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Tout le monde a entendu parler de Jim Shooter, sorte de légende vivante de l’histoire des comic books, qui connaîtra plusieurs heures de gloire (parfois à son détriment) au fil de sa carrière, que ce soit en tant que rédacteur en chef de Marvel ayant contribué à remettre de l’ordre dans la « Maison des Idées », en tant qu’initiateur des Guerres Secrètes ou du « New Universe », puis plus tard en tant qu’initiateur de l’univers Valiant, dont il est le rédacteur en chef et principal scénariste pendant quelques années.

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Mais l’un de ses premiers exploits est lié à la Légion des Super-Héros, pour laquelle il écrit très jeune. Né en septembre 1951, Jim Shooter se passionne de bandes dessinées. Notamment celles de la Légion. Il estime cependant que les histoires pourraient être meilleures et il envoie des récits, sous forme de storyboards poussés, à l’éditeur. Nous sommes à la mi 1965, il n’a encore que treize ans. Quelques mois se passe et, en février 1966 (Shooter a donc quatorze ans), il reçoit un coup de téléphone de Mort Weisinger, qui apprécie ses histoires et lui achète plusieurs récits avant de lui commander des épisodes de Supergirl et Superman. Satisfait du travail, l’éditeur réputé pour son caractère exécrable (Roy Thomas aura tenu une semaine dans le rôle de l’assistant) lui propose d’écrire Legion of Super-Heroes, dans Adventure Comics, de manière régulière. Mais avant, il souhaite le rencontrer en personne. Le jeune scénariste doit attendre une période de vacances scolaires pour fixer le rendez-vous et arrive dans les locaux de DC accompagné de sa mère, surprenant l’équipe de Weisinger par son jeune âge.

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(Bon, si Shooter est associé à cette précocité, il n’est pas le seul : Cary Bates a également commencé à peu près au même âge, et d’une manière similaire, puisqu’il envoyait des pitchs d’histoires mais également des propositions de couvertures pour les séries consacrées à Superman, finissant par convaincre Weisinger également. Et par la suite, Paul Levitz commencera à écrire chez DC à seize ans. Chez Marvel, Gerry Conway a dû commencer à dix-huit ou dix-neuf ans, ce qui reste jeune mais prend des allures de vieillesse sénile en comparaison).

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Une autre caractéristique des récits de Shooter, c’est la fascination pour l’être surpuissant, le personnage au pouvoir quasi divin. Bien entendu, ce n’est pas encore palpable dans les récits qu’il signe pour Adventure Comics. Néanmoins, on se souviendra du personnage de Mordru, maléfique sorcier despote qu’il invente dans la série, et dont le pouvoir est tel qu’il semble omnipotent. Ce genre de personnage le suivra partout. On peut voir un écho à cette figure dans la nouvelle version du Count Nefaria, doté de pouvoirs incommensurables et qu’il oppose aux Vengeurs dans des épisodes dessinés par Byrne. De même, bien sûr, et toujours dans Avengers, on citera Korvac, qu’il transforme en créature divine. Le pic sera atteint avec le Beyonder. Et si souvent l’entité divine est du côté des méchants, on peut dire sans trop se tromper que sa version de Solar, dans l’univers Valiant, obéit au même schéma. Et je suis sûr qu’en cherchant, on peut en trouver plein d’autres.

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Faisons ici une pause et signalons également que les aventures de la Légion sont l’occasion pour Shooter d’expérimenter des thématiques qu’on retrouvera par la suite, notamment dans Avengers. Les Légionnaires du trentième siècle sont-ils sa zone d’essai, ou bien les Vengeurs l’occasion pour lui de développer des histoires qu’il avait en tête précédemment ? Prenons par exemple « The Trillion-Dollar Trophies », une aventure parue dans Superboy and the Legion of Super-Heroes #221, daté de novembre 1976. Les héros y affrontent Grimbor, un méchant classique, ici surpuissant, mais surtout, l’intrigue tourne autour de l’amour frustré de ce dernier pour Charma. L’obsession du vilain (enchaîné ici au propre comme au figuré) évoque le plan frankensteinien d’Ultron visant à se fabriquer une compagne sur mesure, dans Avengers.

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De même, on citera une autre histoire, « Death of a Legend », parue dans Superboy and the Legion of Super-Heroes #222, daté de décembre 1976, et dans laquelle les héros, souhaitant rencontrer le justicier galactiquement renommé Questar, découvrent en fait que ce dernier est le fruit de la création d’un auteur de fiction, et que s’il dispose de pouvoirs, il n’ose pas les utiliser. À la fin du récit, Questar téléporte la menace que Superboy a vaincue, démontrant qu’il n’est pas un mauvais bougre, et Superboy insiste pour que sa légende ne soit pas écornée, mais on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec Yellow Jacket qui, lui aussi, falsifie son propre héroïsme afin de rester dans les rangs des Vengeurs et dans les faveurs de son épouse battue.

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Après ce petit tour d’horizon, revenons au sujet du surhomme quasi divin. Nous sommes donc au milieu des années 1970, dans les pages de Superboy and the Legion of Super-Heroes, où Shooter officie régulièrement, à l’occasion de ce qu’on pourrait qualifier de second passage sur le titre (les histoires pour lesquelles il est le plus connu figurant dans les Adventure Comics des années 1960). On sent dans son travail une évidente montée en puissance. Les récits occupent bien souvent toutes les pages du magazine et opposent le groupe à des individus de plus en plus costauds. Dans l’épisode 223, les Légionnaires font face au Time Trapper, un autre de leurs ennemis classiques.

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Le détail intéressant, c’est que Shooter écrit une séquence durant laquelle le combat est observé par trois figures nouvelles, que les dialogues identifient : Pulsar Stargrave et ses deux acolytes. C’est une chose rare dans la série : souvent, les histoires se suffisent à elles-mêmes, y compris dans le cas de récits en plusieurs parties. Ici, Shooter insère un sub-plot, l’annonce d’une intrigue à venir.

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Et l’affaire ne traîne pas, puisque dès l’épisode suivant, la Légion affronte le nouveau vilain. Il s’agit à nouveau d’un récit d’une vingtaine de pages, détail qui aura son importance. On notera aussi la présence au générique de Denny O’Neil, crédité en tant que « story editor ». On peut imaginer que la mention, insistant sur « story », tende à induire que le récit d’origine aurait été un peu réorienté par rapport aux intentions d’origine.

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Dans ce premier chapitre de la trop courte saga de Stargrave, le nouveau personnage semble surpuissant, au point qu’on se demande pourquoi il s’entoure de sous-fifre. Capable de détricoter la trame de l’univers (quoi que cela puisse vouloir dire) afin d’attirer l’attention des héros, il s’empresse de tout remettre en ordre une fois qu’ils sont réunis.

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Après les échanges de coups de poing et autres politesses d’usage, Pulsar Stargrave leur signifie que s’il les a convoqués, c’est pour les recruter, car il a besoin d’eux. Là encore, vu le déchaînement de puissance, on se demande bien pourquoi, et l’on comprendra très vite qu’il a besoin d’alliés dans une guerre contre un autre surhomme, dont l’identité ne tarde pas à arriver, Mordru. Et c’est donc dans la perspective d’une guerre cosmique entre deux entités colossales que l’épisode se conclut, sur la révélation que Pulsar Stargrave serait en fait le père de Brainiac 5, porté disparu depuis des lustres.

L’épisode ne manque pas de scènes fortes, de moments épiques et de révélations. Visuellement, Mike Grell et Bob Wiacek assurent comme des petits diables, faisant passer le look de reine du disco adopté par Pulsar Stargrave comme une lettre à la poste, tellement l’épisode est bien emballé.

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Et c’est là que les ennuis commencent. En effet, on s’attend à avoir au moins un gros épisode de baston cosmique dans la foulée. Et bin non ! Superboy and the Legion of Super-Heroes #225 est en réalité composé de deux histoires, la première étant signée Paul Levitz (qui, si je ne me trompe, fait ses premiers pas sur la série) et n’ayant rien à voir avec l’intrigue en cours. Celle-ci ne figure même pas dans ce numéro, mais est reléguée en deuxième partie de sommaire du #226, et retrouve Brainiac 5 sur Zerox, le monde des sorciers dominé par Mordru. Il obéit à la mission confiée par Stargrave, et fait face à son double, maléfique comme il se doit.

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Déception : l’intrigue de Shooter est complètement détournée, sans doute dès l’intervention de Denny O’Neil sur ce qui pouvait devenir le premier chapitre d’une grosse saga. La mission de Brainiac 5 est racontée par Paul Levitz et Mike Nasser : aucun des auteurs d’origine ne figure plus aux commandes.

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La résolution de la saga de Stargrave sera confiée à Gerry Conway et Joe Staton (encré, hélas, par Jack Abel) et interviendra dans les pages de Superboy and the Legion of Super-Heroes #227, qui a au moins le mérite d’être orné d’une couverture de Mike Grell.

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On apprend dans ce numéro qui va à cent à l’heure, dans le but évident d’évacuer au plus vite une intrigue dont personne ne sait quoi faire, que Pulsar Stargrave est en réalité Brainiac (le « premier », celui qui est tout vert et qui collectionne des villes et des planètes) et qu’il a un vaste plan visant à s’emparer du pouvoir sur Colu. Conway règle son compte à l’idée du double diabolique, proposée par Levitz, dès les premières pages, concentrant son énergie sur la grosse baston à la surface de la planète menant à l’affrontement final.

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Mais alors, pourquoi avoir coupé Shooter dans son élan ? D’autant que l’arrêt de la saga de Stargrave et le départ du scénariste semble avoir mis à mal la série, pourtant bimestrielle, qui recourt à l’expédient des histoires courtes et des sommaires composites afin de maintenir le cap. Regardons un peu le calendrier.

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Superboy and the Legion of Super-Heroes #224, dans lequel apparaît Stargrave et qui constitue la dernière histoire de Shooter, est daté de février 1977. On peut donc tabler sur le fait qu’il est sorti en kiosque vers novembre 1976. Il a dû être imprimé en octobre, donc dessiné durant l’été, donc écrit au printemps (en comptant large). Or, de son côté, Jim Shooter est devenu assistant éditorial en janvier 1976. Il devient compliqué pour le scénariste de continuer à écrire des histoires à destination du concurrent de l’éditeur qui l’emploie comme salarié.

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Dès lors, il est facile d’imaginer que Denny O’Neil a utilisé les récits déjà commandés et stockés, en prenant sur lui de réorienter les intrigues. Sans doute sans l’aval de l’intéressé, parti sous d’autres cieux. La seule redéfinition de la nature du méchant témoigne des choix narratifs divergents entre les auteurs. Cependant, le départ de Shooter et les réécritures témoignent du désordre et sans doute de la soudaineté des événements : O’Neil semble éprouver des difficultés à stabiliser une équipe d’auteurs, et doit sans doute faire face à des délais serrés, la solution étant de commander des histoires courtes de provenance diverses tout en gagnant du temps afin de trouver une conclusion à la saga de Shooter.

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Dont pourtant le premier chapitre était particulièrement prometteur : une guerre entre Pulsar Stargrave et Mordru, avec la Légion au milieu, ça aurait sans doute eu une certaine gueule.

Jim

Superboy #147 : Les origines de la Légion, et l’attentat contre R. J. Brande
Superboy and the Legion of Super-Heroes #221, 223, 224 et 227 : La saga de Pulsar Stargrave et Jim Shooter
Superboy and the Legion of Super-Heroes #237, par Paul Levitz et Walt Simonson
Superboy and the Legion of Super-Heroes #239, par Jim Starlin et Paul Levitz
Superboy and the Legion of Super-Heroes #240, par Paul Levitz, Jack C. Harris et Howard Chaykin
Superboy and the Legion of Super-Heroes #241 à 245 : « Earthwar », par Paul Levitz, Jim Sherman et Joe Staton
Legion of Super-Heroes #273, par Gerry Conway et Jimmy Janes : fin de la saga de Pulsar Stargrave
Legion of Super-Heroes: The Great Darkness Saga
Legion of Super-Heroes: An Eye For An Eye
The Legion by Dan Abnett and Andy Lanning, volume 2
Legion: Foudations, par Abnett & Lanning
Legion of Super-Heroes par Brian Michael Bendis