Quels sentiments partagés, et étranges, à la lecture de ce Brouillage intégral. Surtout alors que la guerre en Ukraine fait rage, que le discours anti-Otan du pouvoir russe se fait entendre, et que les fantômes du passé sont brandis pour justifier telle ou telle position.
Dans cet album, on retrouve le thème de la filiation, déjà présent ans Pour que respire le désert ou L’Attraction de la foudre. On suit un jeune cosmonaute seul dans son vaisseau, et le récit est ponctué par les souvenirs de sa vie avec son père, un militaire veuf, ou de visio-conversations où les échanges scientifiques poussés font écho au manque de pathos dans leurs relations.
Sur Terre, la guerre fait rage entre la Russie et les forces de l’Otan, pour une raison guère expliquée, mais présentée comme une invasion de la seconde sur le territoire de la première. Le récit présente la Russie en victime courageuse alors que le portrait de l’Otan, via le commandement représenté par un gradé américain, est peu flatteur (l’officier est présenté comme un queutard qui n’assume pas ses responsabilités : en comparaison, le portrait qui est fait des Français est plutôt glorieux). Les militaires des deux camps sont présentés comme des amoureux transis de l’histoire de leur pays, hanté par les faits d’armes de leurs ancêtres. Il y a donc un discours sur la permanence des conflits, de la guerre, de la fierté, qui prend vaguement les atours d’une objectivité (assez simpliste : on est tous pareils). Il n’empêche que la lecture laisse dubitatif. On est, à pieds joints, dans cette ambivalence politique déjà palpable sur le reste de la collection, et qui empêche Cixin (en tout cas dans ces adaptations) d’être définitivement humaniste.
L’enjeu du récit, c’est de créer un brouillage tel que la guerre soit « démachinisée », qu’elle ne soit plus aussi technologique qu’avant, qu’elle soit menée par les hommes seuls, puisqu’il est impossible d’empêcher les conflits. Idée intéressante qui renforce le caractère très sombre et assez désespéré du récit. La dernière page, symbolique, est assez forte.
Drôle d’impression, donc, pour un album au lettrage présentant des défauts habituels : petits blocs parfois trop serrés sur le texte, choix d’enrichissements qui ne sont pas constants…
Jim