs dans leur narration, l’ellipse étant souvent brutale.

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D’autres récits me semblent d’une meilleure facture. J’ai découvert tout récemment, à la suite de cette relecture, une saga intitulée « Earthwar », publiée dans Superboy and the Legion of the Super-Heroes #141 à 145, et apparemment considérée comme la première tentative de raconter une histoire sur autant de chapitres. C’est là aussi Levitz au scénario, aidé de Jim Sherman et Joe Staton au dessin. La Légion s’occupe de protéger les négociations diplomatiques entre la Terre et les Dominators, sur le Weber’s World, tandis que les Resources Raiders attaquent la Terre. La révélation de l’identité du vrai méchant se fait en plusieurs temps, la description du caractère des personnages est plutôt efficace (surtout Wildfire), les coups de théâtre sont nombreux, le récit introduit Shwaughn Erin et permet le retour de quatre héros qui s’étaient éloignés, l’intrigue mobilise tous les protagonistes… La structure du récit est semblable à celle de la « Great Darkness Saga », à savoir des attaques multiples, un commanditaire inconnu, une charge de troupes irrésistibles (ici les Khunds à la place des Daxamites) face auxquelles les héros font bloc… Et pourtant, la sauce prend mieux, sans doute parce que Levitz prend le temps de montrer la vie politique des Planètes Unies, bref de connecter les héros à un environnement.

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Rajoutons à cela le fait que les deux premiers épisodes de « Earthwar » sont dessinés par Jim Sherman et encrés par Bob McLeod, pour un résultat proprement magnifique (voir les deux dernières images ci-dessus), sorte de chaînon manquant entre Neal Adams et Michael Golden, et on obtient ce qui, pour moi, dans ma maigre connaissance de la Légion, demeure l’un des sommets de la période classique. Je suis étonné que « Earthwar » ne fasse pas l’objet d’une réédition.

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Dans l’introduction qu’il rédige pour l’édition de 1989, Levitz explique qu’il voit dans cette deuxième prestation l’occasion de faire mieux que lors de la première. Il semble motivé par la possibilité de saisir une chance qu’il a, selon lui, laissée passer déjà une fois. On peut donc lire cette seconde période comme une sorte de « revanche », même si le mot est un peu exagéré. En tout cas, le scénariste profite de la stabilité éditoriale pour se lancer dans des projets plus ambitieux. La « Great Darkness Saga » peut-elle être vue comme une sorte de remake de « Earthwar » ? Il n’est pas impossible de le supposer, d’autant que les structures narratives sont les mêmes. Un autre détail est révélateur : alors que son identité est encore sujette à spéculations, le « maître des ténèbres » affronte Mordru, et le vainc sans sourciller. On peut imaginer que Levitz voit dans cette scène une figure de style fréquente dans les films de James Bond, où le méchant de début de film est évacué dans la trappe à requin par le véritable adversaire, dont la capacité de nuisance est estimée en comparaison du sous-fifre éjecté, d’autant que Mordru compte parmi les poids lourds dans la galerie de gredins de la série. Mais pour le scénariste, c’est peut-être aussi une manière de tourner la page de sa première période, dont il ne semble pas satisfait (un avis que je ne partagerais pas spontanément), et d’envoyer un signal à ses lecteurs, leur promettant quelque chose de semblable… mais en mieux ! Dans ce raisonnement, il oublie cependant que l’ampleur qu’il ambitionne d’atteindre aurait sans doute mérité plus de place afin de profiter des développements, d’éclairer les ellipses et de faire peser une impression de danger sur les héros.

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En parlant de réédition, la « Great Darkness Saga » a fait l’objet d’un premier recueil, en 1989, qui comprend les épisodes principaux ainsi que l’Annual #3, ce dernier donnant une sorte de suite et montrant la vengeance sournoise de Darkseid. Plus récemment, en 2010, la Deluxe Edition reprend les épisodes #284 à 296, ce qui permet de voir le travail de Levitz dans son jus, et de quelle manière il donne une continuité et un suspense à la série. C’est la version que je conseille, parce qu’elle comporte une autre introduction du scénariste (plus longue que celle de 1989), qu’elle arbore une couverture inédite de Giffen (très jolie) et qu’elle propose quelques bonus intéressant (un scénario de Levitz, les recherches de Giffen).

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Superboy #147 : Les origines de la Légion, et l’attentat contre R. J. Brande
Superboy and the Legion of Super-Heroes #221, 223, 224 et 227 : La saga de Pulsar Stargrave et Jim Shooter
Superboy and the Legion of Super-Heroes #237, par Paul Levitz et Walt Simonson
Superboy and the Legion of Super-Heroes #239, par Jim Starlin et Paul Levitz
Superboy and the Legion of Super-Heroes #240, par Paul Levitz, Jack C. Harris et Howard Chaykin
Superboy and the Legion of Super-Heroes #241 à 245 : « Earthwar », par Paul Levitz, Jim Sherman et Joe Staton
Legion of Super-Heroes #273, par Gerry Conway et Jimmy Janes : fin de la saga de Pulsar Stargrave
Legion of Super-Heroes: The Great Darkness Saga
Legion of Super-Heroes: An Eye For An Eye
The Legion by Dan Abnett and Andy Lanning, volume 2
Legion: Foudations, par Abnett & Lanning
Legion of Super-Heroes par Brian Michael Bendis