RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

Deux ans après la grande saga qui a électrisé le titre, Legion of Super-Heroes compte parmi les bonnes voire très bonnes ventes de DC. Et à la même époque, l’éditeur constate que son concurrent direct parvient à s’implanter dans le réseau des librairies spécialisées, notamment en produisant des séries conçues directement pour ce réseau de distribution (je citerai en exemples Ka-Zar de Bruce Jones ou Dazzler…). Nous sommes en 1984 et DC songe à une stratégie parallèle. Et un peu tordue. Bien entendu, Legion of Super-Heroes fait partie des titres envisagés pour cette nouvelle offensive commerciale.

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L’idée de base est la suivante : puisque la série fonctionne bien en kiosque, elle devrait aussi trouver son public en librairie. Mais il convient de lui donner un numéro 1. Pour les Légionnaires, ce serait une première. En effet, la série du moment a repris la numérotation de Superboy, et au moment où la nouvelle formule va arriver, elle atteint sa 313e livraison, sans jamais avoir réellement débuté (leurs aventures ont été publiées dans Adventure Comics, Action Comics puis Superboy). Les têtes pensantes de DC songent donc à raconter la suite des aventures des héros du XXXe siècle dans une nouvelle série, mais sans pour autant abandonner la précédente, qui continue, à partir du numéro 259, sous le titre Tales of the Legion of Super-Heroes.

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Tenez-vous bien, les choses se compliquent. Donc on a Legion of Super-Heroes pour les librairies spécialisées, sur beau papier bien blanc, et Tales of the Legion of Super-Heroes pour les kiosques, sur le papier ordinaire. Les deux lectorats peuvent donc savourer les mêmes histoires ? Non non. DC choisit d’offrir aux lecteurs de comic shops une histoire que les autres n’ont pas, afin de flatter ce marché naissant et d’attirer, éventuellement, des lecteurs supplémentaires vers ces boutiques. Le titre kiosque, quant à lui, abrite des histoires inédites destinées à meubler… pendant un an. Au bout d’un an, Tales of the Legion of Super-Heroes réédite les aventures publiées dans la série jumelle. Par exemple, Legion of Super-Heroes #1, daté d’août 1984, propose le premier chapitre de « An Eye For An Eye », qui sera réédité dans Tales of the Legion of Super-Heroes #326, daté d’août 1985.

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Au premier abord, on peut penser que le lecteur est bénéficiaire : pendant un an, il profite de deux séries narrant les aventures de ses personnages préférés. Mais déjà, il faut qu’il soit au courant et qu’il ait accès à un comic shop, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, le maillage territorial de ces magasins étant en plein développement, mais encore inégal. La manœuvre, qui me semble, des décennies plus tard, inutilement compliquée, ajoute une difficulté supplémentaire pour le scénariste, qui doit planifier un an d’aventures suffisamment passionnantes pour retenir les lecteurs de la version kiosque, mais suffisamment anodines pour que la série marque le pas, le temps de rattraper les gros événements prévus pour la nouvelle série. En bref, le scénariste doit écrire un truc qui ne soit ni novateur ni enquiquinant. Marv Wolfman, qui est concerné par une manœuvre identique sur New Teen Titans / Tales of the New Teen Titans, subit de plein fouet cet effet, éprouvant une sorte de crampe d’écrivain à devoir planifier quasiment dix-huit mois d’un coup. Sur cette série, d’ailleurs, on notera une recrudescence de fill-ins, dessinés par Keith Pollard, Chuck Patton ou même Steve Rude, et une accumulation d’intrigues qui ne font pas bouger le schmilblick d’un iota. Là encore, avec le regard que l’on peut porter aujourd’hui, le calcul ne semble pas très habile.

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Auréolé du succès de la « Great Darkness Saga », qui a secoué le XXXe siècle deux ans plus tôt, Paul Levitz continue à chroniquer les aventures de la Légion. Sans vouloir être mauvaise langue, et malgré ce que l’on peut penser des tics d’écriture du scénariste, la série avait bien besoin de ça. En effet, dans les années 1970 (écartons rapidement les premières années qui voient s’agglutiner les éléments du mythe, souvent sous l’impulsion de romanciers de SF, à l’exemple d’Otto Binder ou Edmond Hamilton, à grand renfort d’histoires autoconclusives), la valse des scénaristes et des dessinateurs n’a jamais réellement permis de donner aux Légionnaires de grandes périodes fécondes. Malgré les tentatives de Cary Bates ou Jim Shooter, qui travaillent sur le titre jusqu’au milieu des années 1970, il demeure presque impossible de dégager des sagas cohérentes tant au niveau du scénario qu’en termes graphiques (la saga « Earthwar », citée dans un post précédent et comportant cinq épisodes, compte deux dessinateurs et quatre encreurs, ce qui donne une idée de l’environnement éditorial dont pâtit la série).

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Levitz, bien souvent soutenu par Keith Giffen qui assure soit le dessin soit le storyboard d’une grande partie des épisodes, arrive à fournir une cohérence et une régularité qui servent la série. Rétrospectivement, on peut sans doute expliquer le succès de la « Great Darkness Saga » à cela : en effet, elle correspond peu ou prou à l’arrivée de Giffen sur le titre et constitue donc une sorte de repère identifiant le moment où la série gagne une équipe d’auteurs stables et, par conséquent, un projet et une direction. Et semble-t-il avec succès.

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Remarquons que la supervision éditoriale est confiée à Karen Berger, qui sera des années plus tard la cheville ouvrière du label Vertigo, et qui se retrouve, avec cette nouvelle série, aux commandes d’un titre bénéficiant d’une liberté éditoriale plus grande (possibilité de représenter la violence et le sang, de faire le portrait de criminels…). Le premier numéro de cette nouvelle série est publié sans le sceau du comics code (ce qui ne sera pas le cas de la réédition dans Tales of, mais c’est trop tard…). Levitz, Giffen et Berger montent donc ce projet avec l’idée de frapper un grand coup : ils vont mettre en scène la Legion of Super-Villains (un groupe qui est apparu plusieurs fois, souvent par le biais de quelques membres, et sans jamais frapper directement) et, pourquoi pas, montrer que le prix de la victoire est élevé en mettant en scène la mort d’un personnage. Ah mais, ça ne rigole plus.

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L’intrigue commence d’ailleurs par une scène d’ouverture annonçant la couleur : Lightning Lord, alias Mekt Ranzz, le frère aîné de Lighting Lad et Lightning Lass, prépare sa vengeance. Suivent quelques séquences durant lesquelles on suit différents Légionnaires, par le biais de qui on assiste au vol de différentes merveilles technologiques (un schéma classique chez Levitz : des actions séparées convergeant vers un but commun). Au fil des épisodes, on comprend que le groupe de méchants est bien décidé à ne pas faire de prisonnier, et l’on découvre que le véritable cerveau de l’affaire est Nemesis Kid, un vieux personnage qui gagne ici en dangerosité.

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Les super-vilains parviennent à téléporter la planète Orando, où sont installés Princess Projectra et Karate Kid. D’autres Légionnaires sont capturés entre-temps, dont Light Lass, qui retrouve ses pouvoirs (et redevient Lightning Lass) et parvient à déjouer les plans de leurs adversaires de l’intérieur. Ce qui n’empêche que le duel entre Nemesis Kid et Karate Kid tourne au détriment de ce dernier. Constatant la mort de son bien-aimé, Princess Projectra, qui ne fait plus partie de la Légion mais respectait son code (interdisant le meurtre), décide de régler ses comptes, tordant littéralement le coup à l’assassin avant de monter sur le trône et de dire au revoir à ses anciens équipiers.

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Le recueil « An Eye For An Eye », du nom de la saga d’ouverture de cette nouvelle série, se conclut sur un cliffhanger (une partie des Légionnaires est perdue dans l’espace) et sur un sixième épisode, dessiné par Joe Orlando, et opposant Mekt et sa jeune sœur. Force est de constater que le « démarrage » de la série est plutôt ronflant, les enjeux sont élevés, la sensation de danger est palpable. Levitz fait montre de ses défauts habituels (les ellipses sont maladroites, les transitions d’une scène à l’autre peu claires, certains événements sont trop rapidement évacués et parfois évoqués au détour d’un dialogue de rattrapage). Le TPB de 2010 consacré à la « Great Darkness Saga » montre le script de deux épisodes : s’il écrit de cette manière la nouvelle série, il devient clair que les dessinateurs doivent se débrouiller seuls, tant son synopsis est… suggestif. Ce qui peut expliquer des rustines de dernière minute, au moment de la rédaction des dialogues.

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Les deux premiers épisodes de la nouvelle série sont entièrement dessinés par Keith Giffen, qui se charge du storyboard des chapitres suivants, dont les crayonnés sont confiés à Steve Lightle. Plus classique, moins stylisé (Giffen reluque déjà vers Kirby et Munoz à cette époque), ce dernier donne une élégance évidente aux personnages, chez qui les émotions sont palpables. L’ambiance est plus sombre, plus lourde, plus impressionnante. Le découpage est plus conventionnel, également, mais les scènes chocs, notamment la froideur de Projectra, bénéficie de cette approche sans fioritures.

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Lire « An Eye For An Eye » juste après « The Great Darkness Saga » met en revanche en évidence un effet collatéral étonnant, sans doute renforcé par le montage éditorial expliqué plus haut. En effet, la vendetta de Nemesis Kid semble être une sorte de suite directe de la précédente épopée. Même s’il y a deux ans qui séparent les deux récits, de nombreux points importants du premier trouvent dans le second des développements. Brûlée et sculptée à l’effigie de Darkseid, la planète Daxam profite d’une reconstruction d’ampleur, par exemple. De même, on retrouve Ol-Vir, le garnement Daxamite qui s’en était pris à Chameleon Boy sur Takron-Galtos. Tout donne à penser que les choses ont à peine bougé malgré la grosse vingtaine de numéros réalisée entre deux. Cela concourt à renforcer ce sentiment, pas tout à fait immérité, qu’il ne se passe pas grand-chose dans Legion of Super-Heroes. On peut aussi y voir la volonté de Levitz (et peut-être de Berger aussi) de s’appuyer sur une saga dont les événements sont restés en mémoire de tous, afin d’offrir ce qu’on appellerait aujourd’hui un « jumping point » propice à rassurer les lecteurs.

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Superboy #147 : Les origines de la Légion, et l’attentat contre R. J. Brande
Superboy and the Legion of Super-Heroes #221, 223, 224 et 227 : La saga de Pulsar Stargrave et Jim Shooter
Superboy and the Legion of Super-Heroes #237, par Paul Levitz et Walt Simonson
Superboy and the Legion of Super-Heroes #239, par Jim Starlin et Paul Levitz
Superboy and the Legion of Super-Heroes #240, par Paul Levitz, Jack C. Harris et Howard Chaykin
Superboy and the Legion of Super-Heroes #241 à 245 : « Earthwar », par Paul Levitz, Jim Sherman et Joe Staton
Legion of Super-Heroes #273, par Gerry Conway et Jimmy Janes : fin de la saga de Pulsar Stargrave
Legion of Super-Heroes: The Great Darkness Saga
Legion of Super-Heroes: An Eye For An Eye
The Legion by Dan Abnett and Andy Lanning, volume 2
Legion: Foudations, par Abnett & Lanning
Legion of Super-Heroes par Brian Michael Bendis